Tout Miloš Forman à la Cinémathèque française
Du 31 août jusqu’au 20 septembre, la Cinémathèque française organise une rétrospective consacrée à l’œuvre de Miloš Forman, le plus tchèque des cinéastes américains. L’occasion pour les cinéphiles de redécouvrir ses films les plus connus, de Vol au-dessus d’un nid de coucou à Amadeus, et peut-être de découvrir ses long-métrages qui le sont un peu moins, de Taking Off à Ragtime. Directeur de l’action culturelle de La Cinémathèque, Bernard Benoliel a présenté l’événement pour Radio Prague.
« Tout simplement l’admiration pour le cinéaste et une admiration de longue date. Peut-être que la Cinémathèque a un peu tardé. Il y a eu plusieurs fois l’envie, l’idée d’une rétrospective Miloš Forman et puis voilà, elle s’est concrétisée à l’occasion de cette rentrée. Tous les films de Miloš Forman sont montrés à la Cinémathèque. »
Bernard Benoliel, vous êtes aussi critique de cinéma. Comment avez-vous rencontré l’œuvre de Miloš Forman?
« Je me souviens avoir été jeune cinéphile au début des années 1980 et sans doute, à ce moment-là, la surprise, le choc ou la découverte, cela a été par Amadeus : le succès mondial d’Amadeus, la figure iconoclaste de Mozart, son rire, la musique, le nom. A partir de là, j’ai eu un intérêt rétrospectif pour le cinéaste, pour découvrir les films qu’il avait pu faire avant. Et évidemment je me suis mis à suivre par la suite tous les films qu’il allait faire. Et puis, le début des années 1980 était aussi pour nous l’avènement de ce qu’on appelait à l’époque les vidéocassettes. Je pense que l’un des succès de location de vidéo à l’époque, c’était bien sûr aussi Vol au-dessus d’un nid de coucou. »
Par ce qu’outre ces succès, Vol au-dessus d’un nid de coucou et Amadeus, qui lui ont valu deux Oscars, il y a peut-être une partie de la cinématographie de Miloš Forman qui est moins connue du public français et ce sont les films qu’il a réalisés en Tchécoslovaquie : L’As de pique, Les Amours d’une blonde, Au feu, les pompiers !. Que pouvez-vous nous dire de la période tchèque, tchécoslovaque de Miloš Forman ?« Cette période-là, je l’ai découverte de manière rétrospective. En même temps, il me semble que ces films, par leur fraîcheur, par leur nouveauté, par leur spontanéité, ont étonné les critiques et les festivals dès le milieu des années 1960. C’est-à-dire qu’à partir du moment où Forman filme les trois films que vous avez cités, il est assez vite reconnu par les festivals étrangers. Je pense que L’As de pique par exemple est vu au festival de Locarno en 1964. Il est montré au festival de New-York la même année, ce qui est l’occasion de deux voyages importants pour lui. Les Amours d’une blonde doit être vu au festival de Pesaro. Donc il y a tout de suite la reconnaissance d’une singularité.
Cette singularité, on peut l’exprimer de différentes manières, elle tient à ce qui va devenir le ton de Miloš Forman, c’est-à-dire ce mélange d’impertinence, d’acuité du regard. Ce qui fait aussi qu’il s’intéresse évidemment aux affres, aux effrois, aux désirs et aux rêveries de la jeunesse. Il me semble que Forman dit une chose très juste dans ses mémoires – je pense que c’était au moment du tournage des Amours d’une blonde – il s’est dit que tout ce qu’il était en train de reconstituer de la réalité, de la réalité tchèque, comment est-il possible que cela n’ennuie pas les gens de voir à l’écran ce qu’ils voient tous les jours dans leur vie. Et en même temps, il s’est dit, et il avait raison : ‘oui, mais ce déjà-vu, ce qu’on voit tous les jours, on ne l’a jamais vu au cinéma. C’est le fait de le voir au cinéma dans les conditions de la projection qui va rendre cette réalité spectaculaire. Et je pense que, dans son goût du réalisme et de la reconstitution de la réalité quotidienne tchèque, qui était à la fois locale ou nationale et universelle, puisque cela incarnait les aspirations d’une jeunesse, il a trouvé en quelque sorte son style. »Cette fraîcheur que vous avez mentionnée, on la retrouve dans Taking Off, le premier film qu’il fait aux Etats-Unis. Comment passe-t-on ainsi d’un cinéma collectivisé, celui de la Tchécoslovaquie, au modèle de production américain ?
« Tout à fait parce que, en 1968, au moment de l’invasion de Prague par les chars du pacte de Varsovie, il est lui à ce moment-là en France. Il constate de loin l’invasion de son pays, il ne peut plus rentrer et va commencer pour lui une période d’errance entre Paris puis finalement New-York, où il était déjà allé en 1965 et 1967. Dès 1967, il y avait eu ce projet de Taking Off. De Taking Off, qu’il tourne en 1970, Forman a souvent dit que c’était son premier film américain et son dernier film tchèque. Il disait aussi : ‘En faisant ce film-là, j’ai commencé à écrire avant d’apprendre à parler’. C’est-à-dire que vraiment il s’est mis en quelque sorte au goût de l’Amérique, mais il reste dans ce film incroyablement le ton des films précédents, des comédies précédentes qu’il avait tournées en Tchécoslovaquie. Et d’ailleurs, son chef opérateur, Miroslav Ondříček, c’est le même pour ses films tchèques et pour Taking Off.
