Un portrait du roi tchèque, Jean de Luxembourg

Il y a une semaine, nous avons parlé, dans le cadre de ce programme, de Jean de Luxembourg, dixième roi tchèque, qui, accompagné de son fils Charles IV, futur roi de Bohême et empereur romain, assista à l'un des premiers conflits de la guerre de Cent Ans - à la bataille de Crécy - où Jean de Luxembourg perdit sa vie. C'était le 26 août 1346. Aujourd'hui, je voudrais donc vous approcher les derniers moments de la vie de cet homme courageux, ainsi que le destin intéressant de sa dépouille.

Lorsque le roi, qui luttait dans l'arrière-garde, avait appris que la bataille prenait une mauvaise tournure, il ordonna à ses compagnons de guerre de le conduire directement dans la mêlée sanglante. D'après le chroniqueur Jean Froissart, il aurait dit littéralement à ses hommes: 'Seigneurs, aujourd'hui, vous êtes tous mes amis et frères en arme, c'est pourquoi je vous demande, car je suis aveugle, de me conduire dans le vacarme de la bataille, de façon que l'ennemi soit à la portée de mon épée', fin de citation. Les seigneurs tchèques demandaient au roi de se sauver la vie, mais ce dernier refusa prononçant les mots célèbres: 'Dieu ne verra jamais un roi tchèque fuir le champ de bataille'. Deux chevaliers prirent donc le roi aveugle entre eux, attachèrent son cheval aux leurs, et entrèrent dans les rangs de l'ennemi. L'épée à la main, Jean de Luxembourg se battait courageusement mais après avoir reçu plusieurs coups d'épée mortels, il tomba de son cheval parmi ses compagnons morts ou blessés.

La nuit venue, les Anglais trouvèrent le roi tchèque entre les cadavres de ses seigneurs. Il respirait encore. Le roi Edouard III d'Angleterre le fit emmener dans sa tente où Jean de Luxembourg est mort quelques heures plus tard. 'On fut témoin de la mort du fer de lance de la chevalerie', dit à cette occasion le roi vainqueur.

Le roi d'Angleterre remit la dépouille de Jean de Luxembourg au fils de ce dernier, Charles IV, qui, lui aussi, fut blessé lors de la bataille de Crécy et se soignait de ses blessures dans l'abbaye d'Ourschamps. Le fils transporta le corps de son père au Luxembourg, car ce dernier avait désiré d'être enterré dans l'abbaye des bénédictins d'Altmünster.

Jean de Luxembourg mena une vie orageuse et c'est peut-être pour cela qu'il ne devait trouver le repos même pas après sa mort. En 1543, ses os furent transportés dans le couvent franciscain d'Altmünster où on lui a volé son crâne. Le pauvre roi ne devait retrouver la partie la plus importante de son corps qu'un siècle plus tard, alors qu'il reposait déjà à Neu-Münster. Après les années révolutionnaires de 1795, sa dépouille fut dissimulée dans un appartement privé et, après 1809, elle est devenue partie d'une collection de curiosités de Boch-Buschmann, homme d'affaires de Metlaquie en Tunisie. C'est le roi prussien Friedrich Wilhelm Ier qui découvra la dépouille de Jean de Luxembourg chez ce commerçant, en 1883, l'acheta et fit construire pour elle un tombeau à Castel sur Sare.

Avec l'arrivée du XXe siècle, 'le voyage posthume' de Jean de Luxembourg n'a toujours pas l'air de prendre fin. A l'occasion du 600e anniversaire de sa mort, en 1946, il quitte le tombeau de Castel sur Sare et retourne au Luxembourg, où sa dépouille est mise solennellement dans la crypte de l'église Notre-Dame.

Le 27 août 1980, la crypte de Jean de Luxembourg est ouverte et sa momie, dans un mauvais état, sortie et transportée cette fois-ci à Prague, où elle sera examinée et soignée. Le but de cette expertise consistait à confirmer qu'il s'agissait vraiment de la dépouille du roi Jean de Luxembourg. On a fait une comparaison même avec la momie de son fils Charles IV et on a découvert plusieurs traits distinctifs communs à ces deux souverains tchèques. On a appris, par exemple, que Jean était grand de 170 cm, svelte, corps athlétique et d'après le développement des os de la cuisse, un excellent cavalier. A cheval, il faisait le trajet Prague-Paris en 12 à 14 jours, écrivent les chroniqueurs. Jean de Luxembourg est devenu célèbre grâce à son héroïsme, car tout en étant aveugle, il n'hésitait pas à entrer dans le combat pour la France. Les Français le connaissent d'ailleurs plutôt sous le nom de Jean l'Aveugle.

Certains chroniqueurs parlent de la cécité du roi. Aveugle de l'oeil droit à l'âge de 41 ans, le roi se soigne à Montpellier, mais le traitement est sans succès et le roi devient complètement aveugle deux ans plus tard. Selon les experts qui avaient examiné sa momie, il devait souffrir d'un glaucome, cette charge génétique existant dans la famille des Luxembourg. Un coup de lance dans l'oeil, qui atteignit le centre du crâne, fut la raison directe de sa mort sur le champ de bataille de Crécy.

Rendons-nous encore sur le champ de bataille. Selon les chroniques, Jean fut arraché de son cheval et sur ce lieu un tailleur de pierre inconnu a érigé une croix de marne, au XIVe siècle, qui y est jusqu'à nos jours et que l'on appelle la Croix de Bohême. Celle-ci se trouve au milieu des champs, sans que l'on connaisse son auteur qui a voulu rendre ainsi hommage à l'un des plus grands chevaliers de l'époque. La croix a été reconstruite en 1904, mise sur un socle en style moderne et complétée par une plaque commémorative qui donne les informations essentielles sur cet événement historique.

Auteur: Astrid Hofmanová
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