Trois candidates au prix Magnesia Litera

Photo: Archives du Prix Magnesia Litera

Propager la littérature de qualité – tel est l’objectif du Prix Magnesia Litera, décerné tous les ans depuis 2002 à Prague aux ouvrages de plusieurs genres et en plusieurs catégories, et auquel peuvent prétendre écrivains, poètes, traducteurs, éditeurs, chercheurs et théoriciens. Parmi les candidats à ce prix, qui est probablement la distinction littéraire la plus prestigieuse de la République tchèque, il y a cette année aussi trois femmes dont les ouvrages figurent dans des catégories différentes et qui ont présentées récemment leurs œuvres aux lecteurs dans la bibliothèque Václav Havel.

Histoire d’une petite fille assistée

Olga Černá,  photo: Site officiel de la Maison d'édition Baobab
L’écrivaine Olga Černá (1964) est agronome de métier. Après avoir travaillé d’abord dans un laboratoire, puis dans une librairie et une bibliothèque publique, elle est aujourd’hui un des principaux auteurs de la maison d’éditions Baobab spécialisée dans la littérature pour enfants et adolescents. Lauréate du titre « La Bibliothécaire de l’année », elle vit en Bohême du Sud et écrit des livres pour enfants qui ont remporté déjà plusieurs distinctions. Son livre intitulé « Klárka a 11 babiček » (Claire et onze grand-mères) nominé au prix Magnesia Litera est un petit roman épistolaire. Il s’agit des lettres échangées entre une petite fille, Claire, et son grand-père hospitalisé. Dans ces lettres, Claire, enfant sans famille, décrit ses séjours chez onze femmes auxquelles elle est confiée et qui deviennent successivement ses tutrices. Les styles de vies très variés et parfois bien bizarres de ces soi-disant grand-mères provoquent beaucoup de situations inattendues qui suscitent le rire mais font aussi réfléchir. L’enfance d’Olga Černá a été bien différente de celle de la petite héroïne de son livre :

'Claire et onze grand-mères',  photo: Baobab
« Mon enfance a été harmonieuse et heureuse. Il ne s’agit donc pas de mon vécu. J’ai complètement inventé le personnage de Claire, mais au moment où le livre était déjà écrit et publié, j’ai appris l’existence d’une dame qui s’appelle Tereza Tichá, ce qui correspond au nom d’une des grands-mères de mon livre. Comme le personnage de mon récit, elle était également une musicienne douée, elle jouait du piano et elle avait eu une enfance semblable. Sa mère était malade et ne pouvait pas s’occuper d’elle. Elle avait donc aussi eu plusieurs tutrices et son sort ressemblait à celui de Claire. J’ai eu l’occasion de rencontrer Mme Tereza Tichá à l’automne dernier. Elle est âgée à peu près de 90 ans et c’est une femme intéressante. »

'Péťa medánek',  photo: Memo
Le roman épistolaire de la petite fille assistée est illustré de dessins et de collages qui auraient pu être créés par Claire elle-même mais sont signés Alzběta Skálová, artiste qui a déjà collaboré avec Olga Černá et dont le livre pour enfants intitulé « Péťa medánek » a été couronné en 2009 comme « Le plus beau livre de l’année » et a été publié aussi en France aux éditions Memo sous le titre « L’Invitation ».

Sept femmes sous l’occupation

'Femmes au carrefour',  photo: Academia
Dans la catégorie de la Découverte de l’année figure le livre de l’historienne Blanka Jedličková intitulé « Ženy na rozcestí » (Femmes au carrefour). En évoquant plusieurs destins féminins, l’auteure cherche à répondre à des questions concernant le quotidien de l’occupation nazie, la vie sous le Protectorat de Bohême-Moravie, et tâche de saisir les conséquences de la guerre sur la condition de la femme. Pour illustrer ce thème, Blanka Jedličková a choisi sept femmes dont certaines étaient assez connues et même célèbres de leur temps mais qui sont aujourd’hui presqu’oubliées et dont les vies étaient liées d’une façon ou d’une autre avec le théâtre - actrices, danseuses, peintres, etc.:

« Je voulais d’abord reconstituer la situation de la femme dans la société sous l’occupation. Le théâtre me semblait un bon fil conducteur qui pourrait relier les sorts de toutes ces femmes. Je savais que je trouverais dans le milieu du théâtre des femmes de toutes conditions, des femmes célibataires, mariées, des femmes mères, des femmes sans enfants, etc. Je voulais brosser un tableau réel de la société de ce temps-là dans ces aspects les plus variés. Il y avait des femmes qui se sont engagées dans la résistance, des femmes qui n’ont fait qu’effleurer la résistance, des femmes qui n’ont pas été influencées par la situation politique et qui ne voulaient que survivre, bien que la volonté de survivre ait été propre à tous ces caractères féminins, ceux de la résistance comme ceux de la collaboration. »

