Une crèche tchèque pour les 850 ans de Notre-Dame de Paris
Grâce aux retransmissions télévisées, des milliards de gens dans le monde l’ont vu ou le verront ces jours-ci. Le sapin de Noël qui orne cette année la place Saint-Pierre de Rome est un arbre tchèque, plus précisément un épicéa de Bohême du Sud. Mais le Vatican n’est pas le seul endroit prestigieux en Europe à mettre la République tchèque à l’honneur cette année. Depuis le 30 novembre et le premier dimanche de l’Avent, c’est aussi une crèche tchèque qui est exposée à Notre-Dame de Paris.
« Depuis quelques années, nous faisons venir à Notre-Dame de Paris pour Noël des grandes crèches d’Europe et du monde. L’année dernière, nous en avons eu une très belle qui venait du sud de l’Italie. Cette année, pour les 850 ans de la cathédrale, de nouvelles cloches ont été inaugurées et, à cette occasion, nous avons accueilli des campanologues tchèques qui étaient accompagnés de madame l’ambassadrice. C’est au détour d’une conversation pendant la visite des cloches que nous avons évoqué la question de la crèche. Et c’est ainsi que nous avons contacté l’ambassade de République tchèque qui nous a orientés vers monsieur Netík et sa crèche que nous sommes donc très heureux d’accueillir. »
Ambassadrice de la République tchèque en France, Marie Chatardová a bien entendu « sauté » sur cette occasion unique de présenter son pays au monde entier, Notre-Dame de Paris étant traditionnellement visitée par plusieurs millions de touristes de toutes nationalités à l’approche et durant les fêtes de fin d’année. Et madame l’ambassadrice n’a pas eu besoin de déployer des trésors de persuasion pour convaincre les responsables de la cathédrale, la fabrication de crèches en République tchèque, comme dans l’ensemble de la région d’Europe centrale, étant un art populaire et ancestral, leur apparition dans les Pays tchèques remontant à la seconde moitié du XVIe siècle :« J’ai visité la cathédrale début septembre avec une délégation tchèque et monsieur André Pinot m’avait alors dit que, l’année dernière, pour la première fois, il y avait eu une crèche étrangère, italienne, à Notre-Dame. Il m’avait aussi confié qu’ils aimeraient bien avoir une nouvelle crèche autre que française cette année aussi. Je lui avais donc répondu qu’elle pourrait être tchèque. Comme il était d’accord, je me suis adressée à l’Association tchèque des amis des crèches (České sdružení přátel betlémů) en leur expliquant la proposition qui nous avait été faite et que ce serait un grand honneur pour la République tchèque, d’autant plus qu’est fêté cette année le 850e anniversaire de la fondation de la cathédrale. Et après avoir discuté de différents paramètres, c’est la crèche de Jiří Netík qui a été choisie. »
« C’est la cathédrale qui a fait le choix. Pour ce qui est des critères de sélection, il fallait d’abord que la crèche soit suffisamment grande pour pouvoir bien rendre dans un espace aussi vaste que l’est celui de Notre-Dame. Après, je ne sais pas s’il y avait de véritables critères esthétiques ou s’ils voulaient une crèche en bois, tout cela s’est passé indépendamment de nous. Notre rôle a simplement été de mettre en contact la cathédrale avec les fabricants en République tchèque. »
Depuis l’année dernière, Notre-Dame de Paris propose de découvrir une crèche venue d’un pays étranger. Après la Sicile en 2012, c’est donc au tour de la République Tchèque d’avoir ce privilège avec une crèche en bois sculpté pour ce Noël 2013. Béni par le cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris, lors des premières vêpres de l’Avent et d’une messe marquant la clôture de « l’Année de la Foi » et du jubilé des 850 ans de la cathédrale, ce « Betlém », comme les Tchèques désignent les crèches, est le fruit de l’imagination et du minutieux travail de Jiří Netík :« Je travaille comme sculpteur depuis une bonne trentaine d’années. Pour les graveurs et les sculpteurs, les crèches et les fêtes de Noël ont toujours été l’occasion de réaliser des travaux comprenant plusieurs figures. Personnellement, j’avais déjà une crèche sous le régime communiste que j’exposais tous les ans à différents endroits du pays, même si, bien sûr, pour des raisons politiques et idéologiques, ce type d’exposition posait parfois certains problèmes. Pour ce qui est plus concrètement de cette crèche, je l’ai sculptée il y a une vingtaine d’années de cela. Depuis, je l’ai complétée de différentes figures et elle a déjà été exposée dans de très belles cathédrales un peu partout dans le monde. Mais cette année, je suis tout particulièrement heureux qu’elle soit ici à Notre-Dame de Paris. »
