Rodolphe II et son âge d'or

Rodolphe II

La période rodolphinienne, l'âge d'or ou l'âge de Faust... c'est ainsi que les historiens caractérisent la période du règne de l'empereur Rodolphe II, roi de Bohême et de Hongrie, accédé au trône tchèque le 7 septembre 1575. Rodolphe II est un personnage historique bien controversé; certains le considèrent comme un représentant important du maniérisme européen, pour les autres il était un roi malade, voire fou, incapable de gouverner le pays.

La période rodolphinienne, l'âge d'or ou l'âge de Faust... c'est ainsi que les historiens caractérisent la période du règne de l'empereur Rodolphe II, roi de Bohême et de Hongrie, accédé au trône tchèque le 7 septembre 1575. Rodolphe II est un personnage historique bien controversé; certains le considèrent comme un représentant important du maniérisme européen, pour les autres il était un roi malade, voire fou, incapable de gouverner le pays. Il est vrai que cet homme timide, taciturne et malade, car il souffrait des dépressions, s'intéressait beaucoup plus des sciences et de l'art que du gouvernement. Cependant le Royaume de Bohême et Prague notamment lui doivent beaucoup. Grâce à Rodolphe II qui régnait trente-six ans (1575-1611) Prague est redevenue, après une longue période de stagnation, la capitale de l'empire qui devait connaître un essor culturel sans précédent dans son histoire. Prague est devenue le lieu de destination préféré de scientifiques et d'artistes célèbres de l'époque et a vécu la période de sa plus grande gloire. C'est pourquoi dans ce jour de fête je voudrais vous rapprocher l'atmosphère de la Prague rodolphinienne et de vous parler non seulement de cet empereur bizarre mais aussi des gens qui l'entouraient.

sorciers et les mages y pullulaient. Pendant les longues nuits d'hiver le Gholem parcourait les ruelles du quartier juif. Le sol riche en minéraux faisait proliférer les alchimistes qui nulle part ne poussèrent leurs recherches aussi loin. Tout cela fascinait Rodolphe qui, en vrai fils de la Renaissance, avait un prodigieux appétit de savoir même s'il ne savait pas distinguer la science du merveilleux, l'astronomie de l'astrologie. Du point de vue de l'histoire, c'est un fait parmi les moins connus, les plus étranges et les plus dignes de l'admiration qu'un homme à la raison vacillante détaché du réel, perdu dans la contemplation intérieure ait ouvert la voie aux pionniers de la science moderne et rendu possible certaines découvertes, dont nous restons encore tributaires.

Quelle fut en effet la période rodolphinienne? Une question pour le professeur Alain Seconds, chercheur à l'Observatoire de Paris et grand admirateur de Rodolphe II. On appelait cette période aussi l'Age de Faust et il faut dire que notre empereur vivait cette période plus qu'intensivement. Il s'entourait de mages, d'astrologues, d'alchimistes, de savants, d'artistes et de philosophes. A Prague, ces hommes formèrent une véritable équipe occupée inlassablement à percer les mystères de la création et de l'invisible.

En 1584, un hôte de marque arrive à Prague. John Dee, astrologue, alchimiste et conseiller de la reine Elisabeth d'Angleterre qui l'avait pensionné. Rodolphe II l'accueillit à bras ouverts et le loge au Château de Prague ainsi que son assistant Edward Kelly. John Dee fait à Sa Majesté un présent inestimable: une pierre magique grâce à laquelle on peut entrer en communication avec les esprits. En réalité, John Dee est un charlatan qui se mêle des affaires de la cour et doit bientôt la quitter. Il n'est pas seul à subir le même sort, beaucoup de « chercheurs » au service de Rodolphe sont chassés de la cour ou terminent en prison. Ceux qui restent jouissent de l'hospitalité de l'empereur comme Kelly, plus habile, qui devient magicien en titre. Il est en effet l'auteur de l'Elixir vitae dont Rodolphe se montre très satisfait.

Parmi les scientifiques étrangers installés à Prague vers la fin du XVIe siècle, il y avait aussi l'astronome danois Tycho Brahé et son successeur allemand Johannes Kepler. Quand la mort de Frédéric II de Danemark laisse le savant exposé à la rancune de ses adversaires, Brahé, dépossédé, quitte son observatoire d'Uranibourg pour errer pendant trois ans en Allemagne avec ses instruments, sa famille et ses assistants, à la recherche d'un nouveau mécène. Il le trouve en la personne de l'empereur d'Autriche Rodolphe II mais nous devons son arrivée à Prague aussi à Tadeas Hajek de Hajek, humaniste et médecin personnel de trois empereurs romains, qui avait rencontré Brahé lors du couronnement de Rodolphe II.

