Star du cinéma tchécoslovaque et maîtresse de Goebbels, Lída Baarová renaît au cinéma
Deux films, l’un documentaire, l’autre de fiction, sont à voir depuis peu dans les salles de cinéma de République tchèque. Tous deux s’intéressent, chacun à leur façon, au destin de l’actrice Lída Baarová, grande star du cinéma tchécoslovaque de l’entre-deux-guerres qui a été la maîtresse du ministre de la propagande nazie, Joseph Goebbels, peu avant la Seconde Guerre mondiale. Une vie de succès phénoménaux mais aussi de chutes vertigineuses, dignes d’un film, et même de deux…
Elle tourne une trentaine de films en Tchécoslovaquie, mais accepte surtout, en 1934, un contrat de l’UFA, la célèbre société de production cinématographique allemande dont les studios se trouvent à Babelsberg, près de Berlin. Si ces studios sont d’abord à l’origine de grands films du cinéma allemand comme Métropolis ou Le docteur Mabuse, de Fritz Lang, ou encore l’inoubliable Ange bleu mettant en scène la grande Marlene Dietrich, qui émigrera ensuite aux Etats-Unis pour fuir le régime nazi, Lída Baarová ne choisit pas la voie de sa collègue allemande et profite de l’occasion en or qui se présente à elle. Fatale décision qui fait de Lída Baarová une des figures emblématiques du cinéma de l’Allemagne tout juste passée sous la botte nazie. L’actrice tchèque suscite l’intérêt du Führer d’abord, puis de son puissant ministre de la propagande, Joseph Goebbels, qui l’adule au point de vouloir divorcer. Hitler mettra un terme à cette relation, à la demande de la femme de Goebbels.
Zkáza krásou est le tout dernier documentaire de Helena Třeštíková, réalisé en collaboration avec Jakub Hejna et sorti dans les salles début janvier. Dans les années 1990, elle s’est rendue à Salzbourg, où Lída Baarová, accusée de collaboration avec les nazis, a émigré après 1948, pour l’interroger sur cette vie à rebondissements. Lída Baarová a souvent été accusée de se trouver l’excuse de la jeunesse pour justifier sa relation avec l’un des hommes les plus puissants du Reich. Helena Třeštíková donne son point de vue sur la question :« Je pense qu’elle s’est rendu compte qu’il s’agissait là d’un homme important et puissant, qui avait un rôle majeur en Allemagne. Les gens disaient à Lída Baarová des choses du type : ils essayent de faire en sorte qu’il n’y ait pas de chômage, que les gens se portent bien. Je ne sais pas dans quelle mesure elle l’a cru, dans quelle mesure il n’y avait pas une sorte de stylisation comme quoi elle ne s’intéressait pas à la politique, dans quelle mesure tout cela était vrai. Une chose est sûre : cette relation avec Goebbels a existé et elle en a été l’actrice. »
Jeudi 21 janvier, un autre film sur cette femme fascinante et controversée qu’a été Lída Baarová est sorti en salles : un film de fiction, où l’actrice est incarnée par la jeune comédienne slovaque Táňa Pauhofová. Réalisé par Filip Renč, ce biopic se concentre essentiellement sur les années allemandes de la carrière de Lída Baarová. Zdenka Prochazkova y incarne Lida Baarova à la fin de sa vie, dans son exil autrichien. D’une dizaine d’années sa cadette, Zdeňka Procházková a toutefois bien connu le monde des actrices tchécoslovaques de l’entre-deux-guerres. Et elle est sévère dans son portrait de la star :« Je n’aimais pas beaucoup Lída. Je pense qu’elle était réellement une carriériste qui aurait fait n’importe quoi pour sa carrière. J’ai connu la guerre et tout ce qui allait avec. Quand on pense qu’à cette époque, elle tournait dans des films allemands, des films de propagande ! Evidemment, elle était très belle et adorée en Allemagne. Mais c’est quand même quelque chose que je n’ai jamais réussi à comprendre… »
Après la guerre, accusée de collaboration avec l’ennemi, Lída Baarová tombe de son piédestal et entraîne ses proches dans sa chute. Interrogée par la police, sa mère meurt d’une crise cardiaque. Sa sœur, Zorka, comédienne de théâtre, est empêchée dans sa carrière en raison de la tache indélébile laissée par Lída. Elle se suicidera en 1946.Exilée en Autriche, Lída Baarová jouera toutefois encore dans plusieurs productions étrangères, et même pour Federico Fellini. Mais la fin de sa vie est marquée par la solitude, comme l’a constaté Helena Třeštíková. En dépit des aléas de son existence mouvementée et des drames familiaux qui l’ont jalonnée, Helena Třeštíková relève avec étonnement qu’au crépuscule de sa vie, Lída Baarová n’avait qu’un seul regret :
« Assez curieusement, elle regrettait amèrement d’avoir refusé une proposition d’Hollywood en 1938. A ce moment-là, elle était une actrice allemande reconnue et sa relation avec Goebbels était sans doute très intense. Elle a dû avoir peur de briser cette carrière prometteuse en Allemagne. Elle a donc refusé, et elle l’a toujours regretté. Sa mère est décédée, sa sœur s’est suicidée, et pourtant son plus grand regret, c’est Hollywood. La puissance de ce regret est presque disproportionnée par rapport à ces deux événements. »On ne peut aujourd’hui que spéculer sur la direction qu’auraient prise la vie et la carrière de Lída Baarová si elle avait choisi Hollywood plutôt que Berlin. Mais peut-être ce regret était-il si fort parce qu’elle savait que ce choix lui aurait sans doute épargné ces drames personnels et une réputation à jamais entachée.