Une anthologie tchèque du théâtre de Bernard-Marie Koltès
Bernard-Marie Koltès est l'un des rares dramaturges français dont les pièces s'imposent, de temps en temps, dans le répertoire des théâtres tchèques. Malgré d'innombrables difficultés que pose la « transplantation »de ses oeuvres sur les scènes tchèques, de telles tentatives ont déjà été faites et ont donné des résultats prometteurs. La recherche permanente de la communication entre les hommes qui est le sujet profond de la majorité des pièces de Koltès, reste d'actualité même au début du XXIe siècle. Désormais, les gens de théâtre, mais aussi de simples lecteurs tchèques auront la possibilité de beaucoup mieux connaître ce dramaturge français, ayant vécu entre 1948 et 1989. Ils disposent maintenant d'une anthologie tchèque de cet auteur publiée par l'Institut de Théâtre à Prague.
Daniela Jobertova, qui enseigne à la faculté de théâtre à Prague, et qui a fait partie du groupe d'auteurs ayant traduit et préparé cette anthologie à l'édition, évoque les circonstances de la réalisation de ce projet difficile et précieux :
« Je n'arrive même pas à me souvenir du moment où l'on a commencé à parler avec Jana Patockova de l'Institut du théâtre de Prague pour la première fois de ce livre. Il était clair que si l'on allait traduire en tchèque un auteur dramatique français, ce serait évidemment Koltès. Il présente une dramaturgie qui est cohérente, qui est fermée. En fait il y a six grandes pièces qui sont, chacune, une étape dans un parcours créatif. Pour ses pièces - et cela me sidère, me fascine, et me plaît beaucoup - Koltès n'utilise jamais un modèle dont il est persuadé qu'il va marcher. Chaque pièce est une étape complètement indépendante dans ce parcours. Et effectivement, à la fin des années 1990, on ne sait pas que c'est un grand auteur avec une architecture qui se nourrit de la grande tradition du théâtre français stylisé, du théâtre qui est basé sur la littérature, sur le mot, sur la parole. Donc on savait que c'était lui, la dramaturge français le plus important de la fin du XXe siècle. Donc le projet de le publier doit dater depuis à peu près six ans. »
Quels sont donc les titres que vous avez réunis dans le livre ?
« On a réuni les six grandes pièces : « La nuit juste avant les forêts », c'est un monologue, « Combat de nègres et de chiens », « Quai Ouest », « Dans la solitude des champs de coton », « Le retour du désert », et « Roberto Zucco ». Ce sont donc ses six pièces écrites en l'espace de dix ans, entre 1977 et 1987. Il est mort en 1989. Et nous y avons ajouté deux petits textes. Le premier Tabataba écrit en 1986, est un dialogue de dix minutes entre une soeur et un frère, et puis « Coco » qui est composé de trois fragments finis d'un dialogue entre Coco Chanel et sa servante, dialogue d'une énorme violence et d'une grande brutalité de ces deux personnages qui jouent sur le rapport de forces entre la maîtresse et la servante. Donc il y a ces six textes que Koltès considérait comme ses oeuvres abouties. Il n'a jamais voulu publier et mettre en avant ses textes de jeunesse écrits dans les années soixante et au début des années soixante-dix, et qui sont maintenant tous publiés et même joués. Cependant lui-même considérait ça comme une étape finie.
Quels ont été les problèmes de la traduction de ces pièces ?
« C'est surtout ce langage hautement stylisé que Koltès maîtrise absolument. C'est quelqu'un qui connaît parfaitement la langue française, mais qui est aussi très sensible au métissage de cette langue, à toutes les influences que le français peut subir de la part des Noirs qui parlent le français, des Arabes qui parlent le français. Donc il connaît et il conserve cette richesse de la langue française et l'on voit par exemple dans « Quai Ouest » et aussi dans la pièce « Dans la solitude des champs de coton » qu'il s'inspire de Marivaux et du procédé de marivaudage où les personnages jonglent avec la langue et utilisent la langue comme une arme. Mais on voit aussi qu'il est très sensible à toutes les influences de l'anglais qui peut y avoir sur le français. Il faut trouver donc un langage qui corresponde à l'original qui est très stylisé et qui, au théâtre en France passe très bien, parce que la France est quand même un pays où les spectateurs sont habitués à écouter. Antoine Vitez disait que les gens venaient au théâtre pour écouter la langue nationale, c'est quelque chose que nous n'avons pas. Et trouver un équivalent à cette haute stylisation, c'était vraiment un très grave problème. »
Vous avez conçu les traductions de ces textes pour quelles soient joués ou plutôt pour qu'elles soient lues ?
« Je pense qu'il y les deux, Effectivement, c'est les traductions qui essaient d'être les plus fidèles possible à l'original. Il n'y a pas de coupures et grâce à Vaclav Jamek on essaie de garder l'unité de style de Koltès. Il n'y a donc pas des écarts énormes à cette stylisation. Ce sont des textes qui ont des qualités littéraires qu'il faut absolument sauvegarder, mais qui en même temps veulent se proposer aux gens de théâtre. Cela va être très difficile. Je pense que ce sont quand même des textes jouables et s'ils ne le sont pas, c'est parce que les acteurs tchèques ont peur de monologues alors que le théâtre de Koltès est surtout au début le théâtre des monologues et puis des monologues qui essaient de cohabiter et cela devient dialogue. Donc c'est un texte qui est très long et très difficile à jouer pour un acteur. Souvent comme dans la pièce « Dans la solitude des champs de coton », des textes qui ne s'appuient que sur eux-mêmes. C'est à dire il n' y a pas beaucoup de jeux scéniques qu'ils cachent en eux ou qu'ils proposent et il faut que l'acteur parte du langage, du texte et qu'il ne l'embrouille pas par trop d'action physique sur la scène. La beauté et l'action sont dans le langage. C'est un combat incessant où les personnages essaient de forcer, l'un l'autre, d'accepter quelque chose. D'ailleurs l'abbé d'Aubignac disait même par rapport au théâtre du XVIIe siècle : « Dire c'est faire, parler c'est agir. » Et Koltès est l'héritier de cette tradition de la parole agissante. »