Tabook : « Un petit éditeur, c’est quelqu’un d’un peu fou »

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La deuxième édition de Tabook, festival international consacré aux petits éditeurs, s’est tenue du 3 au 6 octobre dernier à Tábor. La ville pittoresque en Bohême du Sud a réuni éditeurs, auteurs et traducteurs, ainsi que de nombreux visiteurs. Cette deuxième édition s’est intéressée plus particulièrement au livre d'image d’auteur et à la traduction.

Tereza Horváthová,  photo: Site officiel de Baobab
Le festival est organisé par Tereza Horváthová, directrice de Baobab. Cette petite maison d’édition familiale basée à Tábor se spécialise dans la littérature de jeunesse. Mais qu’est-ce qu’une 'petite' maison d’édition ? Selon quels critères Tabook choisit-il ses invités ?

« J’appelle ça les petits éditeurs de qualité. Ce sont des éditeurs choisis, leur production n’est pas commerciale, elle est même souvent très minoritaire. Ce sont des fans du livre. Disons que, pour moi, il existe plusieurs sortes de petits éditeurs. Il y a ceux qui veulent uniquement gagner de l’argent. Ils commencent par être petits éditeurs, puis ils deviennent grands, etc. On n’en trouve pas beaucoup ici parce qu’on est un petit pays. Mais je pense qu’un petit éditeur ‘de cœur’, c’est quelqu’un qui veut faire des livres de qualité et qui s’oriente vers quelque chose qu’il aime vraiment. C’est quelqu’un d’un peu fou. Qui choisit une vie difficile. »

Le programme de cette deuxième édition était centré autour de deux grands thèmes : le premier porte sur la traduction et le rôle des traducteurs, acteurs souvent invisibles du monde littéraire. Les splendeurs et misères du métier de traducteur ont été présentées lors de plusieurs tables rondes et colloques. Le public a pu rencontrer plusieurs traducteurs tchèques biens connus (Václav Jamek, Jiří Pelán ou Kateřina Vinšová parmi les plus connus). Mais des traducteurs anglais, espagnols ou français de la littérature tchèque ont également présenté les particularités de leur travail. Des particularités non seulement linguistiques, mais aussi des difficultés techniques de la diffusion de la culture tchèque à l’étranger.

'Saisons',  photo: Baobab
Le deuxième thème portait sur le livre d’images d’auteurs. La France était représentée par l’auteur et l’illustrateur Blexbolex, dont les albums L’imagier des gens (2008), Saisons (2009) et le tout nouvel album Romance (2013) ont récemment été traduits et publiés par les éditions Baobab. Lectures publiques, séances de dédicaces, ateliers, conférences et concerts ont animé la ville du matin au soir :

« Toute la ville vit pour Tabook, parce que les présentations ne se passent pas uniquement dans la tente centrale, mais aussi dans les cafés, dans la grande salle de Střelnice (il s’agit à l’origine d’une salle destinée aux soirées dansantes, aujourd’hui c’est malheureusement devenu une salle de conférences) et dans d’autres espaces bien sûr, dans des galeries, dans des librairies, etc. Il y en a partout. Tabook est partout ! »

Photo: Facebook du festival Tabook 2013
Un des noms qui a le plus résonné à Tábor cette année a été celui de l’auteur et dramaturge parisien Timothée de Fombelle. Ses romans Tobie Lolness et Vango ont connu un grand succès international. Ces deux diptyques, publiés en France successivement en 2006, 2007, 2011 et 2012, ont été traduits respectivement en vingt-huit langues étrangères pour le premier et quinze pour le second. Nous avons demandé à l’écrivain français comment il trouvait les éditions tchèques des ses romans, publiées également chez Baobab :

Timothée de Fombelle,  photo: Georges Seguin,  CC BY 3.0 Unported
« J’ai eu beaucoup d’éditeurs étrangers, j’ai cette chance là, et c’est vrai que cette aventure qui est arrivée avec les éditions Baobab est assez merveilleuse. Par exemple, pour Tobias Lolness, toutes les couvertures étaient les mêmes dans tous les pays, sauf en République tchèque, où il y a eu une création complètement nouvelle des couvertures. J’ai trouvé ça absolument magnifique et je me bats maintenant pour que les couvertures tchèques arrivent en France aussi. Puis il y a la traduction également. J’ai un lien très fort avec ma traductrice et ça a été une très belle rencontre. »

