Quand l’Est découvrait les premières séries venues de l’Ouest
Il y a trois ans disparaissait le 23 juin 2011 l’un des acteurs de séries américaines les plus emblématiques : Peter Falk alias inspecteur Columbo. Reconnaissable à son œil de verre, l’acteur d’origine russe, polonaise et tchèque était très apprécié des téléspectateurs du monde entier et en particulier en Tchécoslovaquie sous le régime communiste. En effet, la série Colombo était l’une des rares issues de l’Ouest à pouvoir être diffusée à la télévision largement contrôlée par la censure. L’occasion pour Radio Prague de se replonger dans les aventures de l’inspecteur Columbo, et plus largement dans les séries venues de l’Ouest et diffusées à une période où elles représentaient pour son audimat tchécoslovaque l’un des seuls contacts avec cet Occident énigmatique.
« Encore aujourd’hui la série Columbo est intéressante à regarder. Naturellement sous le communisme elle rencontrait déjà beaucoup de succès tout comme les autres séries policières qui étaient de manière générale très suivies en Tchécoslovaquie. En ce qui concerne Columbo, seuls douze épisodes ont pu être diffusés. Malgré cenombre relativement faible, la série était très populaire grâce à ses grandes qualités. Pour ce qui est du doublage de la série, c’est l’acteur tchèque Petr Haničinec qui a incarné la voix de Columbo. »
En effet, qui dit série importée de l’Ouest vers la Tchécoslovaquie dit deux facteurs à prendre en compte : la censure des autorités communistes et le travail de doublage. Pour ce qui était du travail de « remontage » des scènes, il était incontournable pour n’importe quel programme diffusé et plus particulièrement lorsqu’il s’agissait d’une série importée de l’Ouest. Les passages évoquant la religion, la nudité ou encore la guerre froide étaient ainsi supprimés par la Commission de censure audiovisuelle dont l’approbation était indispensable. Dans certains cas, ces coupes pouvaient même dépasser la moitié du programme à l’image du film britannique de Tony Richardson « Útok lehké kavalerie » (« La Charge de la brigade légère ») dont l’action se situe durant la guerre de Crimée ; laquelle a opposé au milieu du XIXe siècle la Russie à une coalition formée par la Turquie, la France et l’Angleterre. Face à la violence des scènes de soldats agonisant sur les champs de bataille, le nombre de coupes a été tel que le film n’a au final jamais été diffusable. Pour ce qui est du choix des séries, la censure planait au-dessus de leur sélection telle une épée de Damoclès mais ce n’était pas le seul facteur décisif comme l’explique Martin Bouda :« Il n’y avait qu’un faible nombre de séries de l’Ouest importées en Tchécoslovaquie : elles n’étaient qu’entre huit et dix. Les séries n’étaient jamais diffusées dans leur totalité, il ne s’agissait que d’une sélection de quelques épisodes que la production pouvait acheter. En ce qui concerne le choix des séries, plusieurs facteurs entraient en compte. Il pouvait tout d’abord s’agir d’un échange de programmes entre les différentes productions télévisées. La popularité dont ces séries pouvaient jouir à l’extérieur ou lors de festivals jouait également un rôle important. Néanmoins l’achat de séries était limité par le fait qu’il y avait très peu de devises disponibles sous le communisme. »
Ainsi, le nombre d’épisodes choisis dépendait souvent plus d’une dimension économique que politique. Seuls 12 des 69 épisodes de la série Columbo ont donc pu être achetés et diffusés, 21 des 57 épisodes de la série britannique « Profesionálové » (« Les Professionnels ») ou encore 7 des 53 épisodes de « The Sweeney ». En effet, plus que les obstacles idéologiques, c’est avant tout le manque d’argent et plus particulièrement de devises qui a été un frein majeur à la prolifération des séries importées de l’Ouest. Néanmoins, leur faible nombre n’a pas empêché leur très grande popularité auprès des téléspectateurs tchécoslovaques qui en étaient friands :« A cette époque les frontières étaient fermées et très peu de choses de ce genre arrivaient jusqu’en Tchécoslovaquie. Dès que quelque chose venue de l’étranger traversait les frontières, les gens étaient tout de suite au courant et se passaient le mot entre eux. Tout le monde regardait ces séries qui jouissaient d’un grand succès. Cela était aussi lié au fait que ce type de programme permettait de voir ce qui se passait dans une partie du monde qui était interdite et que les gens n’avaient aucune possibilité d’entrevoir. »
Pour pallier à l’obstacle de la langue étrangère, les studios de doublage tchèques ont été les acteurs de l’ombre dont la qualité remarquable du travail se doit d’être soulignée. Le doubleur František Filipovský, qui prêtait sa voix à Louis de Funès, est ainsi considéré comme l’un des plus grands doubleurs et ses performances étaient souvent jugées comme meilleures que la version originale. Le lien entre Funès et Filipovský était tel qu’il était presque impossible de séparer les deux noms. L’acteur français avait d’ailleurs envoyé une lettre à František Filipovský pour le remercier et lui faire part de son admiration envers son travail de doubleur qu’il considérait comme étant la meilleure version étrangère. Pour lui rendre hommage, un prix František Filipovský est d’ailleurs réservé chaque année aux meilleurs doubleurs tchèques. Ce grand travail des studios de doublage en République tchèque profitait tant aux films qu’aux émissions télévisées comme nous l’explique Martin Bouda :« Le doublage est une grande tradition en République tchèque et ce depuis ses débuts dans les années 1930. Au départ cela concernait les films puis à partir de 1949, le doublage s’est professionnalisé grâce à la création de la Société nationale du film tchécoslovaque (Československý státní film). A partir de 1964, les programmes télévisés ont commencé à être doublés dans des studios à Prague et à Brno. Je pense que la très grande qualité du doublage en Tchécoslovaquie, si on le compare à d’autres pays et à la situation actuelle en République tchèque où les doubleurs n’ont pas d’expérience de comédiens, est liée au fait que cette activité était réservée aux meilleurs acteurs qui s’étaient déjà illustrés dans des films et au théâtre et qui étaient donc capable de doubler les voix parfaitement. » Si sous le communisme certaines coproductions tchécoslovaques telles que «Nemocnice na kraji města» (« L’Hôpital à la périphérie de la ville ») et «Dobrodružství kriminalistiky» (« Les Aventures des criminalistes ») parvenaient à concurrencer la popularité des séries anglo-saxonnes, ces dernières ont aujourd’hui largement pris le dessus. En effet, avec la multiplication des chaînes et des temps de programme, la domination de l’empire des séries américaines est désormais incontestable tant en République tchèque que dans le reste du monde :« La production étrangère représente 90% des séries diffusées aujourd’hui en République tchèque. Mais je pense que la domination des séries américaines est observable partout dans le monde aussi. En ce qui concerne les séries tchèques, il y a toujours des productions par moment qui deviennent populaires et qui sont très suivies par les téléspectateurs. Mais pour ce qui est du rapport de force, il est clair que les séries américaines et étrangères sont beaucoup plus nombreuses. »