Brahé arriva à Prague en 1599. L'empereur l'accueillit tête nue et lui souhaita la bienvenue en latin. Nommé mathématicien impérial, Brahé vient s'installer tout d'abord à Prague, puis au château Renaissance de Benatky nad Jizerou près de Prague, où il construit un observatoire astronomique très moderne. Ici va paraître en 1602 son Astronomiae Instauratae Progymnasmata - Préludes au renouvellement de l'astronomie. De nos jours, le château abrite un musée avec une exposition consacré au séjour de Tycho Brahé. Rodolphe monta souvent dans l'observatoire de Brahé où il se faisait expliquer l'usage des instruments et regardait la voûte céleste. Mais cédons le micro à Alain Seconds pour nous parler du séjour pragois du savant danois. Rarement savant eut en partage tant d'honneurs, de richesses et de réputation que Tycho Brahé à Prague. Nul ne doutait qu'il savait guérir les maladies et prévoir l'avenir. On vendait partout son élixir contre les épidémies, un mélange de mélasse de teinture, de corail et d'or potable. Le professeur Alain Seconds nous parle des médicaments fabriqués par Brahé. Brahé a annoncé à Rodolphe II plusieurs événements sinistres. Il ne lui cacha pas, par exemple, qu'il mourrait assassiné comme Henri III de France. A la cour on appela Brahé le mauvais esprit de l'empereur...

Tycho Brahé mourut le 24 octobre 1601. Jamais astrologue n'eut pareil enterrement. La cour entière assista à la cérémonie que le souverain avait voulu magnifique. Rodolphe était effondré. Il ne cessa de répéter: « J'ai perdu un grand trésor ». Tycho Brahé mourut d'un éclatement de la vessie, suite à un dîner un peu trop arrosé. Une légende veut qu'il soit mort à la table de Rodolphe II de politesse, car le protocole de cour lui interdisait de se lever de table avant l'empereur. Alain Seconds à propos de cette légende. Qu'importe que cette légende n'est pas vraie! Aujourd'hui, Brahé repose sous les dalles de l'église Notre-Dame de Tyn, dont les deux flèches pointent vers le ciel où Brahé lui aussi regardait souvent.

Au cours du règne de Rodolphe II, Prague devient un centre intellectuel européen important. Mais nous ne le devons pas seulement à Rodolphe mais aussi à son grand père et père qui avaient déjà attiré à Prague beaucoup d'artistes venus pour la plupart d'Italie et de Flandre. Le peintre italien Giuseppe Arcimboldo est le principal d'entre aux. Il a quitté son pays en 1562 pour aller divertir les princes de Habsbourg, Ferdinand 1er, Maximilien II et Rodolphe II. Il excella surtout dans les tableaux appelés « têtes composées », assemblage de végétaux, d'animaux ou d'objets. Tout le monde connaît le célèbre tableau d'Arcimboldo qui présente Rodolphe II sous les traits de jardinier. De cette oeuvre se dégage une grâce poétique. Au premier regard n'apparaît qu'un assemblage ingénieux de fleurs, de fruits et de légumes, mais à y regarder de plus près, on voit Vertumne - un Dieux multiforme qui représente les quatre saisons de l'année et qui est protecteur aussi de l'alchimie. Bien d'autres peintres et sculpteurs vivaient à la cour de Rodolphe II pour ne pas citer que Hans von Aachen, Joseph Heinzt, Georges Hoefnagel, Roelandt Savery de Courtrai, Pieter Stevens de Malines, le peintre et dessinateur flamand Jean Brueghel de Velours, le sculpteur Adrien de Vriès, le graveur Kaspar Lehman et bien d'autres. En dépit de la présence de tous ces artistes, certains ont reproché à Rodolphe II de n'avoir pas inspiré une véritable Ecole de Prague comme François 1er inspira l'Ecole de Fontainbleu. Ce que l'on appelle aujourd'hui le style rodolphinien non seulement ne fut, d'après ces critiques, qu'un rameau du maniérisme international mais ne représenta qu'un aspect de l'art pratiqué à Prague à l'époque. Cette critique est un peu injuste, car elle a tendance à minimiser le rôle d'un mécène incomparable, le premier qui eut l'amour de la peinture traitée en objet de collection. Et collectionneur, l'empereur le fut au suprême degré. Sa riche collection d'oeuvres d'art comprenait nombre de Cranach, de Titien, de Brueghel, de Leonardo da Vinci, de Raffaello Santi, de Lucas van Leyden, de Francesco Mazzola, de Tiziano Vecellio, d'Antonio Allegri et de beaucoup d'autres. Rodolphe II fut à l'origine également de la collection d'art gothique d'Albertina comprenant 30 000 dessins et d'environ 800 000 estampes et aquarelles, conservés à Vienne. Le Musée de Vienne doit à Rodolphe II sept des neufs tableaux qu'il possède d'Albert Durer grâce à son ambition de rassembler chez lui les principales toiles de ce plus grand peintre allemand de la Renaissance. Rodolphe II possédait aussi des centaines de ses dessus et de ses croquis.

