Il y a 25 ans, François Mitterrand partageait son petit déjeuner avec Václav Havel
C’est lors d’une visite de deux jours, la première en Tchécoslovaquie d’un chef de l’Etat français depuis l’indépendance de ce pays en 1918, que François Mitterrand a partagé un petit déjeuner avec plusieurs dissidents tchécoslovaques, dont Václav Havel. Cette rencontre historique, organisée au palais Bucquoy, siège de l’ambassade de France à Prague, et qui symbolisait la reconnaissance du mouvement d’opposition au régime communiste en Tchécoslovaquie, s’est déroulée il y a exactement 25 ans, le 9 décembre 1988.
Cette rencontre, Roland Dumas, qui était à l’époque ministre des Affaires étrangères, a contribué à l’organiser. Radio Prague l’a interrogé en 2004 alors qu’il était à nouveau de passage à Prague :
« J'avais fait une première visite ici, du temps de l'ancien régime, et avais pris contact avec les dissidents. Revenu à Paris, j'avais dit à François Mitterrand : 'Il faut vraiment aller à Prague et exiger des autorités du moment de pouvoir rencontrer les opposants'. Cela avait donné lieu du reste à un accrochage assez sérieux avec le président Husák de l'époque, mais ils avaient cédé. »
Longtemps président de l’association Section de jazz, Karel Srp, l’un des neufs dissidents à avoir partagé le petit déjeuner présidentiel, développe :« Gustáv Husák était au courant de la tenue de ce petit déjeuner. Il était mal à l’aise à ce propos mais par-dessus tout, il souhaitait qu’aucun ancien communiste ne participe à cette rencontre, et surtout pas Alexander Dubček. »
Alexander Dubček, l’ancien leader du Printemps de Prague, est alors assigné à résidence à Bratislava. Car en 1988, malgré le climat de détente qui règne dans le bloc communiste, matérialisé par les réformes de la perestroïka conduites par le soviétique Mikhaïl Gorbatchev, les dirigeants tchécoslovaques n’entendent pas assouplir leur politique orthodoxe. Roland Dumas se souvenait à ce propos d’une anecdote concernant Václav Havel :
« Václav Havel s'est assis à table, à la gauche du Président François Mitterrand. Il a posé son petit baluchon, et s'est excusé auprès de lui en disant : 'Monsieur le Président, je m'excuse beaucoup, mais j'ai pris avec moi mes affaires de toilette parce que, on ne sait jamais, mais il est possible qu'en sortant d'ici, j'aille tout droit en prison.' »Karel Srp confie avoir pris la même précaution. Un autre participant, Petr Uhl, journaliste et signataire de la Charte 77, raconte que les dissidents tchécoslovaques ont remis à François Mitterand une liste de trente personnalités emprisonnées pour leur conscience politique, afin qu’il en parle à Gustáv Husák. Et c’est ce que le chef d’Etat français a fait. Un exemple pour Petr Uhl de ce que devrait être la diplomatie :
« Il faut que ces rencontres aient lieu. Cela serait mon attitude envers la Chine, le Vietnam ou d’autres régimes. Les personnes qui se rendent là-bas et qui viennent de pays se trouvant dans des situations relativement démocratiques, comme la République tchèque, devraient s’y prendre aussi bien que François Mitterrand à l’époque. »Le 10 décembre 1988, Mitterrand est de retour à Paris où est célébré le quarantième anniversaire de l’adoption de la déclaration universelle des droits de l’homme, en présence du syndicaliste polonais Lech Walesa et du physicien russe Andreï Sakharov.
Le même jour, les autorités communistes tchécoslovaques autorisent exceptionnellement la tenue d’une manifestation pour les libertés civiles dans le quartier de Živkov à Prague. Parmi les orateurs à prendre la parole figurent Václav Havel. Près d’un an plus tard, il deviendra le premier président de la République fédérale tchèque et slovaque et, en compagnie du nouveau ministre des Affaires étrangères, Jiří Dienstbier, un autre des participants au fameux petit déjeuner, il effectuera l’une de ses premières visites officielles à Paris pour y rencontrer François Mitterrand.