Toute la magie de la dentelle...

"Pour fabriquer la dentelle à l'aiguille, il faut un seul fil, tandis que la dentelle au fuseau se fait à l'aide d'un petit métier. C'est le croisement, l'entrecroisement des fils qui font ce tissu transparent que l'on appelle la dentelle..." En juillet, Prague a accueilli, après Brighton, Gant, Nothingam ou Barcelone, le 11e Congrès international de la dentelle. Plus de 700 artistes, venues des quatre coins du monde, et 2000 amateurs de cet art de patience, de raffinement et de luxe, y ont participé.

Le but des Congrès, mis sur pied par l'Organisation internationale de la Dentelle au Fuseau et à l'Aiguille, créée au Puy-en-Velay, en France, est de découvrir à travers des cours, stages, conférences, expositions et défilés de mode, la dentelle du pays organisateur. Bénédicte Gachet est professeur de dentelle au fuseau au Puy-en-Velay...

"Ce qui m'intéresse, c'est d'aller au-delà de la dentelle traditionnelle. En France, je trouve qu'on est un petit peu en retard au niveau création. J'espère que ces trois jours vont m'inspirer... La première fois que j'ai vu la dentelle tchèque, c'était en Belgique. J'ai ramené plusieurs livres en France et chaque fois que je les montre à l'école, ça suscite beaucoup d'intérêt. Je trouve que les Tchèques ont su moderniser la dentelle. J'aime la dentelle monumentale et c'est ce que je trouve ici. Vous employez aussi différentes matières, différentes grosseurs dans une même dentelle... Ce qui m'a le plus impressionnée durant ces trois jours, c'est le défilé de mode. J'ai trouvé que c'était vraiment fantastique."

Mick Fouriscot, qui dirige le Centre d'enseignement de la Dentelle au Fuseau du Puy-en-Velay, est sans doute la personne la mieux placée pour parler du passé et du présent de la dentelle en France.

"C'est la France qui a initié la mode : celle des engageantes, la coiffure à la Fontange, des grands cols ou des petits cols... L'étiquette de la cour de France voulait qu'à une certaine période, il y ait dans les dentelles les roses, à une autre période, il fallait des tulipes ou des oeillets... Notre Centre a été fondé il y a trente ans. C'est lui qui a initié le renouveau de la dentelle en France. Dans le passé, il y avait 250 000 dentellières en France, dont 150 000 en Auvergne. C'était un métier difficile, sous-payé... A l'heure actuelle, il existe environ 200 clubs, dans toutes les régions françaises. C'est la même chose en Espagne, en Hollande, en Belgique... Mais ça déborde de l'Europe, puisque ce métier est également très fort en Australie, au Japon, aux Etats-Unis et en Russie, évidemment..."

"J'avais découvert la dentelle tchèque lors du Concours de la Reine Fabiola à Bruxelles. Votre pays était, en réalité, sous l'occupation russe. Je me souviens d'une dentelle qui ressemblait à des barbelés et à des mains noirs qui s'accrochaient dessus. Cela m'avait fait le coeur renversé... Après le Printemps de Prague, j'ai revu les dentelles tchèques et c'était une explosion de couleurs... "

En demandant à Mick Fouriscot de parler de sa propre création, j'ai pensé lui poser une question tout à fait banale, mais...

"Dans le Puy, j'ai dix salariés. J'ai dirigé la Fédération des dentelles et broderies, ça fait 3000 salariés, 100 entreprises. Je suis vice-Présidente des Villes et Mériers d'Art, Présidente d'une commission à l'éducation nationale qui met en place les diplômes et j'ai dû écrire 45 livres. Je n'ai jamais eu le temps d'apprendre ni de faire de la dentelle, mais je la connais, je l'enseigne aux antiquaires, aux conservateurs, je montre les différences et quand dans mes ateliers, il y avait une erreur, je la voyais tout de suite."

En visitant l'exposition des pays participants, dans les locaux de l'Ecole supérieure d'agriculture de Prague-Suchdol, je me suis tout de suite dirigée vers le stand belge. J'avoue que, ce qui a attiré mon attention, ce n'était pas tellement la dentelle du pays, réputée dans le monde entier, mais plutôt la personne qui la présentait - Jan Vandenweghe de Bruges. Et si je me trouvais, pour la première fois de ma vie, en face d'un homme-dentellier ?

