Un ancien « messager satanique » oiseau de l’année 2018 en République tchèque
Les Tchèques l’appellent « Sýček obecný ». En français, cela donne la chevêche d’Athéna – voire la chouette chevêche – et c’est elle qui a succédé au pic noir sur la liste des oiseaux de l’année. Comme d’autres espèces avant elle, la chevêche d’Athéna a été choisie comme « Oiseau de l’année 2018 » par la Société ornithologique tchèque (ČSO) pour attirer l’attention du grand public sur sa lente disparition de notre environnement. Comme les années précédentes déjà, François Turrian, vice-directeur de l’Association suisse pour la protection des oiseaux, membre comme la ČSO de l’ONG internationale BirdLife, explique pour Radio Prague quelles menaces concrètes pèsent sur la chevêche d’Athéna. Mais comme le montre aussi l’exemple de la Suisse, François Turrian assure que sa protection n’est pas une cause perdue d’avance. Encore faut-il le vouloir...
Ces humains, la chevêche les côtoie cependant moins aujourd’hui, car c’est un oiseau de bocage qui, comme bien d’autres animaux, est victime de l’intensification de l’agriculture et plus généralement de l’urbanisation.
« Absolument, la chevêche d’Athéna est un oiseau extrêmement sensible à différents éléments de son habitat, d’abord parce qu’il lui faut une riche nourriture. Elle se nourrit principalement de petits rongeurs et de gros insectes, ce qui sous-entend une riche palette de proies dans son territoire que font bien évidemment disparaître les pesticides et l’agriculture intensive. Mais c’est aussi un oiseau qui a besoin de cavités et qui cherche donc des trous comme dans des arbres creux, des murs, voire des habitations, pour se reproduire. Or, l’abattage fréquent des vieux arbres condamne ces possibilités. Ses populations sont par conséquent un très bon indicateur de l’état de notre environnement. Là où la chevêche d’Athéna est encore présente, on peut dire que l’environnement est encore en relativement bonne santé. Mais c’est vrai qu’en Europe moyenne, ses effectifs se sont véritablement effondrés ces dernières années. On la rencontre encore en bonne quantité dans les pays méridionaux, où l’environnement a été moins endommagé. »
La République tchèque et la Suisse sont deux pays qui, géographiquement, ne sont pas très éloignés l’un de l’autre, ne serait-ce qu’à vol d’oiseau. En Suisse, quelle est l’ampleur de la régression des populations de la chevêche d’Athéna ?« En Suisse nous avons quand même une bonne nouvelle dans la mesure où BirdLife Suisse et ses partenaires ont entrepris, depuis une vingtaine d’années, un plan d’action en faveur de cet oiseau. Dans deux régions où il n’y avait plus qu’une cinquantaine de couples, des projets de protection ont été mis en place. La première mesure a consisté à poser des nichoirs pour offrir à l’espèce des aides à la nidification. Puis en coopération avec les agriculteurs, d’autres mesures ont été prises pour favoriser la diversification des cultures, la création de jachères florales qui ont permis d’améliorer l’offre en nourriture pour la chevêche, et enfin la protection active des vieux vergers. Ajoutées à des replantations d’arbres, toutes ces mesures donnent leurs fruits puisque nous sommes passés de cinquante à cent-cinquante couples en l’espace d’une vingtaine d’années. Ceci dit, et même si nous avons triplé ses effectifs et même si elle n’est désormais plus en très danger d’extinction, l’espèce reste sur la liste rouge. »
« Les agriculteurs ont compris que les chouettes sont des oiseaux qui leur rendent service »
Est-ce un oiseau protégé partout en Europe ?
« Dans pratiquement tous les pays, oui. Aussi parce que les paysans ne considèrent plus la chevêche d’Athéna comme un oiseau de mauvais augure. Jusqu’au début environ des années 1950, la chevêche et d’autres rapaces nocturnes étaient persécutés directement parce qu’ils étaient considérés comme des messagers sataniques. Les chouettes faisaient l’objet de très mauvaises croyances, mais très certainement parce qu’on ne les connaissait pas et qu’elles vivent la nuit. Du coup, elles effrayaient une partie de la population. Aujourd’hui heureusement, ces croyances n’ont plus lieu d’être et les agriculteurs, mieux informés, savent que c’est un oiseau qui leur rend service en débarrassant les cultures d’un grand nombre de rongeurs. La chevêche est donc mieux protégée de ce point de vue-là, mais elle reste victime des effets négatifs de l’agriculture intensive. Celle-ci risque de causer sa perte dans un certain nombre de régions. »Vous ne semblez pas particulièrement optimiste quant à sa survie…
« L’exemple de la Suisse montre que si des mesures sont entreprises, avec le soutien du gouvernement et des régions concernées, on obtient des résultats encourageants en l’espace de quelques années. C’est donc une source d’espoir, y compris pour un pays comme la République tchèque. »
Est-ce un constat que vous faites pour d’autres espèces aussi ?
« Oui, car la chevêche d’Athéna fréquente bien entendu des milieux qui sont fréquentés par d’autres oiseaux qui, eux aussi, sont le symbole d’une agriculture diversifiée. Je pense par exemple aux alouettes, qui autrefois étaient des oiseaux très fréquents dans beaucoup de pays, mais aussi à beaucoup d’espèces de petits oiseaux qui nichent au sol dans les prairies ou les cultures. Ce sont autant d’oiseaux menacés. Or, il faut prendre conscience que tous ces oiseaux sont de véritables baromètres de notre environnement. Il est dans notre intérêt de veiller à la préservation de leurs populations. Le contraire prouve qu’il y a un déséquilibre dans notre manière de traiter le sol et la vie sauvage plus généralement. C’est là un constat qui unit tous les pays en Europe centrale : en Tchéquie comme en Suisse, nous devons en faire davantage pour notre biodiversité. »