Trois pièces de Marguerite Duras actuellement au répertoire des théâtres tchèques

'La Musica Deuxième'

Les théâtres et le public tchèques redécouvrent Marguerite Duras. Les pièces ‘La Musica Deuxième’ et ‘L’amante anglaise’ figurent en ce moment à l’affiche des théâtres pragois tandis que le Centre de théâtre expérimental de Brno présente son œuvre intitulée ‘Savannah Bay’. Pourquoi cette écrivaine qui est longtemps restée un peu négligée par le monde du théâtre tchèque s’impose-t-elle soudainement et trouve-t-elle son public en Tchéquie ? Nous avons cherché la réponse à cette question avec la théâtrologue et traductrice Daniela Jobert.

Quelle est donc la réception du théâtre de Marguerite Duras en Tchéquie ?

«Il faut dire que les deux dernières années sont assez exceptionnelles parce qu’on joue simultanément trois pièces de Marguerite Duras, deux à Prague et une à Brno, donnée de temps en temps par une troupe à moitié autrichienne mais le spectacle est en tchèque. Donc, c’est une situation exceptionnelle, étant donné que, depuis 1966, il y a eu au total chez nous juste huit mises en scène de pièces de Duras. Pour presque une cinquantaine d’années, ça ne fait vraiment pas beaucoup. Donc cela montre l’hésitation de la dramaturgie tchèque vis-à-vis de cette écriture très fragile, très intime, disons très psychologique mais pas dans le sens du réalisme psychologique, une écriture introvertie, introspective, qui va vraiment au plus profond de soi-même pour parler de l’amour, du passé, de la réinterprétation du passé. Le passé est-il vraiment ce qu’on pense qu’il a été?»

Suivez-vous un peu l’évolution de ces productions qui sont actuellement à l’affiche des théâtres tchèques?

«Je ne les suis pas dans le sens où je pourrais écrire des critiques sur l’évolution du travail scénique mais je vois, et cela me fait très plaisir, que les deux spectacles pragois sont toujours pleins. Bien sûr, ce sont de petits théâtres, Kolovrat et Viola. Mais il y a un réel intérêt, ‘La Musica Deuxième’ se joue maintenant à Viola depuis un an devant une salle pleine, au théâtre Kolovrat c’est la même chose. C’est parfois même difficile d’avoir des places. Donc, en fait, il y a quelque chose dans ces dramaturgies qui a enfin réussi à capter l’attention du spectateur tchèque, qui doit être lassé et doit chercher d’autres sensations et d’autres idées au théâtre que ce qu'il recherchait il y a dix ans. »

On reproche parfois au théâtre de Marguerite Duras de ne pas être un véritable théâtre, d’être plutôt une lecture dramatique. Qu’en pensez-vous?

«C’est tout à fait vrai, ce n’est pas un vrai théâtre de situations dramatiques, de conflits, de l’histoire qui a un début, un centre et une fin. Mais je pense que par la façon dont il traite la relation entre les gens, l’amour, l’amour qui s’en va, les relations dans les familles, relation mère et fille, c’est un théâtre qui fait énormément réfléchir. C’est un théâtre qui est effectivement très exigent vis-à-vis du spectateur parce qu’il lui demande de chercher ce qu’il y a derrière les mots, de chercher là où il n’y a pas d’image, de se construire lui-même des images. Donc ce sont les mots qui nous viennent et on nous demande de nous en faire une mise en scène mentale nous-mêmes. (…) Finalement, cela demande un spectateur beaucoup plus actif. Annie Ubersfeld, la grande théoricienne du théâtre, parlait effectivement du travail de spectateur où le spectateur est une sorte de metteur en scène.»

Vous avez traduit plusieurs pièces de Marguerite Duras. De quelles pièces s’agit-il?

« J’ai traduit tout d’abord ‘Savannah Bay’, c’était à la suite d’un spectacle que j’ai vu à Paris dans les années quatre-vingt-dix avec Gisèle Cassadessus et Martine Pascal. Ensuite j’ai traduit ‘La Musica Deuxième’, qui est une version rallongée de la pièce ‘La Musica’ que Duras avait écrit dans les années soixante. Duras elle-même a dit que les voix de ces personnages l’avaient hantée pendant vingt ans et l’avait finalement obligée à reprendre le stylo et à finir cette histoire. Dans la première version la pièce finissait dans la nuit. Dans la version de 1985, ses deux personnages, homme et femme, traversent la nuit, se dévoilent et se disent finalement ce qui s’est peut-être passé dans leur mariage. La troisième pièce, c’est ‘L’amante anglaise’ que j’ai traduite récemment sur commande du Théâtre national.»

Quels problèmes ces traductions vous ont-elles posés? Est-il difficile de rapprocher Marguerite Duras du public tchèque?

«C’est très difficile. Il s’agit des phrases qui sont souvent assez courtes et il est parfois très difficile d’imaginer l’intonation tout en sachant que l’intonation change tout. L’intonation est porteuse de 70 % de l’information dans la phrase. Donc c’était aussi l’effort de trouver un bon ordre des mots afin que l’intonation puisse prendre un sens et puisse passer cette inscription de l’intonation dans l’ordre des mots aux acteurs. Donc, effectivement, c’était très difficile. Surtout parce qu’on ne peut pas s’appuyer vraiment sur les personnages dont le passé nous serait connu, etc. Ce sont des choses très floues. Ces personnages nous échappent tout le temps, ils ne se laissent jamais dévoiler. Ils sont parfois contradictoires et ces contradictions se traduisent dans le texte. On doit finalement accepter de travailler avec les contradictions de personnes qui se traduisent dans le texte et il faut les accepter. Donc il est très difficile de trouver un bon ordre de mots qui invite l’acteur à trouver la bonne intonation, le bon rythme, la bonne respiration. On a beaucoup travaillé, on a beaucoup écrit et réécrit avec le dramaturge, on a fait différentes versions, on les disait pour savoir comment ça pourrait être dit et ce que ça pouvait dire si c’était dit comme ça. Donc il y a énormément de travail d’écriture, de ratures, de réécritures. Et de toute façon, chaque fois que je le lis, je me dis que peut-être je le traduirais encore autrement.»

Avez-vous l’intention de continuer? Avez-vous une autre œuvre de Marguerite Duras en vue ?

«En ce moment je dois dire que non. En fait, je n’ai pas, malheureusement, le temps de traduire. D’ailleurs, si j’avais le temps, je voudrais plutôt traduire des pièces beaucoup plus anciennes. Je flirte un peu avec certains titres de Corneille, mais c’est un travail très difficile, ou alors je pourrais continuer de traduire des pièces contemporaines. Pour l’instant je pense que j’ai passé beaucoup de temps avec Duras et que je dois passer un peu à autre chose.»