Timothée de Fombelle était déjà venu en République tchèque, à l’occasion de la sortie de son premier roman Tobie Lolness (Tobiáš Lolness en tchèque) en 2007. C’est avec impatience qu’il attendait de revenir pour assister à ce festival hors du commun:

Photo: Baobab
« C’est une découverte, effectivement, et j’adore. C’est exactement l’échelle de festival que j’adore. Il y a de grandes foires où je passe de temps en temps, mais très peu finalement. J’essaye toujours de repérer des endroits où il y aura de l’humain derrière les livres, où il n’y a pas seulement une grosse machine. Je pense aux grandes foires de Bologne, de Francfort… Tábor, ce n’est pas Francfort, et heureusement ! Pour le moment, toutes les relations que j’ai eues, avec des lycéens, avec des lecteurs etc., ont été des relations individuelles pour le moment. Et ça, c’est quelque chose de très fort. »

Parmi la quarantaine d’éditeurs présents à Tábor, Yara Nascimento est venue présenter MeMo, une petite maison d’édition nantaise spécialisée dans la littérature pour enfants, et qui fête cette année ses vingt ans d’existence.

Photo: Éditions MeMo
En collaboration régulière avec Xavier Galmiche, professeur à l’Université Paris Sorbonne, enseignant de littérature tchèque et traducteur, les éditions MeMo ont publié en 2007 pour la première fois l’édition complète du célèbre livre de Josef Čapek Histoires de chien et de chat (Povídání o pejskovi a kočičce).

« C’est un auteur qui est connu en France pour ses textes, car certains sont déjà parus. Mon histoire préférée quand j’étais petite était ‘L’historie du gâteau cent fois bon’, qui était le seul publié en France avant qu’on ne publie le recueil complet des Histoires de chien et de chat, et on a décidé de reprendre l’illustration de l’auteur qui nous semblait vraiment riche, et qui apportait quelque chose au texte. On l’a fait dans une collection qui s’appelle ‘Les classiques étrangers pour tous’, dans laquelle on publie les livres qui ont été ceux des enfants d’un pays. Dans le cas de Josef Čapek, cela fonctionne très bien, puisque c’est vraiment une référence. Je le vois ici, tout le monde le connaît, tout le monde l’a chez soi, et donc on se dit que si c’est un livre des enfants de tout un pays, sans doute les enfants d’un autre pays l’aimeront aussi. »

Photo: Éditions MeMo
La littérature tchèque pour enfants a décidément retenu l’attention de cette petite maison d’édition qui remplit toutes les exigences du festival Tabook. Avec le même amour, d’autres grands noms de la littérature tchèque pour enfants sont parus ou vont paraître prochainement. Yara Nascimento :

« Nous avons publié aussi Josef Lada, Tony casse-cou, et on prévoit de traduire aussi Karel Čapek, on va sans doute faire l’année prochaine Dášeňka avec les photos de l’auteur et avec les illustrations auxquelles il avait pensé à l’époque, et peut-être aussi Zdeněk Miler, Kuřátko a obilí, qui est un livre vraiment charmant, avec une histoire simple et des illustrations de qualité. On ne demande pas beaucoup plus à un livre pour enfants. »

'Kuřátko a obilí',  photo: Knižní klub
L’univers des petits éditeurs est passionnant et enthousiasmant. Bien que désavantagés par rapport aux grandes maisons d’édition du point de vue financier, les petits éditeurs et tous ceux qui participent à leur travail ont pu s’assurer grâce à Tabook que les lecteurs ont toujous besoin d’eux. Le livre numérique présenterait-il un danger pour eux ? Tereza Horváthová estime que non :

Photo: Facebook du festival Tabook 2013
« Pour Baobab, le livre numérique ne présente pas une menace, parce que ses livres sont tournés vers un public jeune, un public d’enfants. Je ne peux même pas imaginer que les enfants aient des livres numériques ou des ordinateurs, parce que c’est quand même différent de toucher, de regarder, de feuilleter... C’est une question de sensation. Même pour un petit enfant, je pense que chaque parent choisira plutôt un vrai livre plutôt qu’un livre numérique. »

Tabook ne devait être, au départ, qu’une sorte de rencontre informelle des petits éditeurs dont la production ne trouve pas sa place dans les grandes foires du livre internationales. Mais visiblement, le petit festival est déjà devenu une grande référence.