Réussir le passage à l’âge adulte
« Notre société manque de rituels de passage de l’adolescence à l’âge adulte et en souffre gravement » dit Bret Stephenson, psychologue américain, en passage à Prague au mois de juin dernier. Si l’adolescence représente un défi pour des enfants ayant vécu dans une famille complète, la barre est encore plus haute pour ceux qui viennent de familles en situation difficile et qui grandissent dans des centres d’accueil collectifs. Dans cette rubrique Panorama, nous allons vous présenter l’association « Brány života » (« Les portes de la vie » en français), qui assiste des jeunes des milieux défavorisés afin qu’ils réussissent leur passage à l’âge adulte. Cette association fait également usage pratique des conseils de l’Américain Bret Stephenson.
« Les initiations sont géographiquement et historiquement universelles. Ils ont existé partout dans le monde, pas toujours d’une façon formelle ou institutionnalisée. Je crois que c’est notamment le cas des pays tchèques où on ne trouve pas un rite de passage explicite, même s’ils étaient implicitement présents. L’idée phare des rites de passage est qu’ils ne concernaient pas autant l’âge adulte qu’une capacité de devenir un homme et une femme. Aujourd’hui, nous mettons l’accent sur un statut formel d’adulte, atteint à l’âge de 18 ans en République tchèque et à l’âge de 21 aux Etats-Unis. D’un jour à l’autre notre place au sein de la société change juridiquement. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’on soit devenu un homme où une femme. L’avantage des rituels de passage c’est qu’ils représentent une opportunité pour chacun d’opérer ce saut. On n’attend pas l’occasion que le hasard de vie nous réserve pour adopter le comportement mature. »
Le travail que fait Bret Stephenson avec les teenagers américains a également des retentissements en République tchèque. L’association « Brány života » (« Les portes de la vie » en français) propose aux jeunes un accompagnement dans la période turbulente de leur développement personnelle. Cette organisation sollicite les jeunes des orphelinats, des centres d’accueils collectifs ou encore des familles d’accueil. Présidente du Conseil d’administration de cette association, Petra Hubková évoque les critères que doivent remplir les candidats pour participer à leurs projets éducatifs :
« A nos séjours participent des jeunes placés dans des familles d’accueil, qui pour des diverses raisons ne peuvent pas être élevés par leurs familles biologiques. Ensuite, nous invitons également les jeunes des centres d’accueil et des maisons dites « à mi-chemin », qui permettent de vivre en autonomie avant de quitter définitivement l’établissement d’accueil à l’âge de 18 ans. Il s’agit toujours des adolescents qui ont entre seize et dix-neuf ans. On commence par envoyer nos brochures aux familles qui élèvent des jeunes de cet âge là, on informe les centres d’accueil etc. Mais par la suite, toute initiative repose sur le jeune qui remplit un formulaire en ligne et répond à plusieurs questions sur sa motivation et c’est bien sûr elle ou lui qui participent à nos weekends. »Les weekends de « Brány života » combinent une aide à l’orientation professionnelle avec des expériences-adrénaline dans la nature. Chaque groupe sélectionné se retrouve à des lieux différents au cours de trois weekends et apprend ainsi à mieux se connaître et à suivre ses avancées. Petra Hubková décrit la méthode d’accompagnement utilisée par l’association :
« La méthode que nous utilisons lors de nos weekends s’appelle GROW (« Grandir » en français). Elle provient du coaching et vise à accompagner les jeunes de manière professionnelle et personnalisée. Cette méthode se résume dans les quatre lettres du mot GROW : la lettre G représente Goal ou l’objectif, et la lettre R, Reality, la réalité. Ces lettres permettent de cerner ce qui est important d’accomplir pour les jeunes. O tient la place des Options, les possibilités qui les aident à identifier ce qu’ils peuvent faire pour atteindre leur but, et enfin le W pour Will, qui représente la volonté, l’avenir et leur future motivation. A l’occasion de notre première réunion, nous expliquons cette méthode de coaching et nous travaillons intensivement sur ses préceptes. »
