Un musée qui dérange
Le célèbre panorama de Prague sera-t-il défiguré par la reconstruction moderne d'un édifice historique au bord de la Vltava? Tel est le problème qui alimente depuis quelques jours la presse tchèque. Vaclav Richter.
Le bâtiment en question est un ancien moulin, le moulin Sova, situé dans le parc de Kampa non loin du pont Charles. Vu de l'autre rive de la Vltava, c'est le seul édifice qui émerge de la verdure du parc. L'ancien moulin est donc bien visible et il est évident que tout changement de sa silhouette changerait aussi le panorama du Château de Prague et du quartier de Mala Strana, le fameux panorama qui est l'une des raisons pour lesquelles Prague figure sur la liste des monuments de l'UNESCO. Or, ces derniers temps, le moulin subit une reconstruction à fond pour devenir un musée d'art moderne. Il doit abriter les collections de Mme Meda Mladkova, une Américaine d'origine tchèque, ayant rassemblé au cours de sa vie une collection exceptionnelle d'oeuvres d'art tchèques. Elle possède, entre autres, 225 tableaux du fondateur de l'art abstrait Frantisek Kupka, une centaine d'oeuvres de Jiri Kolar et 16 statues d'Otto Guttfreund. Elle a décidé de faire don de ce trésor évalué à 30 millions de dollars à Prague, à condition qu'il soit exposé conformément à son voeu. Intransigeante et énergique, elle a su imposer ses projets malgré la réticence de plusieurs institutions. Elle a choisi le moulin Sova en plein centre historique, elle n'a pas respecté le résultat d'un appel d'offre concernant la reconstruction du moulin et a mis en rage la communauté des architectes en choisissant un projet qui n'a pas gagné. Elle était obligée néanmoins de respecter les exigences de l'Institut de protection des monuments historiques. Aujourd'hui, les travaux de reconstruction sont déjà bien avancés, mais Mme Meda récidive encore en modifiant au cours des travaux le projet initial pour changer la silhouette de l'édifice qu'elle juge aujourd'hui fastidieux. Elle insiste donc sur quelques modifications pour attirer le public. Le moulin doit être agrémenté d'une tour couronnée d'un objet d'art en cristal, d'une passerelle vitrée et de quatre lucarnes en verre. Bien entendu l'Institut de protection des monuments historiques sonne l'alarme et accuse Meda Mladkova de nuire par ses projets au panorama de Prague. Mme Meda ne rend pas les armes et menace de se retirer du projet et de le faire échouer. "C'est du chantage," dit le maire de Prague, Jan Kasl. La firme Trade Centre réalisant la reconstruction adopte un ton plus conciliant et promet de chercher un compromis. Mme Meda, elle, reste catégorique et refuse à la firme Trade Centre, qu'elle a pourtant choisie, le droit de résoudre ce problème: "C'est à moi de décider, souligne-t-elle et continue à se plaindre de l'ingratitude des institutions tchèques. "Ailleurs, on aurait construit un palais pour abriter une telle collection," dit-elle.