Un divorce de velours

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Nous célébrons, ce jeudi, le 86e anniversaire de la naissance de la Tchécoslovaquie, le 28 octobre 1918. Une Tchécoslovaquie aujourd'hui inexistante. Le 1er janvier 1993, Tchèques et Slovaques se sont séparés. Leur Etat commun a cessé d'exister. Pour beaucoup, cette séparation n'a fait qu'entériner une logique historique inéluctable. Mais pour d'autres, elle a tourné la page d'une période historique fondamentale pour l'identité nationale, celle de la 1e République de Masaryk. En 1993, le président Havel offre sa démission, refusant d'être le président qui enterrera la fédération tchécoslovaque. Retour sur un divorce de velours.

Source: Radio Prague Int.
Les élections législatives des 5 et 6 juin 1992 scellent le destin de la Tchécoslovaquie. Le gouvernement fédéral s'avère impossible à renouveler. Les députés slovaques votent contre Havel et l'Assemblée fédérale décide que la Tchécoslovaquie cessera d'exister d'ici la fin de l'année. Le 1er janvier 1993, deux nouveaux Etats apparaissent sur la carte de l'Europe.

La République tchèque se voit soudainement revenir à une tradition géopolitique multiséculaire, celle de la Couronne de Bohême et des pays moraves. Mais ce "retour à la normale" consacre aussi la fin d'un rêve. Celui, par exemple, du pont est-ouest, formulé par Benes après 1945, d'un état touchant de toute sa longueur les mondes occidentaux et slaves. Surtout, la Tchécoslovaquie de Masaryk représente, pour les Tchèques du moins, un point d'ancrage fondamental de l'identité nationale.

Durant la 1e guerre mondiale, certains Slovaques de premier plan avaient, pour leur part, soutenu le projet tchécoslovaque. Leur plus illustre représentant est sans doute le scientifique slovaque, Stefanik. Citoyen français en 1914, il s'engage dans l'aviation lorsque la Grande Guerre éclate. On le retrouvera sur tous les fronts, à organiser, en Russie ou en Roumanie, les bataillons de la future armée nationale. Stefanik croit d'abord en l'Etat tchécoslovaque pour des raisons pragmatiques : un Etat plus grand et plus fort constitue un meilleur garant pour la sécurité des Tchèques comme des Slovaques. Elu vice-président de la République tchécoslovaque, Stefanik mourra en 1919 d'un accident d'avion et ne verra quasiment pas la 1e République.

Milan Rastislav Stefanik
La Constitution de 1920 fait tout pour donner un contenu tchéco-slovaque au pays. Si les Slovaques représentent la troisième communauté linguistique du pays, le slovaque et le tchèque sont désignés comme les deux langues officielles de la République. Une différenciation dans l'unité qui ne fait que souligner une réalité indéniable : le tchèque et le slovaque sont, malgré leur ressemblance, deux langues distinctes. La création du 1er dictionnaire tchéco-slovaque, en 1967, entérinera d'ailleurs ce simple constat. Car au-delà des critiques récurrentes que les Slovaques réitèrent régulièrement aux Tchèques (mépris, dirigisme...), une réalité historique distingue les deux nations.

Ladislav Stur, figure dominante de la Renaissance nationale slovaque, le formule clairement en 1850 : "Les Tchèques sont un tronc différent du nôtre. Leur histoire ne nous concerne pas car nous n'y avons pas participé". La formule est expéditive mais elle recouvre une certaine lucidité.

Matice
A partir de la fin du Moyen-Age, les nations tchèque et slovaque évoluent, en effet, dans des sphères d'influence bien distinctes. En Bohême, l'art et la culture d'Autriche et des pays allemands prédominent, dès la fin du XVIe siècle. Les Slovaques sont, quant à eux, intégrés à la Couronne de Hongrie. Ils constitueront même le centre de gravité du royaume hongrois après l'occupation de Buda par Soliman, en 1541. Le compromis austro-hongrois, en 1867, donnera à cette situation valeur de statu quo.

En cette 2e moitié du XIXe siècle et à l'heure des nationalismes, le combat commun des Tchèques et des Slovaques pour acquérir leur liberté dans une monarchie excluant les Slaves a pu rapprocher les deux nations. D'où des stratégies culturelles communes comme la création d'associations, les Matice, promouvant la langue nationale.

Mais la différence de l'oppresseur, autrichien pour les Tchèques et hongrois pour les Slovaques, aboutit aussi à des stratégies différentes, voire contradictoires. Ainsi, le 15 mars 1848, le chef révolutionnaire hongrois, Louis Kossuth, proclame l'indépendance de la Hongrie et son détachement de Vienne. Craignant le renforcement du centralisme hongrois, les Slovaques organisent un soulèvement militaire et aident l'Empereur autrichien à écraser la rébellion. La maxime les ennemis de mes ennemis sont mes amis a ici joué à plein. Mais cela n'a sans doute pas arrangé les Tchèques.

Le régime communiste en Tchécoslovaquie n'empêchera pas les antagonismes de subsister entre Tchèques et Slovaques. Ainsi, dans les années 60, le mouvement de contestation voit aussi les deux nations collaborer dans leur lutte contre le régime. Cette décennie offre un bel exemple d'interaction. Pour Pavel Tigrid, l'agitation slovaque au début des années 60 a un effet stimulant à Prague. Intellectuels tchèques et slovaques dénoncent les abus du pouvoir dans leurs revues respectives, Literarni noviny à Prague et Kulturni zivot à Bratislava.

Tchécoslovaquie
Les revendications des Slovaques se situent, cependant, toujours à un double niveau. En dénonçant le centralisme pragois, ils critiquent tout autant la nature du régime que l'absence d'autonomie slovaque.

On le voit, la séparation de 1993 n'arrive pas comme un cheveu sur la soupe dans l'histoire des relations entre Tchèques et Slovaques. Plus que la disparition de la Tchécoslovaquie, le plus étonnant est peut-être l'amnésie subite qui s'en suit dans les deux pays. Par ses valeurs et ses réalisations, la Tchécoslovaquie n'a pourtant pas été qu'un rêve.