Parmi les objets les plus précieux de la collection rodolphinienne, il y avait des bijoux. Selon un témoignage de l'explorateur Jacques Esprinchard, en 1597, la plus précieuse fut une plaque en marbre décorée de pierres précieuses et fines avec, au milieu, un aigle de Habsbourg incrusté de diamants. Son prix fut estimé à 200 000 d'écus. Une fortune à l'époque.

Grâce à tous les artistes réunis sur la cour de Rodolphe II et grâce surtout à l'oeuvre qu'ils avaient créée, le règne de Rodolphe II prit les couleurs de l'âge d'or. Il a réussi à créer un vrai trésor qui mérite notre attention. Après sa mort, la collection resta longtemps telle que Rodolphe l'avait disposée. Puis, par bonheur, les plus belles pièces furent transportées à Vienne avant que les Suédois, ayant pris Prague en 1648, eussent livré le Château de Prague au pillage. Le gardien de la Chambre du trésor n'en donna les clefs que sous la torture. Des convois entiers d'objets d'art partirent pour la Suède. La reine Christine en emporta un grand nombre lorsqu'elle quitta son pays et les légua au cardinal Odescalchi. La collection fut vendue en 1721 au duc d'Orléans, régent de France. A Prague il en restait pourtant beaucoup dont les empereurs n'eurent pas grand souci. En 1782, Joseph II transforma le Château en caserne d'artillerie. Ils s'y trouvaient notamment 3000 tableaux et 18 000 gravures qui furent vendus aux enchères et à bas prix. Nombre d'objets furent brisés, une partie de la bibliothèque mise au pilon. Rappelons que celle-ci abritait des vrais bijoux de la littérature médiévale, dont Codex Gigas, écrit dans les années 1204-1227 et considéré comme le plus grand manuscrit médiéval ou Codex Argenteus écrit en lettre d'argent et d'or au Ve siècle.

Revenons à Rodolphe II. Au début du XVIIe siècle, la situation politique se détériore dans le pays. La guerre froide qui depuis dix ans oppose la France à la Maison d'Autriche se réchauffe de plus en plus et ce qui fut le pire pour Rodolphe, les Etats reconnaissent son frère Mathias comme roi de Bohême. Après avoir appris cette nouvelle, Rodolphe tombe dans une espèce de coma. Lorsqu'il en est sorti, il courrait brusquement à la fenêtre, tendait le poing vers la longue étendue de clochers et de toits qu'il dominait. Prague, cria-t-il, ingrate Prague, tu as été élevée par moi et aujourd'hui tu renies ton bienfaiteur. Que la vengeance de Dieu te poursuive ainsi que toute la Bohême.

Pendant les époques les plus troublées les Pragois devaient se rappeler cette malédiction de l'Empereur qui présida un collège de magicien... Rodolphe tombe malade et le comble de la tragédie - son lion préféré est mort. Il comprend immédiatement ce présage. Il cesse de lutter et se laisse envahir par une apathie profonde. Le 20 janvier à 7h du matin Rodolphe expire. Dans l'oraison funèbre on a parlé de lui comme du souverain par la sagesse duquel la paix fut maintenue dans l'Empire, qui n'avait point de pensées basses, qui méprisa l'ordinaire de la vie et n'aima que l'extraordinaire et le miraculeux... Telle était aussi l'époque de Rodolphe II.

Auteur: Astrid Hofmanová
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