Une ville tchèque interdit les portables à l’école primaire

Alors qu’en Tchéquie, la réglementation de l’utilisation du portable est laissée à la discrétion des chefs d’établissement, la ville de Vsetín dans l’est de la Moravie a décidé d’interdire les téléphones dans toutes les écoles primaires de la ville, à compter du mois de septembre.

D’après un rapport publié par l’Unesco en 2023, un pays sur quatre dans le monde a adopté des lois interdisant l’utilisation du téléphone portable dans les salles de classe. En France, par exemple, le portable des collégiens doit être éteint et rester dans leur sac sous peine de sanction.

La décision des conseillers municipaux de la ville de Vsetín, en Moravie, va encore plus loin : à partir du mois de septembre, les élèves des écoles primaires de la ville n’auront même plus droit d’avoir leur téléphone dans leur sac, mais à défaut de le laisser définitivement à la maison, ils devront le déposer avant les cours dans des boîtes spéciales installées à cet effet, avant de le récupérer à la fin de la journée.

Martin Jan Stránský | Photo: Michaela Danelová,  ČRo

En mai dernier, la mairie de Vsetín a donc décidé de consulter un neurologue sur la question des conséquences d’une exposition prolongée et répétée aux écrans sur l’apprentissage scolaire. Outre le fait que ceux-ci réduisent la concentration et l’efficacité de cet apprentissage, Martin Jan Stránský relève également le risque de harcèlement en ligne. En outre, il arrive que des enfants regardent leur téléphone pendant toute la durée de la récréation, sans autre interaction. Il y a quelques mois sur notre antenne, Michaela Slussareff, chercheuse et professeure-adjointe en études sur les nouveaux médias à l’Université Charles, auteure d’un livre sur les addictions numériques chez les jeunes, soulignait déjà l’expérience de vie unique qu’est justement l’école :

Michaela Slussareff | Photo: Anna Kubišta,  Radio Prague Int.

« Contrairement à la France, en Tchéquie, il n’existe pas de loi interdisant l’utilisation du téléphone à l’école. En France, il me semble que c’est jusqu’à 15 ans. En Tchéquie, c’est laissé à la discrétion des directeurs d’établissement. C’est donc compliqué pour eux car souvent, quand ils veulent imposer cette règle, il y a de grands débats avec les parents. Or l’école est un environnement très spécifique : on est dans une classe avec 20-30 personnes qu’on ne connaît pas et qu’on n’aurait peut-être pas connues autrement. Mais cette possibilité de leur parler et de les découvrir est quelque chose de très important. Cela nous donne la capacité de dialoguer avec eux dans le futur peut-être. Mais si on a la possibilité de se cacher derrière des écrans pendant la récréation, alors on ne leur parle pas. Je pense que c’est mauvais et qu’il faudrait laisser cet environnement tel qu’il est, et forcer ainsi les enfants à interagir entre eux. Un environnement de ce type, ça ne se reproduit jamais plus dans une vie. »

La mairie de Vsetín espère ainsi favoriser une sociabilisation des enfants « dans le réel » ainsi qu’une amélioration du niveau de concentration des élèves, surtout à un si jeune âge. Sur les réseaux sociaux, les parents sont – sans surprise – partagés en deux camps, entre ceux qui se félicitent de cette décision, et ceux qui dénoncent une atteinte aux libertés individuelles (en l’espèce, celles des adultes responsables de leurs enfants).

Dans le cas de Vsetín, cette interdiction signifie également que les téléphones ne pourront pas être utilisés dans un cadre pédagogique, ce qui peut arriver dans certaines classes ou parce que certains enseignants ont recours à des applications destinées à compléter leurs cours. Sur la question de l’usage pédagogique des écrans en général et des téléphones en particulier, Michaela Slussareff a un regard plus nuancé :

Photo illustrative: ghcassel,  Pixabay,  Pixabay License

« C’est une question compliquée. Les médias nous disent qu’il faut utiliser les technologies dans les écoles, même moi j’ai fait mes recherches sur ce sujet car il y a des supers jeux vidéo qu’il est possible d’avoir comme matériel pédagogique. Certaines technologies sont parfaites pour l’apprentissage, voire peut-être mieux que les versions papier. Et d’un autre côté, on entend aussi dans les médias que c’est dangereux pour les enfants. On se souvient tous de la période du Covid-19 où les enfants utilisaient beaucoup les écrans. Beaucoup de parents estimaient que s’ils avaient passé tant de temps devant les écrans pour l’école, ils ne pouvaient pas regarder de film ou jouer à deux jeux. Mais en réalité, je pense qu’il faut distinguer l’utilisation des écrans pour l’éducation qui est très bien, et l’utilisation des écrans pour les jeux et les films. »

Les études sur la nocivité des téléphones en classe sont souvent contradictoires, même si un rapport de l’OCDE publié début mai souligne que « l’interdiction pure et simple des smartphones dans les établissements scolaires est une mesure qui a des effets visibles ». Si la mairie de Vsetín peut s’appuyer sur la loi relative à l’enseignement qui n’impose rien, mais laisse la possibilité de prendre des mesures aussi étendues et strictes que les établissements ou les autorités locales le souhaitent, certains, comme l’inspecteur scolaire Tomáš Zatloukal, estiment qu’une restriction n’a qu’un effet à court terme et qu’éduquer les enfants à une utilisation raisonnable des smartphones serait plus approprié. Un point de vue partagé par Michaela Slussareff :

Photo illustrative: Gaelle Marcel,  Unsplash

« La question de l’autorégulation est un grand thème selon moi. Il faut savoir qu’on utilise beaucoup les écrans pour calmer les enfants ce qui n’est pas bien car ils n’ont pas la possibilité d’apprendre à s’autoréguler sans leur sucette numérique. On doit apprendre à s’autoréguler or c’est quelque chose qui ne vient pas tout seul. En ce qui concerne la maturité, je le vois à l’université où des jeunes étudiants me disent d’eux-mêmes : ‘j’ai compris que ça ne servait à rien d’être toujours branché sur les réseaux sociaux’. Ils commencent à réfléchir. Mais même chez les plus jeunes : à 14 ans, ils réfléchissent déjà beaucoup et nous disent : ‘je vois bien que je suis déprimé après avoir été sur les réseaux sociaux’. Enfin il faut dire une dernière chose : les jeunes ont beaucoup de temps libre en comparaison avec nous qui avons beaucoup de travail et de choses à faire. Donc nous les jugeons depuis notre point de vue où nous n’avons pas de temps libre. Mais pour eux, c’est différent. Après tout, à leur âge, je regardais beaucoup la télévision… »

La rentrée 2024-2025 sera donc un test pour les écoles primaires de Vsetín, la question se posant à terme pour les niveaux supérieurs, en attendant de voir si la décision de la ville fait des émules ailleurs dans le pays.