« Sous les jupes des filles » dévoile l’univers inexploré des femmes
La 17e édition du Festival du film français s’est achevée mercredi dernier. « Sous les jupes des filles », un film de Audrey Dana, présenté au public tchèque à cette occasion, avait reçu un accueil très mitigé à sa sortie en France au mois de juin dernier. Le film, intitulé « Sex v Paříži » en République tchèque, sans doute pour surfer sur le succès de « Sex in the city », s’est donné pour ambition de porter un regard tout à fait inédit sur les femmes, par le biais de onze héroïnes, pour la plupart plutôt franches du collier. Radio Prague a eu le plaisir de rencontrer l’actrice et cinéaste Audrey Dana à Prague, qui est ainsi revenue sur la réalisation d’un premier film qui a su trouver son public puisqu’il a rassemblé plus d’un million de spectateurs en France.
« Ma frustration d’actrice face aux rôles de comédie proposés aux actrices en France. D’abord, on s’est rendu compte, que toutes les grosses comédies étaient tenues par des hommes et donc que les rôles que l’on nous proposait de toujours faire valoir, donc pour servir les garçons, étaient des rôles très éloignés de qui l'on est, et de comment on est. Les filles dans les films français en comédie sont ou toutes blanches ou toutes noires. C’est-à-dire, c’est soit la gentille femme toujours serviable, soit la méchante maîtresse qui pique les maris et qui dit du mal. C’est tellement plus complexe que cela une femme. Aucune femme que je connaisse n’est toute blanche ou toute noire. Du coup, cela devenait risible. Puis, il n’y a pas aussi cette liberté de ton. Alors que nous les femmes, on va tellement plus loin que les garçons dans la manière, par exemple, dont on parle entre nous de sexualité, d’hommes etc. Les garçons entre eux se disent juste ‘tu l’as chopée’, et c’est tout. Nous, les femmes, on parle de tout. Du coup, je me suis dit à quand un film qui parle de nous et qui nous montre comme on est vraiment. Il nous détendrait ce film, il nous ferait déculpabiliser. Forcément, si on voit ça au cinéma, on se dit ‘Ah, je ne suis pas toute seule, je ne suis pas toute seule à avoir mal au ventre, à me poser des questions, à oser. Je ne suis pas toute seule.’ Et ce coup de gueule a été entendu par des producteurs français. Ils sont venus me rencontrer et ils m’ont proposé de faire le film. J’ai mis du temps avant d’accepter, et finalement je l’ai fait. »
Vous décrivez votre film comme « un film de femme pour les femmes, mais qui ne se veut pas féministe ». Quelle était la distance que vous vouliez garder par rapport à vos héroïnes principales pour ne pas tourner un film purement féministe ?« Il y a tout un truc avec ce mot ‘féminisme’. C’est un mot très galvaudé et c’est très compliqué de s’en servir, surtout en promotion. Si on dit, c’est un film féministe, ça fait peur. Les gens entendent ‘revendication’, ‘colère’. Moi, je voulais offrir un divertissement drôle, léger, généreux. Mais soyons clairs, il est hyper féministe mon film. Car le principe même d’inverser les rôles, c’est-à-dire de nous donner des rôles principaux et de donner des rôles très secondaires de faire valoir aux hommes, ou le simple fait de ne mettre aucune femme nue, mais des hommes à poil, c’est profondément féministe. On est 3% de réalisatrices dans le monde. Donc a priori, une femme qui fait un film, c’est féministe. Après je préfère le mot humaniste, parce que je suis pour la parité absolue, aussi bien pour les femmes que pour les hommes. En promo, en France, on a fait attention à ne pas se servir du mot féminisme, pour ne pas faire peur. Car ce qui compte, c’est ce que véhicule le film. Je voulais qu’il y est le plus de gens possibles dans les salles, pour que le film fasse son effet, agisse par lui-même. Il y a des féministes, qui ont entendu que l’on ne se disait pas féministes, et que ça a énervé très fort. Donc aujourd’hui, je fais attention. Si on est objectif, et que l’on regarde mon film, il est très féministe. Mais c’est du féminisme positif, sans colère contre les hommes. »
Justement par rapport aux hommes, si ce film était destiné aux femmes, quelle est la place que vous avez accordez à l’homme dans tout cela, dans la mesure, où même s’ils sont au second plan, les hommes sont omniprésents ?« Les hommes y sont omniprésents, parce que je pense qu’ils sont omniprésents dans la vie des femmes. Et on ne peut pas parler des femmes, sans parler des hommes. J’adore parler aux chauffeurs de taxi, parce qu’ils nous connaissent, à la fois les hommes et les femmes. Car ce sont eux que l’on oublie lorsqu’on est assis derrière et on se lâche. A chaque fois que je monte dans un taxi je demande : ‘alors quelles sont les anecdotes rigolotes que vous avez à me raconter ? que pouvez-vous dire des hommes, des femmes ?'. Quand elles sont en voiture, et si elles sont avec quelqu’un d’autres, les femmes parlent toujours de mecs. Les mecs, eux, ils ne parlent que de travail. Et pourtant, sexuellement, il y a beaucoup plus de pensées érotiques dans la vie d’un homme, que dans la vie d’une femme. Selon une étude, il y a 6 000 pensées érotiques par jour chez l’homme. En gros, il ne pense qu’à ça. Nous, pas du tout. Ce n’est pas sexuel, mais ça prend toutes nos pensées, parce qu’on a du mal avec les mecs, et qu’en même temps on en a besoin. Je parle bien évidemment des mecs ou de l’autre, car on peut être homosexuel, donc ce sera ‘l’autre'. »
Chaque personnage féminin de votre film a un trait de caractère particulier ou même un trait physique qui ressort, comme le tic de Fanny, incarnée par Julie Ferier dans le film. Est-ce que cela a aussi été un peu le fil conducteur du film, de travailler avec ces différents traits de caractère saillants ?