Taking Off, c’est vraiment un film où il reprend des figures qu’il a expérimentées par exemple dans son premier film, L’Audition (Konkurs). Il y a des figures d’auditions de jeunes femmes qui viennent s’essayer à chanter au micro pour obtenir un rôle. Et on retrouve exactement cette figure de style au début de Taking Off. Je me souviens aussi que lorsque Forman est arrivé aux Etats-Unis avec ce projet de tourner Taking Off, son projet précédent, le tout premier, c’était d’adapter L’Amérique de Kafka. C’est une belle manière de dire qu’à la fois il avait un pied dans un pays et aussi peut-être un pied ou la tête dans l’autre. »Quelle est la place de l’humour dans l’œuvre de Miloš Forman ? Parce qu’on rit beaucoup dans ses films, et notamment dans Taking Off avec cette scène où des parents sont initiés aux joints…
« Absolument ! C’est une scène géniale où un instructeur, un initiateur, vient expliquer à des parents déboussolés ce que peuvent bien éprouver leurs enfants, cette nouvelle jeunesse hippie, et il leur donne un cours de marijuana. Il leur apprend à fumer un joint, comment le tenir, comment inspirer la fumée, comment l’exhaler et comment en retenir les effets. Comme si par cette expérience ils allaient eux-mêmes pouvoir se placer dans la peau de leur progéniture. C’est typique de Miloš Forman, et de Jean-Claude Carrière qui était son scénariste à ce moment-là.
Mais il y a chez Miloš Forman évidemment quelque chose qui appartient à l’humour tchèque. Dans un film comme Hair, qu’il réalise d’après la célèbre comédie musicale et qui va être un immense succès, dans le personnage du jeune Américain qui doit venir à New-York dans l’attente de son incorporation, qui arrive de sa campagne natale, dans ce personnage interprété par John Savage, j’y vois comme la trace, le souvenir ou le fantôme du brave soldat Chvéïk. Il y a quelque chose dans l’humour de Forman qui continue de venir absolument de la période tchèque, de sa vie tchèque. Je pense que l’humour pour lui comme pour beaucoup a été absolument salvateur et une condition pour naviguer entre conformisme et absurdité. Il y avait là une manière, l’humour, de se gouverner soi-même.Je pense que c’est quelque chose qu’il n’a jamais oublié et qui lui a, sinon sauvé la vie, du moins donné à son œuvre ce ton incroyablement iconoclaste, incroyablement irrévérencieux par moment et aussi incroyablement drôle. Vol au-dessus d’un nid de coucou, Man on the Moon évidemment, les films tchèques, Les Amours d’une blonde ou L’As de pique, sont des films très drôles et parfois hilarants. »
Bernard Benoliel, vous avez mentionné cette collaboration avec Jean-Claude Carrière sur Taking Off, les deux hommes ont en effet beaucoup travaillé ensemble. Pourriez-vous détailler cette collaboration ?
« Il s’agit de deux hommes particulièrement proches qui se sont aimés comme l’on s’aime dans des amitiés profondes. Ils ont eu beaucoup de projets ensemble, trois se sont réalisés : Taking Off en 1970, Valmont entre 1988 et 1989, une adaptation très libre des Liaisons Dangereuses, et puis le dernier film en date de Miloš Forman, Les Fantômes de Goya. Je crois qu’ils avaient beaucoup de plaisir à travailler ensemble, parce qu’ils ont l’un et l’autre décrit cette collaboration comme une ‘partie de plaisir’. Pour ce que l’on peut en reconstituer, et Jean Claude Carrière pourra en parler lui-même à la suite de la projection de Valmont à la Cinémathèque le 9 Septembre, ils avaient une manière de travailler excessivement orale : c’est-à-dire qu’ils se racontaient, se jouaient des scènes telles qu’ils les imaginaient, puis Carrière les écrivait et les reprenait. Ils construisaient ainsi littéralement le scénario dans un jeu de ping-pong verbal.Jean-Claude Carrière a dit, par exemple, à propos de Valmont : ‘on a imaginé à partir de la lecture des Liaisons Dangereuses le scénario qui est devenu celui de Valmont, et on s’est mis à broder, à imaginer des scènes à partir de l’intrigue, des personnages, et des situations. Et au final, dans Valmont, il n’y a pas une scène qui soit spécifiquement tirée des Liaisons Dangereuses’. C’est-à-dire que l’on reconnait tout de l’œuvre originale, mais qu’on ne peut trouver aucune scène du film qui soit dans le roman et vice-versa. »
La Cinémathèque projette donc tous les films de Milos Forman, quels seraient selon vous les films à voir en priorité pour se familiariser avec son œuvre ?« Pour ne pas citer les plus célèbres qui n’ont pas besoin d’être présentés, je dirais Les Amours d’une Blonde, Taking Off, Ragtime un film magnifique réalisé aux Etats-Unis et qui n’a pas été un succès, et un film que j’adore par-dessus tout, avec Jim Carrey, qui raconte l’histoire du comique américain Andy Kaufman. Man On the Moon, un film extraordinaire et surprenant où tout l’humour de Forman est au service de celui de Kaufman et de celui de Jim Carrey. »