En accord avec les principes de Bret Stephenson, les organisateurs des weekends permettent aux participants de vivre des moments intenses, remplis du danger mais qui peut être relativement contrôlé. Il s’agit de l’équivalent du voyage d’un héros mythologique, d’un élément clé du passage à l’âge adulte qui permet de dépasser soi-même. Petra Hubková nous en dit plus sur le déroulement de leurs séjours :« Nos séjours se déroulent dans une ambiance conviviale, surtout quand nous nous retrouvons à un chalet à la montagne, nous cuisinons nous-mêmes et nous faisons également le ménage. Notre approche basée sur une relation entre personnes égales porte ses fruits très vite, même si au début nous construisons des règles communes que tout le monde s’engage à respecter. Il est clair que l’instauration de limites est nécessaire, mais cela ne nous empêche pas de traiter les jeunes avec respect. Notre équipe prépare le programme en avance, et il est vraiment chargé. On mélange des épreuves sportives à des séances de coaching. Nous avons découvert que le travail sur le développement personnel devient plus efficace s’il s’ajoute à l’adrénaline du sport. »
On ne cesse donc de le souligner : le secret du succès réside dans une approche d’égal à égal instaurée par les organisateurs. Ceux-ci coopèrent également avec des sportifs de haut niveau qui servent comme modèles de référence pour les jeunes. Il s’agit en particulier de Michal Novotný, représentant tchèque en snowboard cross, et Tomáš Kraus, en ski cross. Petra Hubková explique leur rôle lors des séjours :
« Les jeunes respectent beaucoup nos sportifs de haut niveau. Au début, ils sont même un peu timides et apprécient que ces personnalités aient pu trouver du temps pour le passer avec eux. Ils sont étonnés de voir qu’ils ne sont pas prétentieux. Ils discutent sur les difficultés de s’imposer dans le sport ainsi que sur le courage et l’endurance que cela exige. Les jeunes peuvent ensuite voir les résultats de leurs efforts, ce qui est très motivant, et cela nous permet de faire le lien avec la partie qui traite du développement personnel. Michal Novotný s’occupe donc de la composante sportive et moi du coaching. »Si les jeunes participants arrivent à dépasser leurs propres limites et en même temps travaillent intensivement sur leur développement personnel, le retour à la communauté peut se traduire par un choc, vu que leur entourage ne conçoit pas le changement qu’ils ont vécu. Bret Stephenson souligne cette difficulté et y voit le frein principal dans son travail avec des jeunes. Petra Hubková a des expériences analogues. Son association a même considéré de mettre en place des séminaires pour des instituteurs et des familles afin de rendre visible ce qu’ont expérimenté leurs jeunes adultes. Elle revient notamment sur d’autres points communs entre son travail et celui du psychologue américain :
« Personnellement, j’ai trouvé le séminaire de Bret Stephenson qui a eu lieu à Prague, très stimulant. J’ai surtout aimé voir qu’ à l’autre bout du monde, nous affrontons des défis similaires. J’ai constaté des analogies dans la méthode également, ce qui m’a rassuré face à certains pessimistes, qui nous ont beaucoup découragés de ce projet de coaching. Ce qui nous ravit c’est de voir le développement de ces jeunes. Nous sommes encore plus confiants de leur capacité à évoluer et de leur potentiel que nous soutenons. Mais nous ne le créons pas, ils l’ont déjà en eux. Il y a plusieurs points communs entre notre travail et celui de Bret, comme l’usage des rituels, et des objectifs à court terme, la régularité de nos rencontres etc. »
Petra Hubková conclut sur la motivation et le courage des participants de ses séjours :« A chaque fois nous leur disons : nous sommes là pour vous aider, mais vous nous enrichissez énormément aussi. Ils sont très courageux, après tout ce qu’ils ont vécu. On ne choisi pas notre destin et ce n’est pas de leur faute de naître dans une famille où les parents pour une raison ou d’autre n’ont pas réussi à s’occuper d’eux. Je vois qu’ils sont néanmoins prêts à se battre et ils ont juste besoin de l’aide. »
Lors de notre rencontre dans le bureau de l’association « Brány života » à Prague, Petra Hubková accumule des histoires optimistes, auxquelles elle a pu assister. Comme celle d’une jeune fille qui a décidé de trouver ses parents biologiques à l’aide de sa famille d’accueil, d’un garçon timide qui a retrouvé la confiance en soi, ou d’un autre qui a réussi de passer son bac et de trouver un emploi. Depuis 2011, près de soixante jeunes filles et garçons ont participés à ces weekends. Petra Hubková et ses collaborateurs ont tenté de leur faciliter le saut à la vie adulte. Un passage compliqué pour tous, mais certes encore plus pour ces jeunes ayant l’expérience des centres d’accueil et qui ont du quitter leurs familles biologiques.