L’admiration de l’artiste pour la cathédrale et celle des responsables de celle-ci pour la crèche de Jiří Netík sont réciproques. Laurent Prades ne se contente donc pas seulement de rendre la politesse au sculpteur et graveur tchèque lorsqu’il affirme :
« Ce que nous avons tout de suite beaucoup aimé, c’est le travail du bois brut, massif, qui est à la fois très simple et très développé. Il y a un mouvement baroque, avec des personnages très figuratifs mais aussi très contemporains. A travers ces personnages, on retrouve l’humanité du monde et des chrétiens. »
Ce travail du matériau noble qu’est le bois et la représentation suggestive et symbolique des valeurs universelles de paix et de sérénité dans la scène de la Nativité ont valu dans un passé récent, et valent toujours aujourd’hui, à l’œuvre de Jiří Netík d’être montrée aux quatre coins de l’Europe.S’inscrivant parfaitement dans la tradition des crèches tchèques entièrement sculptées en bois, le « Betlém de Netík » a d’abord été exposé en 1989, année de sa réalisation, dans l´Eglise de Saint-Jacques à Brno, ville natale du sculpteur. Enrichie depuis son origine de plusieurs sculptures, la crèche actuelle a été bénie en 2009 par le cardinal tchèque Tomas Špidlík à Rome où elle a été exposée au Panthéon, ou encore en 2011 dans la cathédrale Saints-Michel-et-Gudule de Bruxelles.
Né en 1953 dans la capitale de la Moravie, Jiří Netík, avant d’être sculpteur et graveur, est musicien de formation. C’est dans les années 1980 qu’il commence à se consacrer à la sculpture et au métier de restaurateur et créateur de crèches en bois. De son œuvre ressort la vénération et le respect pour le monde et pour la destinée de l’homme, de la même façon que dans certaines des œuvres des maîtres du Moyen-Âge ou du baroque. C’est aussi ce que retrouve Laurent Prades plus généralement dans l’art spirituel tchèque :
« L’idée que l’on s’en fait, je pense, c’est un très bel art essentiellement baroque du XVIIe ou XVIIIe siècle qui est une référence en Europe. Le travail de Jiří Netík est intéressant justement parce qu’il s’inscrit dans ce mouvement en le reprenant, en le travaillant et en restant finalement dans la grande tradition de l’art baroque tchèque. En fait, ce que je trouve baroque dans sa crèche, c’est la profusion dans les personnages et leurs mouvements envolés. Chaque personnage a un mouvement bien précis. Ils ne sont pas là simplement debout et admiratifs devant la crèche. Ils ont tous une attitude très travaillée et prononcée. Il y a des corps qui sont pliés, cet homme devant qui tend le bras, et c’est dans ce sens-là que je qualifierais cette crèche de baroque. »
« Cet homme devant qui tend le bras », comme le décrit Laurent Prades, n’est pas n’importe qui... Jiří Netík nous en dit plus sur son oeuvre :
« C’est une crèche en bois de noyer et nombre de ses figurines ont une tendance que je qualifierais de ‘néogothisante’. Elles proviennent ou sont la transposition de différents tableaux célèbres. Même si celui-ci n’est justement pas gothique, on voit ici au premier plan notamment le personnage avec le doigt levé qui est inspiré du Saint Jean-Baptiste de Leonardo de Vinci. De la période Renaissance, il y a aussi le peintre allemand Albrecht Dürer et bien d’autres encore. »Et pour voir tous ces « autres encore », la crèche de Jiří Netík, installée dans le déambulatoire de la cathédrale, restera exposée à Notre-Dame de Paris jusqu’à fin janvier.