Tomas Garrigue Masaryk, un héros universel ?

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En République tchèque, le ton sur lequel on parle de Tomas Garrigue Masaryk, fondateur et premier Président de la Tchécoslovaquie, est éloquent... «TGM » est généralement présenté comme un exemple universel de bonne conduite en matière de politique, un humaniste réaliste et ingénieux, dont l'influence se fait sentir dans la vie politique tchèque depuis la chute du communisme. Plus encore, «TGM » est ici une véritable icône, une présence, un symbole... Nathalie Frank s'est intéressée à cette vision apparemment sans ombre du héros national, à la suite d'une visite guidée par un ami du village de Doloplazy, du côté d'Olomouc en Moravie...

T. G. Masaryk
« Alors, ici, c'est le terrain de foot, ici, la salle de bal, ici, TGM, là-bas, l'épicerie... », dit-il. TGM correspond évidemment a la statue du symbole en question. « Pour la plupart des gens il est le symbole de l'Etat tchèque, de la même manière que le drapeau ou l'hymne national. Qui s'y intéresse plus le considère comme un humaniste instruit et de qualité, l'un de ceux qui ont fait de l'Europe ce qu'elle est, en lui donnant une dimension civique », me dit Št"pán, étudiant à la faculté de Sciences Sociales de l'Université Charles de Prague. Dans cette même faculté est donné, chaque semaine, un cours intitulé « TGM », par M. Neudorflová, membre d'un cercle d'intérêt consacré à Masaryk dans le cadre de la Faculté de Philosophie de l'Université. Le ton de ce cours est un nouvel exemple de l'image sans faille que l'on donne ici de « TGM ». Des l'introduction, le ton était donné : « Masaryk est synonyme de DEMOCRATIE. Il avait une véritable conscience sociale. Il était un HUMANISTE. Il avait le courage de parler de ce qui préoccupait réellement les gens. Il était le seul intellectuel à Prague qui s intéressait à l'avis de sa femme et se promenait avec ses enfants... »

Au fur et à mesure des cours, l'image d'un homme politique idéal se dessine... Par exemple, « quand Masaryk a écrit Ceská otázka - la Question Tchèque, un livre consacré à une nouvelle manière, constructive, d'aborder l'histoire tchèque en s'inspirant de personnages au message positif, tels par exemple Jan Hus ou Jan Amos Komensky, dans le but de présenter aux Tchèques leurs nations de façon progressiste et ainsi de contribuer à la renaissance nationale, il fut l'objet de grandes polémiques, était critiqué par Untel, Untel, Untel. Quelques années plus tard, Untel, Untel, Untel en question sont revenus sur leurs critiques : ils avaient enfin compris le message de Masaryk. »... Ou encore « La seule, l'unique biographie correcte de Havlicek est celle écrite par Masaryk »...

« J' imagine un gentleman bien habillé, un homme courageux qui savait lutter contre tous, habitué à être isolé ... même si je lui trouve un côté dogmatique, il avait en effet des ides très arrêtées sur certains sujets, par exemple sur le sens de l'histoire tchèque... », me confit Tomáš, étudiant à la faculté de Droit de cette même université. Dominik, étudiant tchèque du cycle est-européen de Sciences Po à Dijon, semble regretter quelque peu cette idéalisation du personnage : « Masaryk, on l'idéalise dans les cours d'histoire en République tchèque. La nuance, ça n'existe pas, quoi. On ne parle jamais de sa lutte acharnée contre l'Eglise catholique, de son mépris pour les Slovaques... il disait quand même qu'ils étaient des « Tchèques culturellement sous-développés parlant un dialecte de la langue tchèque » !... »

Qu'en est-il de l'image de « TGM » à l'étranger ? Est-il effectivement une icône nationale à l'influence internationale, où son influence se limite-t-elle à la reconstruction d'une identité nationale tchèque démocratique ?...

S'il est vrai que le principal spécialiste du personnage en France, Alain Soubigou, semble propager cette même image d'un Masaryk précurseur progressiste, idéal politicien, il n'en est pas de même partout... L'exemple hongrois est par exemple intéressant, puisque ce pays fut une des principales victimes des traités de paix de l'après Première Guerre Mondiale: difficile ainsi de détacher Masaryk de son rôle d'instigateur du démembrement de l'Empire austro-hongrois.

L'historien hongrois François Fejto évoque le personnage dans le contexte de son ouvrage Requiem pour un empire défunt : histoire de la destruction de l'Autriche-Hongrie, qui traite du démembrement de l'Empire, de ses injustices et des conséquences désastreuses de ce brutal morcellement de l'Europe centrale. L'idéal Masaryk est par lui largement terni : de génial démocrate, il devient un « génie de la propagande », « apôtre du panslavisme », aux méthodes pour le moins douteuses. Plutôt que de chanter les louanges d'un Masaryk où d'un Benes, Fejto reprend la phrase de Gide, « avec les meilleures intentions on peut faire une mauvaise politique »...

« Masaryk est vu chez nous comme un personnage ambigu, accusé, avec Benes, d'avoir usé de la propagande auprès des pays de l'Entente, introduisant ainsi la nouvelle dimension de la diplomatie secrète et du "lobbying" dans les relations internationales. Par contre, c'est beaucoup plus Benes qui tient le rôle du "bouc émissaire", à cause des décrets Benes jamais pardonnés - ma grand-mère, hongroise de Slovaquie, victime en ce moment-là de l'échange de population, m'a souvent parlé de Benes en termes peu flatteurs, alors qu'elle parle de Masaryk comme d'un bon politicien, d'un homme d'Etat charismatique... », m'explique Gabor, étudiant hongrois du cycle est-européen de Sciences Po à Dijon. Ressort l'idée qu'une catastrophe géopolitique a été introduite en Europe centrale pour satisfaire aux caprices de deux nationalistes tchèques, certes bien intentionnés, mais inconscients des conséquences de leur acharnement... Avant de conclure, l'ouvrage de Fejto se termine par ces mots, « Masaryk est Benes avaient gagné. » Et Peter, étudiant hongrois, de me confier: « C est vrai que les Hongrois, pour ceux qui ont entendu parler de Masaryk, ont plutôt tendance à penser qu'il a abusé dans le sens du nationalisme, et qu'il aurait du être péripherisé au nom de l'intérêt commun... » « Par contre, ils lui reconnaissent toutes ses vertus d'homme d'Etat et lui associent plutôt une bonne image entre 1920 et 1938, symbole de la seule démocratie de l'Europe centrale dans l'entre-deux-guerres»..., tient pourtant à ajouter Gabor.