Transport routier : les camionneurs tchèques souffrent de la concurrence
Le nombre de camions circulant sur les routes en République tchèque ne cesse d’augmenter. Mais paradoxalement, les poids lourds tchèques, qui ont longtemps occupé une position prédominante sur le marché européen, sont de moins en moins nombreux et abandonnent la place à leurs concurrents européens, meilleur marché.
Michal Hošek travaille dans le secteur du transport routier depuis plus de vingt-cinq ans. Ses camions permettent d’acheminer diverses marchandises essentiellement entre la République tchèque et l’Italie : des jouets, du papier ou encore des pièces métalliques. Toutefois, les commandes sont de moins en moins nombreuses et il reconnaît souffrir :
« Il y a encore de cela quelques années, les transporteurs tchèques étaient le plus souvent les seuls sur la plupart des chargements. Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Nous sommes malheureusement souvent minoritaires et les transporteurs d’Europe de l’Est prennent notre place. D’abord parce qu’ils ont de meilleurs prix que nous, ils sont moins chers. Ils profitent des différents avantages que leur offre la législation dans leurs pays, mais aussi du fait que leurs chauffeurs circulent partout en Europe et ne rentrent pas chez eux. »
Par « Europe de l’Est », un camionneur tchèque entend Pologne, Hongrie ou Roumanie. Michal Hošek admet que la concurrence est meilleur marché. Pour faire face, il s’efforce de compenser les pertes avec d’autres activités parallèles :
« Le transport en tant que tel n’est pas la seule activité. Il y a aussi l’expédition et la logistique autour, dont les revenus nous permettent en quelque sorte de subventionner le transport. Si le transport était ma seule activité en exploitant une quinzaine de camions qui ne m’appartiennent pas et qu’il me faudrait rembourser, je n’aurais plus aucune chance de m’en sortir. Il faudrait que je mette la clef sous la porte dans la minute. »Les entreprises polonaises occupent actuellement une position dominante sur le marché. Ainsi, le volume des marchandises qu’elles font transiter en 2019 entre la Pologne et la République tchèque est pratiquement passé du simple au double en l’espace de moins de dix ans, comme le confirme František Jemelka, le porte-parole du ministère des Transports à Prague :
« Ces quatre dernières années, les opérations de transport routier international réalisées par des véhicules immatriculés en République tchèque ont baissé environ de moitié. C’est une tendance nouvelle, nous n’avions jamais assisté à de baisse aussi importante ces trente dernières années. Le transport international en République tchèque est repris et de plus en plus souvent assuré par des sociétés d’autres pays membres de l’Union européenne. »
Au moins la moitié des sociétés tchèques spécialisées dans le transport routier poursuivent aujourd’hui une activité déficitaire. Une contrainte que, forcément, beaucoup sont contraintes de cesser. Président de Česmad Bohemia, la fédération qui regroupe les transporteurs routiers intérieurs et internationaux de marchandises et de personnes, Josef Melzer dresse un tableau sombre de la situation :« En 2018 déjà, la part des sociétés qui parvenaient à dégager des profits était de 50/50, et elle continue de baisser depuis. L’évolution de la situation économique joue un rôle prépondérant. Les petites et moyennes entreprises sont celles qui en souffrent le plus et tendent à disparaître. Mais il y a aussi un nombre croissant de sociétés qui sont sur le marché depuis une vingtaine d’années et qui envisagent de cesser leur activité pour des raisons économiques. »
Une pénurie de plus de 10 000 camionneurs
Sans surprise dans un pays en situation de quasi plein emploi depuis plusieurs années, la pénurie de chauffeurs se fait également durement ressentir. Jozef Melzer estime qu’il en manque au bas mot une bonne dizaine de milliers :
« La population des chauffeurs vieillit. Et plus ils sont âgés, plus ils sont réticents à partir pour de longues expéditions à l’étranger. Pour les camions, les sociétés ne rivalisent pas seulement entre elles, mais aussi avec les sociétés de transport de personnes. Du coup, si on leur propose de meilleures conditions salariales, beaucoup de chauffeurs de camions préfèrent conduire des autobus. »
Plus généralement, l’inflation des prix et du coût de la vie en République tchèque a fait perdre leur compétitivité aux sociétés de transport tchèques sur un marché extrêmement concurrentiel. Comme le résume František Jemelka du ministère des Transports, elles sont devenues trop chères pour beaucoup de clients :
« La République tchèque se retrouve aujourd’hui dans une situation similaire à celle des pays d’Europe de l’Ouest après l’adhésion de la République tchèque à l’Union européenne. A l’époque, tout le monde s’en souvient, il y avait une vraie crainte de la concurrence de l’Est qui était meilleur marché. Quinze ans plus tard, en raison de la croissance économique, nous ne représentons plus une concurrence aussi inquiétante. Les niveaux de vie et des salaires ont considérablement augmenté, et cela a eu des répercussions sur les tarifs de nos transporteurs. »
Ceux-ci prétendent ne pas être en mesure de rouler pour moins cher. Outre l’augmentation constante des salaires, ils regrettent aussi, à l’échelle nationale, celle appliquée depuis le début de l’année des droits de péage sur les autoroutes, et ce alors même que la République tchèque a la réputation, ne serait-ce qu’aux yeux des transporteurs étrangers, d’être un pays de transit bon marché.