« On fait une comédie, donc les curseurs sont haut. Comme l’idée d’ensemble du film était de tenter de créer un peu le portrait de la femme d’aujourd’hui avec ces onze femmes. Mais onze ce n’est jamais assez, il en faudrait deux cents pour commencer à avoir quelque chose qui nous ressemble, tellement on est complexe. Forcément j’ai poussé les curseurs très hauts, l’hormonale est très hormonale, donc tout est ‘très, très, très’, de manière à ce que cela devienne subtil, si ça n’est qu’une personne. C’est l’idée principale : que l’on a un peu de chacune d’elles en nous ».Y-avait-il vraiment cette volonté de dépeindre la réalité, en la caricaturant ?
« Oui, en la caricaturant et en disant, nous ne sommes ni l’une, ni l’autre, et pourtant et l’une, et l’autre. Nous sommes un peu de toutes. Tous les gens qui me connaissent me disent que ce film me ressemble énormément, parce qu’il y a un peu de moi dans tout, dans chaque femme. Je suis la maman, mais je suis aussi la travailleuse, je suis aussi celle qui des fois est complètement animale, j’ai mes hormones - mais mon dieu pas au point de Jo (personnage incarnée par Audrey Dana dans le film, ndlr) parce que sinon je me foutrais en l’air -, je suis même un peu l’homosexuelle, je suis la cocue, j’ai été cocue comme toutes les filles à un moment ou un autre. Donc je suis un peu de tout ça et pourtant je n’en ressemble à aucune en vrai. »
Vous avez donc puisé dans votre propre personnalité pour les différents personnages du film ?
« Oui, et pas que. J’ai aussi rencontré des centaines de femmes en interview, à qui j’ai posé des questions sur leur place aujourd’hui dans le monde d’aujourd’hui. J’ai parlé avec les actrices, j’ai puisé dans ma vie. J’avais deux co-auteurs, donc on était trois femmes. On a pris dans tout ce qui nous entourait. »La relation entre le corps de la femme et son psychisme est pratiquement indissociable tout au long du film. Est-ce que vous ne craignez pas que l’on va vous condamner de ramener tout au corps de la femme ?
« On m’a condamnée. Certaines personnes ont été très violentes par rapport à cela, disant que nous ne sommes pas des animaux, mais des êtres pensants, intellectuels. D’abord, tous mes personnages ne sont pas reliés au corps. Il y en a un qui l’est très fort et il se trouve que c’est le mien. Cela a donc pris beaucoup de place dans la tête des gens, alors que pour moi ce n’était qu’un personnage. Par exemple à un moment, le personnage de Laetitia Casta me dit « J’y comprends rien à tes hormones ». Cela veut donc dire que toutes les femmes ne sont pas hormonales. Il y en a qui les sentent plus fort que d’autres. Mais Casta, elle a aussi des problèmes de corps. C’est son corps qui la rattrape. Mais par exemple, Ysis (jouée par Géraldine Nakache, ndlr), la mère de famille, quel est son rapport au corps ? Il y a du désir, mais c'est tout. Pour Inès (interprétée par Marina Hands, ndlr), c’est pareil. Il y a donc plein de personnages qui ne sont pas reliés au corps. Maintenant, je pense que le corps et l’esprit sont complètement reliés. J’ai un singe tatoué dans la nuque, pour ne pas oublier d’où je viens. Car des fois on se prend trop la tête. Des fois à trop intellectualiser, on se crée des problèmes qui n’existent pas. Je suis quelqu’un de très animal. Et la dernière scène du film, où il y a toutes ces femmes qui dansent, c’est animal, c’est terrien, c’est vivant, organique. Parce que je suis quelqu’un comme ça profondément. Il y en a qui l’ont reproché, mais je m’en fous en fait. Si on se rappelait un peu plus que l’on avait un corps, alors on serait beaucoup moins malheureux. Il y en qui m’ont même traitée de misogyne, que je n’aimais pas les femmes, et que je ramène tout à l’utérus. Ils n'ont rien compris à mon film. Ce n’est pas grave. Tant qu’il fait du bien à d’autres, c’est ce qui compte. Et le film a fait du bien à beaucoup de femmes, parce que j'ai reçu des témoignages. Puis il a fait un million et demi d’entrées en France. De toute façon ce film a été autant détesté que adoré. Donc, c’est bien que l’on a mis le doigt, là où ça faisait mal. »
Par rapport à vos projets futurs, quels sont vos plans ?
« J’ai été très perturbée à la sortie de « Sous les jupes des filles », parce que j’espérais qu’il fasse du bien. Je ne penserais pas qu’il ferait du mal. Il y a des gens qui sont tellement fermés, qu'ils ont eu mal, ils ont eu la sensation d’être emprisonnés. Alors que moi je faisais un film pour libérer. Cela a été très dur pour moi, j’étais perdue, je ne savais pas ce que j’allais faire après. Je voulais d’ailleurs tout arrêté, je ne voulais plus jamais faire du cinéma. J’ai un peu peté les plombs alors que ça cartonnait. Mais ça m’a tellement fait mal. Je n’ai pas compris que les gens le prennent aussi mal. Cela m’a permis de comprendre où j’habitais et c’était très intéressant au bout du compte. J’ai d’abord eu très peur, puis plus peur, puis plus du tout peur. Je vais un cran plus loin. Je vais refaire une comédie avec des femmes, mais il y aura une héroïne et le film va s’appeler ‘Si j’étais un homme’. On va vraiment parler des hommes, mais à travers le regard de femme, les corps des femmes. Et le concept est osé, très, très osé. »