TISA : un nouveau traité qui menace les services publics européens
Alors que se poursuivent les négociations, menées dans la confidentialité, du traité transatlantique (TTIP), lequel soulève de nombreuses critiques, un nouveau projet de traité suscite bien des inquiétudes, le TISA (Accord sur le commerce des services), qui vise à libéraliser le domaine des services, et donc potentiellement le secteur de la finance mais aussi par exemple ceux de la santé ou de l’éducation. Une cinquantaine de pays sont concernés, dont les Etats-Unis et l’Union européenne. Le 4 juillet 2013, tandis qu’aucune étude d’impact n’a encore été réalisée, les eurodéputés validaient le mandat de négociation pour la Commission européenne. Radio Prague a donc sollicité quelques eurodéputés tchèques pour connaître leur point de vue, ainsi que l’économiste Ilona Švihlíková, qui émet de nombreuses réserves sur un texte qui présenterait un risque pour les services publiques européens.
Paradoxalement, c’est ainsi que Libor Rouček, eurodéputé social-démocrate entre 2004 et 2014, commente l’une des informations contenues dans un document de travail révélé en juin dernier par Wikileaks sur le chapitre des négociations concernant le secteur de la finance et selon laquelle le projet de traité devait rester secret pendant les cinq années suivant son éventuelle entrée en vigueur.
Ainsi, l’existence du TISA n’est connue que depuis cet été quand certains médias ont commencé à relayer les rares informations qui fuitent à son propos. Pourtant dès juillet 2013, les députés européens auraient pu s’en faire l’écho, eux qui ont très majoritairement voté en faveur de l’ouverture de ces négociations secrètes. Sur les vingt-deux représentants que comptait la République tchèque durant la précédente mandature, dix-sept ont dit oui, les sociaux-démocrates et la droite, trois ont dit non, les membres de la gauche unitaire européenne (GUE/NGL) et deux étaient absents.
A leur décharge, et quelques eurodéputés ont refusé de répondre aux questions de Radio Prague en invoquant cet argument, ces parlementaires votent généralement une ribambelle de textes en un temps limité. Un an plus tard beaucoup ne se souviennent plus de ce document en particulier quand d’autres, suivant la discipline de leur groupe, ont tout simplement voté sans savoir de quoi il retournait...
Ainsi l’eurodéputé Jan Zahradil, du parti civique démocrate (ODS), et affilié au groupe conservateur européen, ne se rappelle pas précisément du vote en question et se refuse à commenter tout document émanant de Wikileaks, document qu’il considère être obtenu frauduleusement et dont la fiabilité serait en conséquence nulle.
L’économiste Ilona Švihlíková, qui milite par ailleurs contre le projet de traité transatlantique, commente ainsi la difficulté des eurodéputés mais aussi des médias à relayer les décisions importantes prises à Bruxelles ou Strasbourg :« Ce n’est pas seulement la question de la quantité des informations. Nous devons tous trier un nombre très élevé d’informations. Le problème est que les eurodéputés n’arrivent pas à évaluer l’importance des données. Nous voyons dans l’Union européenne que l’attention politique est trop souvent concentrée sur des détails sans grande importance. En revanche, le vote de projets qui pourraient influencer la vie de millions de personnes peut passer inaperçu. Cela est lié à un problème plus large qui est l’incapacité des élites de comprendre les dynamiques qui sont à l’œuvre dans le monde. »
Ilona Švihlíková poursuit :
« Les politiciens doivent prendre conscience du fait qu’ils n’ont été élus par Dieu, mais ont reçu leur mandat des citoyens qui craignent ce type de projets. D’autant plus que l’accès à l’information est très disproportionné. Nous savons grâce à Wikileaks que, d’un côté il y a les groupes influents de lobbyistes ayant l’accès à l’information et de l’autre la masse des citoyens, dont certains sont engagés, qui ne savent rien du tout. Cette manière de négocier contribue à la montée des séparatismes au sein de l’Union européenne qui refusent l’intégration sur des principes pareils. »
Aussi, les eurodéputés interrogés sur le TISA ont une certaine tendance à évoquer des éléments qui concernent en fait le traité transatlantique, lequel prévoit l’ouverture d’un grand marché de libre-échange entre les Etats-Unis et l’Union européenne. Un des aspects des négociations sur cet accord devrait d’ailleurs porter sur les services. Ce qui permet à l’eurodéputé communiste Miloslav Ransdorf, opposé à ces traités réalisés selon lui dans le seul intérêt des multinationales, de remarquer :
« C’est pratiquement la même ligne de négociation, la libéralisation des marchés mondiaux. Je sais que c’est la ligne officielle de l’Union européenne et nous avons négocié aussi avec le Commissaire au commerce Karel De Gucht à propos d’ACTA. C’est la même ligne. »
Mais le traité transatlantique pourrait s’avérer insuffisant pense Jan Zahradil…
« Ce traité transatlantique est un accord dont les négociations vont durer des années. C’est une chose qui au Parlement européen a déjà un aspect controversé ou disons politisé. Je pense que le futur traité transatlantique ne comprend pas de volet sur les services et bien il est possible d’en discuter séparément, par exemple dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). »Mais c’est précisément parce que les négociations au sein de l’OMC sont bloquées que sont menées ces négociations multilatérales visant à toujours plus de libéralisation des échanges. Ilona Švihlíková :
« Nous savons que TISA est en prolongement de la vision néolibérale du monde. Il pourrait avancer là où l’OMC est bloquée depuis quelques années. Un nouveau traité peut signifier une nouvelle vague de libéralisation. Cela pose des questions relatives à la sauvegarde des droits sociaux et environnementaux. »
Quant au contenu du futur traité, impossible de le connaître précisément au regard du secret entourant les négociations. Libor Rouček, depuis longtemps partisan du renforcement des relations transatlantiques, estime que l’enjeu pour les Européens est de pouvoir participer à des appels d’offres publics aux Etats-Unis et mettre ainsi un terme au Buy American Act :
« Quand il y aura un appel d’offres à Portland ou à Los Angeles, il y a point qui prévoit que les entreprises tchèques, autrichiennes, slovaque, etc. puissent y participer. Les Américains sont vraiment sur la défensive sur cet aspect. Donc, nous les Européens essayons d’avancer dans ce sens tandis que les Américains tentent de s’introduire dans nos systèmes de santé, d’éducation, de culture, et ainsi de suite. »Ces menaces pour les services publiques de l’eau, de la santé, de l’éducation ou pour les secteurs des télécommunications et des transports, autant de volets qui devraient être abordés dans le cadre d’un accord sur les services, n’ont pas empêché le social-démocrate Libor Rouček à voter en faveur de l’ouverture des négociations. Il explique que c’est seulement au terme des négociations qu’il sera possible de déterminer si l’accord est bon ou non et éventuellement de le refuser.
Cette potentielle libéralisation des services, voulue par les organisations patronales et les lobbys de toute espèce des deux côtés de l’Atlantique, enthousiasme en tout cas Jan Zahradil :
« Je pense que la concurrence dans les secteurs de l’éducation ou la santé est quelque chose de sain. Cela ne ferait pas de mal à un certain nombre de pays. »
A la clef, promet-il, la croissance et donc les emplois. C’est également l’argument numéro un des partisans du traité transatlantique. C’était aussi celui des promoteurs de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), entré en vigueur début 1994, qui faisaient miroiter la possibilité de créer 20 millions d’emplois. Pourtant selon l’Economic Policy Institute (EPI), la création de ce marché commun entre les Etats-Unis, le Mexique et le Canada aurait en réalité détruit près de 900 000 emplois.