Parmi les femmes choisies, il y entre autres la comédienne Anna Letenská, vedette du cinéma tchèque exécutée dans le camp de concentration de Mauthausen, l’actrice adulée du Théâtre national de Prague Anna Sedláčková, la comédienne Gertruda Šedová-Popperová devenue animatrice des activités théâtrales du camp de concentration de Terezín, la danseuse et chorégraphe Nina Jirsíková, le peintre Marie Marešová qui a beaucoup travaillé aussi pour le théâtre ou l’ actrice de cinéma Zdena Kavková-Innemannová, qui s’ est compromise pendant la guerre par la collaboration avec les nazis. Les sorts de ces femmes, qui réagissent, chacune à sa façon, à l’épreuve de l’occupation, forment une mosaïque qui fait resurgir de l’oubli un chapitre mal connu de l’histoire tchèque.

Anna la Douleur

C’est évidemment la catégorie de la prose, du roman, qui éveille le plus grand intérêt des lecteurs. Parmi les candidats au prix Magnesia Litera dans cette catégorie il y a Anna Bolavá, un nouveau visage parmi les romanciers tchèques.

Anna Bolavá est le pseudonyme de l’écrivaine Bohumila Adamová née en 1981. Nous pourrions traduire son pseudonyme comme Anna Douloureuse. Elle dit : « Tout cela est lié avec la douleur qui a infiniment de visages – physiques et psychiques. Evidemment je ne suis pas obligée d’écrire seulement sous le pseudonyme d’Anna Bolavá. J’ai aussi d’autres textes dont certains sont même humoristiques et que je vais publier peut-être sous un autre nom. »

'Vers les ténèbres',  photo: Odeon
Anna Bolavá a étudié la langue tchèque à la faculté de lettres à l’Université Charles de Prague en effectuant simultanément toute une série d’emplois. Elle a été tour à tour ouvrière, distributrice de journaux, femme de ménage et lexicographe de l’Institut de la langue tchèque. Mariée et mère, elle écrit aujourd’hui pour plusieurs revues littéraires, cultive la betterave et cueille des plantes médicinales. Entrée en littérature par la poésie, elle signe avec « Do tmy » (Vers les ténèbres) son premier roman. Dans son livre, Anna Bolavá raconte l’histoire d’une femme, Anna Bartáková, qui s’occupe de la cueillette de plantes médicinales. Elle soumet et adapte toute son existence à cette activité qui devient pour elle une passion et même une sorte d’obsession. Le seul refuge pour cette âme blessée est la nature qu’elle aime éperdument. Elle souffre d’une curieuse disharmonie psychique et on pourrait dire que le seul compagnon de sa vie est sa douleur intérieure. L`héroïne du roman a beaucoup de traits communs avec l’auteure y compris sa passion pour les plantes médicinales. Anna Bolavá avoue :

« Je me suis probablement beaucoup investie dans cette histoire quand je l’écrivais mais je ne souffrais pas avec Anna Bartáková quand elle était malade. Quand j’écrivais ce livre, j’avais l’impression d’enfourcher avec elle sa bicyclette, j’avais l’impression d’être là et de cueillir avec elle les herbes, même si c’était en décembre et l’épisode que j’écrivais se passait en juin. Je crois avoir bien savouré tout ça. Mais je n’ai pas savouré les moments pénibles dans la vie d’Anna, ça non. »

Photo: Archives du Prix Magnesia Litera
Lors de la rencontre avec les lecteurs à la Bibliothèque Václav Havel, Anna Bolavá affirmait avoir tout fait pour faciliter et rendre supportable la vie de l’héroïne de son roman mais le lecteur de son livre a toujours l’impression que l’existence d’Anna Bartáková, cette jeune femme ravagée par une force autodestructrice, est une perpétuelle souffrance. Comme si ce personnage littéraire se libérait de la tutelle de son auteur et commençait à vivre une existence indépendante, une vie dans la douleur. La vie autonome des personnages littéraires semblant échapper à la volonté de l’auteur a toujours été d’ailleurs le signe de bonne littérature. Il n’est pas exclu que ce trait spécifique du personnage principal de son roman vaille à Anna Bolavá le prix Magnesia Litera.

La cérémonie de remise des prix Magnesia Litera 2016 aura lieu le 5 avril prochain.