Train pour Weimar (II.)

'Train pour Weimar', photo: HOST
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« Rien n’est tout noir ni tout blanc, les relations humaines sont très compliquées », dit Ladislava Chateau à propos de son livre, « Train pour Weimar », qui évoque la vie en France sous l’occupation allemande et notamment la collaboration avec l’occupant. Elle décrit la situation générale qui régnait alors dans la France occupée et évoque aussi toute une galerie de personnages emblématiques de cette époque comme Pierre Drieu La Rochelle et Louis-Ferdinand Céline. Ecrivaine, Ladislava Chateau s’intéresse notamment aux milieux littéraires et artistiques qui n’ont pas échappé aux ravages de la guerre et dans lesquels la tentation de collaborer avec l’occupant a été particulièrement forte, mais aussi beaucoup plus visible et blâmable. Cherchant à cerner les phénomènes de la collaboration et de l’antisémitisme, elle dresse un vaste panorama de la situation des intellectuels dans un pays occupé. Dans l’interview que Ladislava Chateau a accordée à Radio Prague, elle compare aussi la situation pendant la guerre en France à celle dans le protectorat de Bohême - Moravie. Voici la seconde partie de l’entretien sur ce livre sorti aux éditions Host :

Pierre Drieu La Rochelle
Vous évoquez toute la scène artistique et notamment littéraire dans la France occupée, mais il y a quand même plusieurs noms et plusieurs écrivains auxquels vous prêtez une attention particulière. Il s'agit notamment de l'écrivain Pierre Drieu La Rochelle. Comment résumer la carrière de ce grand « collaborationniste » qui était en même temps ami des résistants ?

« Drieu La Rochelle était un personnage très compliqué, un homme blessé, qui a fait plusieurs tentatives de suicide, un brave soldat de la guerre 14, un compagnon de route des surréalistes, un grand romancier et essayiste. Il a été hanté par la décadence de la société et est devenu social-fasciste. Sous l´occupation, il accepte le poste de directeur de la N.R.F et, finalement, il se suicide en mars 1945 après avoir écrit qu’il ‘réclamait la mort comme traître’. C’est un personnage tragique, ‘un raté immortel’. Je pense que son opus magnum est ‘Le feu follet’. Tout dans ce livre parle de lui. »

Louis-Ferdinand Céline est un autre grand héros négatif de votre livre, un grand écrivain dont l'antisémitisme a sali le talent. Y a-t-il une explication pour ce personnage sombre qui ne cesse d'intriguer les historiens de la littérature ?

Louis-Ferdinand Céline
« Céline est aussi un écrivain issu de la Grande guerre, cette expérience l´a profondément marqué. Il a passé son enfance dans le passage Colbert à Paris, où ses parents possédaient une boutique. Il a grandi dans une atmosphère antisémite et il n´est jamais sorti de ce cercle de petit-bourgeois racistes. Il était un intellectuel anti-intellectuel. Il a écrit par exemple : ‘Une seule race en France : l´aryenne !’. Céline était paranoïaque d´une certaine manière, mais son racisme s’est bien porté et reste bien portant aujourd’hui encore. Du fait de ses complexités, de sa vie pleine de voyages, de femmes, de son style hors norme, Céline est toujours l’écrivain français le plus lu et le plus étudié à l’université. »

Comment expliquer les amitiés étonnantes et incompatibles qui liaient malgré tout certains « collaborateurs » et résistants : Marcel Jouhandeau et Jean Paulhan, Drieu la Rochelle et André Malraux ?

« Rien n´est tout noir ni tout blanc. Les relations humaines sont très très compliquées, souvent loin de toute logique… Des amitiés et des engagements de jeunesse peuvent expliquer cela comme le fait que tous ces jeunes gens ont vécu la première guerre et en ont tous été bouleversés. Mais on ne peut jamais tout expliquer, tout comprendre… L´amour, l´amitié, la proximité sont un mystère de la vie, son secret. De toute façon, ce qui m´a beaucoup étonnée, c´était la relation entre Drieu La Rochelle et sa femme, devenue ensuite son ex-femme, Colette Jéramec, une Juive parisienne ; ils sont restés très proches toute leur vie, Drieu l´a protégée pendant la guerre et au moment de la libération, elle s´est efforcée de le sauver – elle n´a pas réussi. »

La fin de votre livre retrace la période de la libération, l'après-guerre immédiat et le châtiment des coupables. Avec le recul qui permet de parvenir à une plus grande objectivité, comment voyez-vous cette période aujourd'hui,? A-t-elle été une victoire de la justice ou un règlement de comptes ?

'Train pour Weimar',  photo: HOST
« Tout en même temps, comme souvent après toute guerre : règlement de comptes, vengeance, justice sauvage, injustice. Tout. Ce fut une période très tendue, dramatique et tragique aussi. Il y a eu beaucoup d´injustice, c´est sûr... Mais que dire ? C´est la guerre et ses conséquences... Il est difficile et même presque impossible de juger cette époque aujourd’hui. Nous ne pouvons que constater, pas juger. »

Est-il possible de faire une comparaison entre la situation en France et celle dans la Tchécoslovaquie occupée ?

« C´est difficile à dire. Par rapport à la France, l´antisémitisme n´a pas été aussi fort dans les pays tchèques. Mais ce que je vois comme différence, c´est l´attitude de la résistance. La résistance française s´est rapidement organisée pour aider les Juifs ; des sauvetages ont ainsi pu être organisés, par exemple via l'Espagne, la Suisse, les enfants cachés… Cela a permis de sauver de nombreux Juifs. Par contre, dans le Protectorat de Bohême-Moravie, les sauvetages et la possibilité d’échapper aux déportations ont plutôt relevé de cas individuels, pas des milieux organisés de la résistance. »

Pourquoi rappeler cette période douloureuse de l'histoire du XXe siècle aujourd'hui ? Quelle leçon pouvons-nous en tirer ?

« Il est nécessaire que les intellectuels rompent leur complicité avec les passions politiques. Aujourd´hui, nous pouvons constater que le mot ‘intellectuel’ est presque devenu insupportable, tellement il s’est discrédité. Il est nécessaire que les intellectuels se méfient du pouvoir et de la force – des phénomènes très séduisants à chaque époque. Camus et Aron avaient raison en disant que seuls de très rares intellectuels avaient raison de leur temps ... »

Votre livre est très intéressant pour le lecteur tchèque qui a ses propres expériences de l'occupation allemande, puis soviétique, mais il serait encore plus intéressant pour le lecteur français. Envisagez-vous sa traduction en français ?

« Il m’est un peu difficile de l´envisager, car, autant que je sache, les Français n´aiment pas trop quand des non-Français touchent à leurs chapitres historiques – disons – sombres et sensibles. Nous verrons. Peut-être que je me trompe sur ce point et je voudrais bien me tromper. »