Quand les villes d’eau sentaient le soufre - 2ème partie

Mariánské Lázně

Il y a deux semaines, nous avions vu en quoi les villes d’eau avaient été un terreau important du développement du mouvement nazi en Bohême. Après avoir parlé de Karlovy Vary, nous nous intéresserons aujourd’hui à Mariánské Lázně.

Mariánské Lázně
Vichy, Karlovy Vary, une malédiction s’acharne-t-elle sur la mémoire des villes d’eau ? Il ne saurait y avoir de fatalité en histoire mais la comparaison est troublante.

Elle a pourtant ses limites : le contexte des villes d’eau tchèque est en effet bien spécifique en ce qu’il se situe, à partir de 1939, en plein Reich, le Protectorat de Bohême-Moravie y étant pleinement intégré. Autre spécificité, dans ces villes d’eau, ce sont des Allemands des Sudètes qui participent à la politique nazie.

Mariánské Lázně, Marienbad en allemand, en offre un bon exemple. Dans cette ville d’eau plus connue sous le nom de Marienbad, les nazis ont détruit une vie juive minoritaire (on compte 400 Juifs en 1937), mais active.

On le sait peu, mais la tristement célèbre nuit de Cristal, qui vit, dans la nuit du 7 au 8 novembre 1938, le pillage de magasins juifs ou de synagogues et des violences physique dans toute l’Allemagne, eut un écho dans les régions sudètes de Bohême. Sa version sudète sera moins violente mais bien réelle. Rappelons qu’en Allemagne, la nuit de Cristal avait fait 91 morts, réduit en cendre 191 synagogues et vu le pillage de 7 500 commerces juifs.

La synagogue à Mariánské Lázně
Mariánské Lázně verra également sa synagogue détruite, juste un jour après, le 9. On fait comme le Führer fait ! Ce bel édifice néo-baroque, au style typique des synagogues de Bohême, avait été construit en 1884 par l’architete Edouard Stern et était situé dans Hlavní Třída, la rue principale, à laquelle il s’adaptait parfaitement bien par ses dimensions momumentales.

Jusqu’en 1860, les Juifs ne disposaient, à Mariánské Lázně, d’aucun lieu officiel de prière. Pour leurs offices, ils étaient d’obligés de louer une salle à la municipalité. En 1861 avait été construite la Maison de Sion afin de servir de lieu de prière, une sorte de synagogue provisoire. 23 ans plus tard, une vraie synagogue voit le jour, qui allait accueillir les Juifs de la ville comme les Juifs étrangers en séjour. Aujourd’hui encore, on peut voir, au numéro 102 de la rue Lesní, l’édifice, modeste, qui abritait la Maison de Sion. L’immeuble est entièrement d’origine.

En 1987, la municipalité de Mariánské Lázně a rendu un hommage posthume au docteur Samuel Basch, connu pour ses travaux sur la pression sanguine. Son buste, inauguré en 1930, avait été saccagé pendant la deuxième guerre mondiale, en raison des origines juives du professeur. Le 9 octobre 1987, elle se dressait au même endroit, reconstruite pour mémoire.

Avec l’occupation allemande, Mariánské Lázně perd son caractère de ville thermale. En 1941, les Allemands y construisent une annexe de l’hôpital de Berlin, réquisitionnant pour cela 90 maisons. A cause des problèmes d’hygiène et d’approvisionnement, différentes épidémies surgissent et le taux de mortalité connait une forte croissance pendant la guerre. On est là bien loin de l’image curative et romantique des villes d’eaux...

Les hôtels de la ville et des environs sont également réquisitionnés par les Allemands pour servir de centre de formation au sabotage ou à la subversion. Et il faut noter ici que les Allemands des Sudètes représentent une denrée unique pour les services d’espionnage du IIIème Reich. Grâce à leur connaissance du tchèque, ils sont particulièrement bien placés pour traquer les opposants. Nous avons ainsi évoqué sur nos ondes, il y a deux semaines, la fulgurante et lugubre carrière de Karl Hermann Frank, natif de Karlovy Vary et chef de la police dans le Protectorat.

La marche de la mort | Photo: Post Bellum
A la fin de la guerre, la région aux alentours des villes d’eaux connaîtra des visions d’horreur : des files entières de prisonniers provenant d’Auschwitz, ces marches de la mort, transitent par la région, après être passés par Prague. A l’approche des armées soviétiques, les SS voulaient effacer toute trace comme tout témoin compromettant. Mais au lieu d’exécuter les survivants sur place, ils organisèrent leur rapatriement dans des camps en Allemagne.

Ce n’était en fait qu’une sorte de camp d’extermination mobile, une forme élaborée de sadisme. Des hommes et des femmes sous-alimentés et souffrant du froid devaient faire plusieurs centaines de kilomètres à pied et au pas de course. Nombre d’entre eux meurent en chemin. Certains d’entre eux sont enterrés dans les cimetières aux alentours de Mariánské Lázně. La ville sera finalement libérée par les Américains le 6 mai 1945, un jour après l’insurrection de Prague.