Quand Léon Blum rendait hommage à Tomáš G. Masaryk, mort il y a 85 ans

Les funérailles de Tomáš G. Masaryk

 Il y a 85 ans disparaissait le fondateur et premier président de la Tchécoslovaquie indépendante, Tomáš G. Masaryk. Nous avons fouillé dans nos archives où se trouvent quelques pépites de l’époque de ses funérailles, des sons d’un autre temps peu à peu numérisés par les services de la Radio tchèque dédiés à cet effet.

« Allô, allô, ici Radio Prague. Depuis hier soir, le corps du président Masaryk repose au Château de Prague sous l’égide de la puissante cathédrale Saint-Guy. Dès l’aurore, une foule émue et silencieuse a fait la queue devant les grilles du Château, attendant patiemment de pouvoir défiler devant les restes mortels de son président-libérateur… »

Tout juste âgées d’un an, les émissions en français de la Radio tchécoslovaque, illustres ancêtres de notre antenne actuelle, rapportaient ainsi le 18 septembre 1937 la ferveur animant anonymes et personnalités publiques venus rendre un dernier hommage à Tomáš G. Masaryk, mort quatre jours auparavant.

Les funérailles de Tomáš G. Masaryk | Photo: public domain

De ferveur populaire, il en était bel et bien question alors que le 21 septembre, ses obsèques se sont transformées en une des plus grandes manifestations d’unité nationale dans un contexte de montée des périls en Europe centrale : alors que 500 000 personnes sont venues s’incliner pendant plusieurs jours devant la dépouille du président défunt, elles ont nécessité le déploiement de 3 800 policiers afin de canaliser l’immense cortège funèbre du jour J, bloquant une bonne partie de la circulation à Prague.

Parmi les invités de marque venus rendre hommage à Tomáš G. Masaryk, le président du Conseil français, Léon Blum dont le discours d’hommage se trouve dans les Archives de la Radio tchèque et a récemment été numérisé :

Léon Blum en 1936 | Photo: Keystone France/Wikimedia Commons,  public domain

« Je sens tout ce qu’il a de présomption pour moi à parler de Tomáš Masaryk dans sa ville, à son peuple. Je n’ai pas eu le bonheur de le connaître. Je ne l’ai jamais vu bien qu’à Paris il y a vingt ans j’ai assisté quelque peu à la vie embryonnaire de la République tchécoslovaque. Je ne l’ai même jamais lu dans sa langue originale. Mais je parle au lendemain de ces funérailles solennelles, encore possédé par le spectacle inoubliable où l’on sentait la communion d’un peuple entier, uni dans l’affection et la douleur. J’appartiens moi-même à une nation qui nourrit pour la nation tchécoslovaque une amitié profonde, traditionnelle, fondée sur le sentiment autant que sur la raison. Et l’on trouve toujours des raisons de comprendre dans les raisons que l’on a d’aimer. Je comprends donc aujourd’hui mieux que jamais comment la République tchécoslovaque, à peine sortie des entrailles de la plus terrible des guerres, destinée d’ailleurs à une vie laborieuse et dangereuse, avait mis unanimement à sa tête un penser, un savant, ce que dans les sociétés antiques, on aurait nommé un sage. »

Car en effet, c’est à Tomáš G. Masaryk, mais aussi à son bras droit et futur président tchécoslovaque à sa suite, Eduard Beneš, et au Slovaque Milan Rostislav Štefánik que Tchèques et Slovaques doivent leur indépendance au sortir de la Première Guerre mondiale. Promoteur d’une République indépendante, il reste le symbole de l’instauration de l’un des tout premiers régimes démocratiques en Europe centrale, avec la bénédiction des « parrains et marraines » de ce nouvel Etat, les Etats-Unis et la France notamment.

Président du Conseil de la Roumanie à l’époque, Gheorghe Tătărescu prononce également une élégie en mémoire du président défunt, lui, qui gouvernait alors un pays qui était un royaume mais avec, malgré tout, une ébauche de démocratie parlementaire :

Gheorghe Tătărescu en 1939 | Photo: Narodowe Archiwum Cyfrowe/Wikimedia Commons,  public domain

« Le président libérateur Tomáš G. Masaryk n’appartient pas seulement au peuple, n’appartient pas seulement à la Tchécoslovaquie. Il appartient à tous les peuples qui dans la grande tourmente du commencement de ce siècle ont eu des chaînes à secouer, des chaînes à briser. Il appartient à tous les peuples qui se sont fait du droit et de la justice l’idéal permanent de leur développement. »

Célébré, révéré mais aussi très, voire trop idéalisé, Tomáš G. Masaryk a certes été le président de la nouvelle république entre 1918 et 1935, mais il s’inscrit néanmoins dans la lignée d’un système « où le président de la République est un peu le successeur du roi de Bohême, » comme le notait sur notre antenne l’historien français Antoine Marès. Le respect qu’il inspire tend à une forme de culte de la personnalité de celui qui est considéré comme le « père de la nation ». Une image que l’historien tchèque Pavel Kosatík s’était efforcé de rectifier dans sa biographie de 2018 intitulée « Jiný TGM » - « Un autre TGM » :

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« Toute cette image ne constitue qu’une partie de la vérité. Elle s’est façonnée au fur et à mesure de sa présidence quand le nouvel Etat avait besoin d’être protégé. Il fallait que celui-ci soit pris sous un patronage. Masaryk, en sa qualité de fondateur de l’Etat, possédait cette autorité. Mais c’était aussi un homme souvent irrité par les illusions que se faisaient les gens. C’est pourquoi il pouvait se montrer très critique. Ce n’était pas toujours quelqu’un de facile à vivre, mais ses critiques étaient pensées de façon à faire avancer les choses. Et finalement, même si ce n’était parfois pas facile à encaisser, cette critique profitait aux gens qui étaient visés. »

Une chose est certaine, les convictions démocratiques de Tomáš G. Masaryk s’articulaient à une vision plus large que les frontières de son nouvel Etat, comme le rappelait en 2007 sur notre antenne, Alain Soubigou, auteur de la seule biographie en français qui lui est consacré :

« Au plan international et dans la construction de la nouvelle Europe, il a avancé une idée neuve dans l’entre-deux-guerres qui mériterait d’être encore thématisée, c’est l’idée de l’égale dignité des nations, grandes ou petites. Par rapport au jeu habituel des grandes puissances au XIXe siècle, Masaryk introduit cette nouvelle idée que ce n’est pas parce qu’on est un petit pays que l’on a moins d’importance. La construction européenne depuis 1957 vise, je crois, à actualiser cette idée masarykienne. »

Une idée et une vision qui, au vu de l’actualité liée à l’Ukraine, n’ont pas perdu une once de pertinence aujourd’hui…

Remerciements à Tomáš Dufka, responsable des Archives de la Radio tchèque.

Ecouter l’hommage de Léon Blum à Tomáš G. Masaryk :

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Ecouter l’émission de Radio Prague du 18/09/1937 :

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