La réception du théâtre de Bernard-Marie Koltès en Tchéquie

Bernard-Marie Koltès

La semaine dernière, nous avons parlé dans cette rubrique de l'anthologie tchèque du théâtre de Bernard-Marie Koltès parue aux Editions de l'Institut de Théâtre à Prague. Ce livre est un instrument précieux pour les Tchèques qui désirent connaître ce dramaturge, et aussi, bien entendu, pour les gens de théâtre tchèques. Ils pourront désormais utiliser les textes réunis dans l'anthologie pour de nouvelles mises en scène. Quelques théâtres tchèques ont déjà osé mettre en scène ces pièces difficiles pour un public qui n'est pas habitué au langage compliqué de cet auteur. Daniela Jobertova, qui a préparée à l'édition l'anthologie de Koltès, retrace les péripéties de la réception des pièces de ce dramaturge en Tchéquie.

« Au début des années 1990 et plus particulièrement en 1992 il y a eu d'abord Roberto Zucco qui a été joué en République tchèque puis « Combat de nègres et de chiens » et encore « Roberto Zucco ». Et la réception a été très mauvaise, parce que c'était juste après la Révolution de velours et le public n'était pas du tout habitué, il ne s'attendait pas de voir ce genre de thèmes sur les scènes de théâtre. Un chantier en Afrique où un noir vient réclamer le corps de son frère mort sur le chantier, n'était pas un thème attractif pour le public tchèque qui demandait : « Mais qu'est ce que j'ai à faire avec ça ? Ça ne parle pas de moi. » Et puis on reprochait à ces textes de parler trop, d'être trop bavards. C'est du théâtre français qui est bien écrit, disait-on, mais ça ne parle pas de notre temps, ça ne parle pas de nous.»

Le début des années 1990 était donc très difficile et puis, en 2000, il y a eu deux productions qui ont fait basculer la situation. C'était celle de « Roberto Zucco » à la DAMU (Faculté de théâtre) qui a été très bien mise en scène par les étudiants et « Le Retour au désert » que Cestmir Cisar a réussi à imposer à la direction du théâtre Cinoherni klub à Prague.

« Et ces deux mises en scène ont énormément changé l'attitude des professionnels et du public tchèque vis-à-vis de Koltès, et on a enfin compris, avec dix ans d'écart, que c'était un homme qui avait des choses à dire, qui parlait des thèmes contemporains. On a compris que ce n'était pas un théâtre exotique sur l'Afrique, mais un théâtre sur des sujets contemporains et acceptables non seulement en France, mais aussi dans notre pays.»


Les lecteurs tchèques disposent donc maintenant d'une anthologie de Koltès réalisée avec beaucoup de soins. Que faut-il faire pour attirer l'attention des gens de théâtre sur cette anthologie. Contribuera-t-elle à imposer Koltès sur les scènes tchèques ?

« On espère que les théâtres vont s'intéresser à ce qui est publié. D'ailleurs, les théâtres tchèques suivent ce qui est publié par l'Institut de théâtre qui est une des rares maisons d'éditions qui publient ce genre de textes. Et Koltès est quand même un auteur qui est côtoyé par un certain nombre des conseillers de théâtre et des metteurs en scène qui ont pour l'instant un peu peur de l'aborder. C'est un texte qui est effectivement très difficile pour les acteurs. La phrase koltésienne est une phrase très compliquée qui part d'un sujet, qui se promène, qui se ballade, qui fait des déviations, mais qui revient toujours à son propos d'origine. Il faut savoir travailler avec cette chorégraphie de la phrase.»

Selon Daniela Jobertova, la psychologie est absente dans le théâtre de Koltès car il détestait les personnages psychologiques. Il ne croyait pas à la psychologie au théâtre. Koltès croit au mot qui agit et non pas à des états d'âme. Les personnages sont les forces qui se battent et c'est de cette façon qu'il faut jouer les textes de cet auteur. Le texte, le verbe, la parole sont les armes que le personnage de ces pièces savent plus au moins bien utiliser.

« On voit l'évolution dans toute l'écriture koltésienne. Par exemple dans la pièce 'La nuit juste avant les forêts' il y a un personnage qui parle. Il parle une heure et demi, et on voit qu'il a une rhétorique qui n'est pas encore sûr d'elle. C'est quelqu'un qui essaie d'attraper son interlocuteur par tous les moyens qu'il a, et lui promet plein de choses. Ce n'est pas une rhétorique sûre d'elle. Alors que « Dans la solitude des champs de coton » il y a deux personnages, deux orateurs qui savent que leur seule arme est la parole et savent déjà très bien s'en servir. On voit donc une évolution dans ce rapport à la parole, qui devient vraiment une arme à part entière, une arme très utile.»


Daniela Jobertova enseigne à la DAMU (Faculté de théâtre) et elle travaille sur les oeuvres de Koltès. Au début ce n'était pas facile car, comme elle constate, les étudiants sont toujours d'abord pris au dépourvu par cette écriture. Pendant que les traductions étaient en cours, elle a donné à ses étudiants des extraits de ses textes pour leur montrer comment un auteur de la fin du XXe siècle écrivait et quels étaient les thèmes de ses oeuvres.

« Et ces extraits les ont intimidé, c'est vrai, ils avaient très peur de cette écriture. Mais je leur demande aussi de faire des travaux là-dessus, d'écrire là-dessus et j'ai pas mal de retours qui signalent que c'est effectivement un auteur qui s'accroche quelque part dans le cerveau. J'ai une étudiante qui m'a écrit un travail et qui m'a dit après : 'Je suis sûre que je vais revenir à Koltès, je suis peut-être jeune maintenant. Ce n'est pas seulement l'écriture qui me fait peur. Ce sont également les thèmes pour lesquels je ne suis pas encore mûre, mais je vais revenir à ça. C'est vraiment un grand auteur.' Donc moi je suis vraiment contente de pouvoir au moins le faire découvrir à des étudiants parce que c'est quand même toute cette tradition française qui est très négligée chez nous qui resurgit derrière Koltès, que ce se soit Corneille, Racine, Marivaux, Hugo, Claudel, Becquet. Je pense donc que c'est bien accueilli par les étudiants.»