Une tour de Babel musicale

Doulce Mémoire, photo: Zdeněk Chrapek, www.festival.cz
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Lorsque l’empereur Rodolphe II a choisi Prague comme capitale de l’empire, il a, entre autres, attiré en Bohême toute une foule d’excellents musiciens. Ces compositeurs, chanteurs et instrumentistes ont considérablement enrichi la vie musicale de la capitale. C’est leur répertoire, madrigaux, villanelles, mauresques et autres genres, qui a été au programme d’un concert donné dans le cadre du Festival Printemps de Prague à l’église Saint-Simon-et-Saint-Jude par l’ensemble Doulce Mémoire. Le chef de l’ensemble Denis Raisin Dadre a présenté ces musiciens et leur création insolite au micro de Václav Richter.

Pourquoi avez-vous appelé le répertoire de cette soirée ‘Une tour de Babel musicale’?

«Parce que les musiciens à la cour de Rodolphe étaient organisés, je dirais, dans des espèces de clubs. Il y avait des Allemands, des Italiens, des Espagnols, des Flamands, des musiciens qui venaient de toute l’Europe. Et les musiciens de Rodolphe écrivaient dans toutes ces langues, sauf le français. Je trouve que ce qui est représentatif de cette cour de Rodolphe, c’est son aspect totalement international, un aspect très accentué.»

Quel était le dénominateur commun de tous ces compositeurs ?

«Ce sont tous des gens qui ont été attirés par la cour de Rodolphe parce que c’était une des plus fastueuses de la fin du XVIe siècle. L’empereur avait réussi à réunir à sa cour les personnalités les plus connues. Philippe de Monte qui était son maître de chapelle, était un musicien très connu en Europe et très publié. Il est, à cette époque-là, l’égal de Roland de Lassus qui travaille pour le duc de Bavière. Et puis il y a toute une colonie italienne, extrêmement importante aussi, il y a également des Allemands, des Slovènes. C’était quand même la cour impériale, donc tout simplement, la plus importante d’Europe.»

Les musiciens rodolphiens avaient un sens de l’humour, un sens de la caricature. Ils imitaient par exemple aussi les voix d’animaux, etc. Comment avez-vous reconstitué tous cela ? Où avez-vous trouvé de l’inspiration pour ces reconstructions ?

«C’était une tradition au XVIe siècle. Mais disons qu’elle était encore accentuée à la cour de Rodolphe parce que l’empereur aimait beaucoup le bizarre, et on voit cela dans toutes les peintures d’Arcimboldo, où il y a vraiment ce goût pour le bizarre, pour l’étrange, pour la caricature. On pense bien sûr aux tableaux qui caricaturent un certain nombre de nobles de la cour de Rodolphe. Finalement, ces musiques sont tout à fait dans la veine et dans la tradition de la cour de Rodolphe. On trouve des caricatures de ce genre dans d’autres musiques de la même époque. La difficulté est de demander aux chanteurs de jouer ça comme du théâtre, de travestir leurs voix, de se conduire comme des acteurs, en fait. Et je dois dire que les chanteurs ont fait vraiment un travail remarquable.»

Où avez-vous trouvé ces chanteurs ?

«Nous sommes venus tout simplement à Prague, nous avons auditionné les chanteurs et avons sélectionné ceux qui me semblaient les plus souples et les plus adaptés et les plus capables de travailler ensemble et de monter ce projet. C’était donc sur audition.»

Donc combien il y a de Français et combien il y a de Tchèques ?

«Il y a deux Français et six Tchèques. C’est vraiment la majorité tchèque.»

Votre ensemble s’est produit déjà pour la deuxième fois à Prague. Est-ce que vous pouvez comparer les deux concerts ?

«Oui, cela n’a rien à voir, parce que le premier projet était celui de musique sacrée. Il y a eu une messe de Philippe de Monte. Maintenant on m’a demandé de monter un projet de musique profane. Si je le compare, je dois dire que la musique profane est beaucoup plus difficile que la musique sacrée. Monter une messe n’est pas très difficile. Mais la musique profane de cette époque-là est exceptionnellement difficile. Et puis la grande différence est aussi dans le fait qu’il a fallu que je recopie la moitié, même plus que la moitié du programme, qui est totalement inédite. C’était donc moi qui devait recopier la musique et cela m’a demandé beaucoup plus de travail que le projet précédent.»

Ce projet aura-t-il une suite ?

«On va le présenter surtout au Festival de Sablé qui est coproducteur du projet. Le Festival de Sablé est un des grands festivals français de musique baroque qui s’est engagé, il y a plusieurs années, dans un projet de coopération artistique avec Prague et avec l’Institut français.»