Une femme au pupitre de l’Orchestre philharmonique tchèque
Une femme a dirigé, ce jeudi, la Philharmonie tchèque, le premier orchestre symphonique du pays. C’est une Américaine, Marin Alsop, qui a transgressé ce qui semblait être un tabou et a pris la place qui n’est, d’habitude, réservée qu’aux hommes.
Selon le directeur administratif de la Philharmonie Václav Riedlbauch, la décision de confier la direction de l’orchestre à une femme est un véritable tournant dans l’histoire de cette formation prestigieuse :
«Une femme devant un orchestre c’est une exception ce qui ne veut pas dire cependant que les chefs d’orchestre féminins n’existent pas dans le monde. Il y en a en aujourd’hui et elles sont très célèbres. Chez nous, c’est cependant très rare. Marin Alsop s’était déjà produite à Prague avec un orchestre britannique, c’était très intéressant pour nous et nous l’avons donc invitée. Elle a choisi un programme extrêmement difficile.»
Pour ses deux concerts pragois, les 5 et 6 mars, Marin Alsop a choisi deux oeuvres monumentales qui illustrent, chacune, un autre visage de la musique européenne. Tandis que la Symphonie alpestre de Richard Strauss reflète encore les dernières lueurs du romantisme, le Sacre du printemps d’Igor Stravinski est une oeuvre qui a révolutionné la musique et lui a ouvert de nouveaux horizons. Marin Alsop est aujourd’hui un des chefs d’orchestre féminins les plus respectés. Après les études avec Leonard Bernstein et les victoires dans deux concours importants, elle s’est lancée dans une carrière qui lui a apporté la direction de quelques orchestres américains de moindre importance et lui a valu les invitations à diriger plusieurs formations européennes renommées dont l’Orchestre symphonique de Londres, l’Orchestre de Paris ou l’Orchestre de la Scala de Milan. Ce jeudi, elle a donc dirigé aussi la Philharmonie tchèque, mais, selon Václav Riedlbauch, elle n’est pas la première femme à qui ait été confiée cette tâche:
«C’était Vítězslava Kaprálová. Elle était compositeur. Vítězslava Kaprálová a dirigé la Philharmonie dans les années trente et c’était une prestation célèbre. Depuis ce temps-là, je ne connais aucun autre cas de ce genre. Je ne connais aucune autre femme ayant collaboré avec la Philharmonie tchèque outre celles, bien entendu, qui étaient assises devant leurs pupitres et jouaient dans l’orchestre.»
C’est en 1937 que Vitězslava Kaprálová, une jeune fille de 22 ans, dirige la Philharmonie tchèque interprétant sa composition Sinfonietta militaire dédiée au Président de la République. L’oeuvre qui illustre le talent précoce de la jeune femme, est aussi un appel à la vigilance face au danger du nazisme allemand. Pour Vítězslava Kaprálová, fille d’un compositeur et amie très proche de Bohuslav Martinů, c’est une consécration et la promesse d’une carrière fulgurante. L’année suivante elle dirigera l’Orchestre de la BBC à Londres qui présentera, lui aussi, sa Sinfonietta. C’est la tuberculose qui arrêtera le vol de cette jeune artiste. Elle mourra en 1940, à 24 ans, dans un hôpital de Montpellier en laissant derrière elle plusieurs œuvres faisant preuve d’un talent fort et original. Il faudra attendre plus de 70 ans pour qu’une autre femme s’impose au pupitre de la Philharmonie tchèque.