Tereza Riedlbauchová : faire revivre les salons littéraires pour sortir du quotidien…
Comment décrire Tereza Riedlbauchová ? Poète, enseignante, éditrice, chercheuse, la jeune femme multiplie et décline les activités autour de sa passion, la poésie. Les quatre recueils qu’elle a publiés jusqu’à présent révèlent une langue imagée et un goût pour l’intime. L’atmosphère confidentielle de ses poèmes se retrouve dans les soirées artistiques qu’elle organise dans son appartement. Du charme désuet de ces salons littéraires est né un nouveau projet : une maison d’édition. Personnage incontournable de la vie littéraire pragoise, Tereza Riedlbauchová a aussi conquis la capitale française. Durant ses cinq années passées à Paris, elle n’a eu de cesse d’œuvrer à la collaboration littéraire entre les deux villes. Elle souhaite aujourd’hui développer une collection bilingue franco-tchèque. Rencontre avec une jeune femme pleine d’avenir...
« J’ai commencé à écrire des nouvelles à l’âge de onze ans. Je passais tous mes étés à écrire et à lire. Je suis donc un peu née comme ça avec l’écriture. J’ai débuté la poésie à l’âge de quinze ans, mais je n’ai publié mes textes qu’à partir de mes dix-huit ans. »
Votre poésie peut être qualifiée d’intimiste. Trouvez-vous votre inspiration dans le quotidien et peut-on dire que votre poésie consiste précisément en une esthétisation du quotidien ?
« Oui, comme vous l’avez remarqué, j’esthétise beaucoup le quotidien. C’est important pour moi de retourner vers le passé. Je m’inspire énormément de la littérature classique. Je trouve que dans la poésie contemporaine, surtout tchèque, l’expression du quotidien est assez simple et dépouillée, avec très peu de métaphores. Je préfère pour ma part esthétiser en renouvellant un certain pathos ou en réactualisant des mythes. »Une femme qui écrit de la poésie et qui traite de l’intime, est-ce courant en République tchèque ? Peut-on qualifier votre poésie d’écriture féminine ?
« Je sais que la plupart des poétesses tchèques n’aiment pas du tout les termes d’écriture ou de poésie féminines. Dans mon cas, je n’ai rien contre. Mon écriture est assez féminine et intime. Cette catégorie est cependant restreinte. Je pense que quelque chose dans mon destin personnel doit s’ouvrir et exprimer un geste plus général. »
En parlant de poésie intimiste, vous avez d’ailleurs remis au goût du jour le concept de salon littéraire. Pourriez-vous nous expliquer comment se déroulent ces salons et pensez-vous que poésie et salons font bon ménage ?
« J’ai consacré mes recherches littéraires au XIXe siècle et cela m’a beaucoup inspirée. J’ai, entre autres, travaillé sur les manuscrits d’une femme qui menait des salons littéraires à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Je me suis dit que j’aimerais essayer d’organiser quelque chose de similaire à notre époque, même si cela peut paraître un peu anachronique. Certains trouvent cela assez étrange de faire des salons à notre époque. J’avais toutefois envie d’ouvrir l’espace où je vivais aux écrivains et artistes. Je voulais leur proposer de passer une soirée avec l’art, avec leur art, tout en regardant la place de Notre-Dame de Lorette. Mon ancien appartement était en effet très bien situé. L’idée était donc de sortir un peu du quotidien, de vivre quelque chose d’exceptionnel. Il y a beaucoup d’événements dans les cafés littéraires mais très peu dans le privé. J’ai déménagé depuis peu et, pour le moment, je ne sais pas encore si je vais continuer. Beaucoup de gens me demandent de continuer mais je ne sais pas encore… »Vous êtes donc une passionnée de littérature tchèque. Vous avez d’ailleurs obtenu un doctorat de littérature tchèque à l’université Charles mais vous avez aussi étudiée le français. Vous habitez à Paris pendant cinq ans et vous avez également été lectrice à la Sorbonne. Pourquoi avoir choisi le français, est-ce la littérature ou les fameux salons littéraires à la française qui vous ont attirée ?
« J’ai grandi à Prague à proximité d’une famille bilingue, la famille Páleniček. Jan Páleniček est musicien et sa femme est française et enseigne l’histoire. Avec ma sœur, nous avons donc grandi avec deux garçons qui parlaient tchèque et français. C’était aussi une famille très cultivée. Depuis mon enfance, j’ai ainsi été baignée dans la culture française ici à Prague. Mon père s’intéressait aussi beaucoup à la musique classique française et à la littérature et la poésie. J’ai donc été nourrie par la culture française depuis mon plus jeune âge. »
Paris et Prague sont deux villes qui ont toujours fasciné les écrivains et les artistes. Vous avez eu la chance de vivre dans ces deux villes, ont-elles une influence sur votre création ? Comment les décririez-vous ?
