Roland Dumas et l'organisation du petit-déjeuner historique de 1988 avec les dissidents à Prague
L'ancien chef de la diplomatie française Roland Dumas est mort mercredi à 101 ans. Rediffusion à cette occasion d'un entretien accordé à RPI en 2004.
Roland Dumas : « Mon premier voyage en Tchécoslovaquie, comme ministre, remonte aux années 80, en 1984-85, quand j'étais pour la première fois au Quai d'Orsay - avant d'y revenir en 1988 après le changement - et je dois totaliser aujourd'hui plus d'une douzaine de visites à Prague et en République tchèque. Je dois dire que, et c'est peut-être dû au phénomène de l'âge, j'ai toujours considéré que la France avait une dette envers les Tchèques depuis longtemps, avant la guerre, et cela m'a obligé moralement à m'investir un peu plus, comme ministre. Et maintenant comme ancien ministre, je reviens très souvent et découvre chaque fois de nouvelles choses avec une grande joie. »
Vous étiez déjà ministre des Affaires étrangères lorsque François Mitterrand a tenu a rencontré les dissidents tchécoslovaques à la fin de l'année 1988, lors d'un petit-déjeuner resté célèbre...
« Oui, en effet, c'est moi qui l'avais organisé. J'avais fait une première visite ici, du temps de l'ancien régime, et avais pris contact avec les dissidents. Revenu à Paris, j'avais dit à François Mitterrand : 'Il faut vraiment aller à Prague et exiger des autorités du moment de pouvoir rencontrer les opposants'. Cela avait donné lieu du reste à un accrochage assez sérieux avec le président Husak de l'époque, mais ils avaient cédé. Donc ce petit-déjeuner a eu lieu, il est resté célèbre et historique. J'en ai parlé encore hier avec Václav Havel, qui a bien voulu me recevoir. C'est resté comme un grand moment de l'histoire entre nos deux pays. »
Qu'est ce qu'il vous reste, à Václav Havel et à vous-même, de ce petit déjeuner ?
« Beaucoup de choses, on en a profité pour évoquer des anecdotes. Je lui ai rappelé que quand il est entré dans la salle à manger de l'ambassade, il s'est assis à table, à la gauche du Président François Mitterrand. Il a posé son petit baluchon, et s'est excusé auprès de lui en disant : 'Monsieur le Président, je m'excuse beaucoup, mais j'ai pris avec moi mes affaires de toilette parce que, on ne sait jamais, mais il est possible qu'en sortant d'ici, j'aille tout droit en prison.' C'est resté comme une anecdote, que je mentionnerai dans mes mémoires... »
Ce petit-déjeuner a précédé de près d'un an la révolution de velours du 17 novembre 1989. Vous reste-t-il des images fortes de cette période ?
« J'ai des images très fortes, notamment de la date que vous évoquez... J'étais ici pour les premières consultations électorales. Je me rappelle que je me suis promené à peu près toute la nuit, pour aller d'une radio à une autre. Il y avait toutes les radios étrangères qui étaient là. Nous étions avec M. Dienstbier, que je rencontre encore à chacun de mes voyages qui était le ministre tchécoslovaque des Affaires étrangères de l'époque, et nous avons, je dois dire, bien arrosé la victoire et le changement... On était un peu fatigué le lendemain matin... C'est une image très forte. Là j'ai vu le peuple tchèque en liesse, en joie, c'était vraiment quelquechose d'extraordinaire, c'était une libération. J'ai connu la Libération en France, libération d'un autre régime, et c'est tout à fait comparable dans mon esprit. Cette joie populaire, cet engouement, ces chants, les embrassades dans les rues, enfin c'est inoubliable. »