"Moi-même, je ne fais pas de dentelle. Je fais fabriquer des fils et des épingles, je veille à la qualité des produits et ça me prend beaucoup de temps. Jadis, les hommes faisaient des dessins, des motifs, et les femmes travaillent et vendaient les dentelles.

Jana Stefkova,  accessoire vestimentaire,  photo: OIFDA
La tradition de la dentelle tchèque remonte au XVIIe siècle. Environ 100 ans plus tard, l'impératrice Marie Thérèse fonde une école de dentelle à Prague, mais le berceau de la dentelle tchèque est ailleurs : dans la petite ville de Vamberk, située dans les monts Orlicke, en Bohême de l'est. Vous y trouverez, évidemment, un musée consacré à cet art textile. Pas loin de Vamberk, à Doudleby nad Orlici, vit et travaille la jeune artiste Jana Balcarova.

"Je suis orfèvre et dentellière. Je combine ces deux techniques-là, c'est-à-dire que je fais de la dentelle au fuseau avec des fils d'argent et ensuite, je l'incruste dans l'argent. Je fabrique ainsi toutse sortes de bijoux : des bagues, des boucles d'oreille, des colliers... tout ce que mes clients me demandent. Ici, à cette exposition, j'ai vendu plus d'exemplaires que j'avais espéré. Et puis, moi même, j'ai constaté, une fois de plus, que j'en savais très peu sur la dentelle. J'aime surtout la dentelle belge, elle est si raffinée... J'admire les gens qui la fabriquent, parce que c'est vraiment un travail de fourmi. Mais le résultat est magnifique."

Les créations de Jana Balzarova ont, à leur tour, emballé ses collègues étrangers. Magalie Déboudard est artisane et commerçante, spécialisée dans le bijou en dentelle au fuseau perlé. Elle vient du Quincy, dans le département du Cher.

"C'est dommage que je ne maîtrise pas les matériaux comme elle les maîtrise, parce qu'il y a longtemps que j'ai eu l'idée... J'ai fait des choses en fil métallique, mais de cuivre. Mais là, c'est très beau ce qu'elle a fait... En mai, j'ai fait un salon sur Paris et j'ai eu énormément de succès, les étrangers et les Parisiens ont beaucoup aimé mes colliers. Les dentellières de France et de toute l'Europe apprécient mes patrons et mes modèles, parce que je fais des kits tout prêts pour réaliser des colliers."

En dehors du Congrès mondial de la dentelle ont été ouvertes, un peu partout dans le pays, de multiples expositions. La plupart d'entre elles sont à voir tout au long des vacances d'été : par exemple celle des dentelles populaires moraves, au Palais des nobles, à Brno, ou une exposition de la dentelle des monts Krusne, au Musée La clef d'or de Karlovy Vary. Le Musée des Arts et Métiers de Prague, quant à lui, met à l'honneur les créations textiles de quatorze femmes artistes tchèques, datant de la deuxième moitié du XXe siècle : objets, vêtements, bijoux... Surprenant, mais vrai : la dentelle tchèque moderne, réputée dans le monde entier, reste méconnue dans son pays d'origine. Montrer que la dentelle n'est pas une simple décoration (cliché très répandu en Tchéquie) mais une véritable création artistique, était donc le premier objectif que s'était fixé le commissaire de l'exposition, Konstantina Hlavackova :

"J'ai voulu, en quelque sorte, évoquer l'esprit des années 60. En Europe occidentale comme chez nous, l'art textile en tant que tel commençait à s'éloigner de ses origines artisanales et à se rapprocher de la création libre. Dans les années 70, la dentelle devient une oeuvre d'art à part entière, une oeuvre d'art monumentale, à trois dimensions. Les créations de nos artistes de l'époque sont nées grâce à une maîtrise parfaite des techniques traditionnelles, et aussi grâce à leur fantaisie débridée, à leur imagination. Elles ont été très appréciées à l'étranger, surtout en Belgique, à l'Expo 58, aux Biennales d'Art textile de Bruxelles, à l'Expo 67 de Montréal, ainsi qu'aux Etats-Unis. Les oeuvres de Luba Krejci font partie des collections de plusieurs musées de New York. Mais en République tchèque, nous n'avons pas beaucoup de possibilités de les exposer."

Les personnalités de la dentelle tchèque de la deuxième moitié du XXe siècle, c'est au Musée des Arts et Métiers de Prague, en face du Rodolphinum, jusqu'au 22 août prochain.

Auteur: Magdalena Segertová
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