« Bien sûr ! Prague apparaît surtout dans mon quatrième recueil, Don Vítor si hraje a jiné básně, que l’on peut traduire par ‘Don Viktor joue et autres poèmes’. A la fin de ce recueil, il y a déjà quelques réflexions inspirées de mes débuts à Paris. Je reflète aussi beaucoup dans ma poésie tout ce que j’ai vécu à Paris ou bien pendant les nombreux voyages que j’ai faits ces dernières années. Je pense que ces inspirations seront vraiment perceptibles dans les nouvelles que je suis en train de commencer. Je veux essayer de refléter la vie entre ces deux villes. »En parlant de Paris, on peut dire qu’à l’exception de Milan Kundera, la littérature tchèque reste assez méconnue en France et, en règle générale, les productions artistiques tchèques ou d’Europe centrale, qu’elles soient littéraires, cinématographiques ou musicales, sont très peu diffusées en France et en Europe occidentale. Pensez-vous que plus de vingt ans après la chute du mur de Berlin, l’Europe soit encore d’une certaine façon coupée en deux ? Czesław Miłosz parlait, pour décrire l’Europe centrale de cette « autre Europe », ce concept est-il, selon vous, encore d’actualité ?
« Il y a eu beaucoup de changements en Europe centrale et en Europe de l’Est. Je trouve qu’il y a tout même toujours une grande différence. Si je parle plus précisément de la République tchèque, je trouve que c’est encore assez fermé culturellement. Il n’y a pas beaucoup d’échanges internationaux et je pense que cette situation n’est pas sur le point de changer. Il faudra encore du temps avant que Prague ne devienne une vraie ville internationale. Je pense qu’il manque encore une grande ouverture vers l’Europe de l’Ouest. »
Vous avez justement organisé plusieurs festivals littéraires entre la France et la République tchèque. La littérature tchèque peut-elle intéresser les français ?
« Je pense que oui. Les poètes français qui sont venus à Prague étaient vraiment fascinés par la ville, par le festival et par la littérature tchèque. Il y a, de leur côté, une très grande ouverture. Deux jeunes poètes françaises ont créé une revue littéraire, A verse, consacrée à la jeune poésie. Elles contactent toujours les tchèques, demandent à publier leurs poèmes et veulent continuer à réaliser des projets franco-tchèques. Du côté de la jeune littérature française, il y a donc beaucoup d’intérêt pour les productions tchèques. Il y en a aussi du côté tchèque, mais comme je l’ai déjà remarqué, je pense que les français sont beaucoup plus ouverts à des projets internationaux que les tchèques. »Vous avez récemment ouvert une petite maison d’édition qui s’appelle Literární salon. Quels types d’ouvrages publiez-vous ?
« Cette petite maison d’édition est née des lectures que j’ai organisées dans mon appartement. J’ai en effet rencontré des personnes qui écrivaient de bons textes mais qui ne parvenaient pas à trouver d’éditeur. J’ai donc commencé par publier les poètes qui fréquentaient régulièrement ces lectures. Après cela s’est élargi, j’ai commencé à recevoir des textes ou j’ai cherché moi-même des auteurs. Il s’agit surtout de poètes entre vingt-cinq et quarante ans qui débutent en poésie. J’ai créé cette année un autre format, plutôt destiné aux auteurs déjà renommés. A partir de l’année prochaine, je vais également me lancer dans l’édition bilingue. Le premier livre sera d’ailleurs publié avec une maison d’édition parisienne en version franco-tchèque. »Beaucoup de projets en perspective ! Après quelques années entre Paris et Prague, vous êtes aujourd’hui de retour dans votre ville natale, est-ce définitif ? Quels sont vos projets pour l’avenir ?
« En quittant Paris, je n’ai pas voulu considérer cela comme un départ définitif. J’aurais été trop triste sinon. Je me suis donc dit que je m’installerai de nouveau à Prague et que je resterai un an. Je verrai ensuite, si tout va bien, je vais peut-être rester ici, mais si Paris et la France me manquent trop, j’essayerai d’y retourner. Sinon j’ai énormément de projets ! Je vais continuer la recherche, l’écriture, la maison d’édition et ce nouveau format d’édition en version bilingue. Je souhaite surtout écrire ces nouvelles qui devraient refléter la vie entre Paris et Prague. J’espère ainsi que l’écriture m’aidera à digérer la séparation avec Paris… »
Tereza Riedlbauchová organise mardi 6 septembre une soirée de présentation des trois dernières publications de sa maison d’édition. Wanda Heinrichová, Milan Šťastný et Jan Riedlbauch liront ainsi en avant-première des extraits de leurs derniers opus. L’évènement se tiendra dans le café du théâtre Na prádle et réunira de nombreuses personnalités de la scène littéraire tchèque. Un vernissage tout en poésie et en musique qui promet de belles surprises !