Univers des cafés pragois (V) : le café Montmartre fête ses 100 ans
Un des lieux de rencontres du monde intellectuel pragois du début du XXe siècle, où se cotoyaient des personnalités telles que Franz Kafka, Max Brod, Gustav Meyrink ou Egon Erwin Kisch, devenu aujourd’hui un lieu de détente pour les étudiants et artistes du quartier, le café Montmartre s’apprête à fêter ses 100 ans.
« Cette année, le café Montmartre fête effectivement ses 100 ans. Avant le café et depuis le XVIIIe siècle, le lieu abritait une auberge. Cela a donc toujours été un lieu de rencontre. Josef Waltner, le premier propriétaire, avait baptisé le lieu ‘café Montmartre’, nous avons donc souhaité poursuivre la tradition. A l’époque, ce n’était pas seulement un café mais un cabaret qui n’ouvrait que le soir et fermait au petit matin. Aujourd’hui, nous avons des règles à suivre et fermons à minuit. La clientèle était surtout intellectuelle. A l’époque, Prague accueillait trois grands groupes sociolinguistiques : les Tchèques, les Allemands et les Juifs pragois. Franz Kafka et Max Brod fréquentaient le café, ainsi que des architectes tchèques qui participaient à la décoration du café. Les musées de Prague ont gardé des images et des photographies de cette époque.»
Pourquoi le café s’appelle-t-il « café Montmartre » ?
« Au début du XXe siècle, les Tchèques étaient très intéressés par la France. Il y avait beaucoup d’échanges artistiques, surtout entre les peintres et les sculpteurs. Il y avait un engouement pour la culture française. Il n’y avait pas seulement le café Montmartre, il existait un autre cabaret qui s’appelait ‘Montparnasse’ il me semble. Nous étions très intéressés par la France au début du XXe siècle, et nous le sommes toujours. »« Tous les deux ans, la décoration changeait. Les artistes repeignaient l’intérieur des trois pièces principales. Nous avons découvert quelques couches de peinture telles qu’elles étaient à l’époque et il s’agit d’un patrimoine historique auquel on ne peut plus toucher aujourd’hui. Les artistes venaient boire et participer à la vie du café, non seulement en ce qui concerne la décoration de l’intérieur du café, mais aussi en ce qui concerne le programme. »
« Nous avons trouvé beaucoup de livrets et autres témoignages que nous avons publiés sur notre carte de menu. De plus, il y avait l’écrivain tchèque Lenka Reinerová, décédée en 2008 à l’âge de 90 ans, qui se rappelait très bien du café Montmartre. Elle était l’amie d’Egon Erwin Kisch, un des écrivains les plus célèbres de l’époque, et ils se réunissaient toujours au café Montmartre. C’est ici aussi qu’elle avait l’habitude de fêter son anniversaire. Elle disait qu’ici, c’est un ‘local’. Un local en tchèque, c’est une boîte de nuit. Elle a mentionné le café dans ses livres qui traitent du Prague des années 1920-1930. Il me semble que le café a fermé dès le début de la Seconde Guerre mondiale. Des gens ont continué à vivre au-dessus du café, mais tout le rez-de-chaussée a été fermé pendant cinquante ans. Il y avait à la place un entrepôt de papier. Le bâtiment n’a donc pas été particulièrement endommagé. Le café Montmartre a été rouvert en 2000. Cette année, c’est donc la douzième saison du nouveau café Montmartre. »Est-ce vous qui avez effectué les travaux pour la réouverture du café ?
« Oui. Concernant le bâtiment lui-même, la ville de Prague s’en est chargée. Nous avons aménagé le rez-de chaussée et le premier étage, où nous avons aussi une galerie. Nous nous sommes efforcés de rester dans le ‘déjà-vu’ par rapport au café de l’époque. Nous avons trouvé des meubles, des tables, des chaises et des fauteuils des années 1920-1930 qui sont les mêmes que sur les photographies. Concernant la clientèle, les temps ont changé. Dans les années 1920, les gens passaient beaucoup de temps dehors, c’est-à-dire dans les auberges et les cafés, tandis qu’aujourd’hui les gens se précipitent à la maison. Nous avons cependant à peu près la même clientèle qu’alors. Il y a des architectes, des peintres, des écrivains qui viennent régulièrement, et les surréalistes qui viennent tous les jeudis. »La galerie vous appartient-elle aussi ?
« Oui, c’est une galerie d’art moderne appelée Galerie Gambit et nous coopérons avec la Bibliothèque Václav Havel. »
Des événements mêlant les trois lieux sont-ils organisés ?« Des mois de septembre à juin, c’est très vivant, il y a un large programme. »
Quelles sont les spécialités du café ?
« Comme partout, il y a la bière Pilsner Urquell. Nous avons par contre du vin très spécial du sud de la Moravie, le lacina. Il n’y a que deux endroits à Prague où vous pouvez le trouver. Nous ne proposons pas de plats, seulement du camembert que nous appelons hermelin en tchèque et des strudels faits maison. »
J’ai entendu dire qu’il y aurait des animations pour les 100 ans du café. Qu’en est-il ?
« Oui, il y aura un cabaret pour fêter les 100 ans du café qui se tiendra probablement à la fin du mois d’octobre. Nous travaillons à ce projet avec des professeurs de l’académie de théâtre. »
Iva Nesvadbová s’apprête à ouvrir un nouveau café nommé ‘Indigo’ dans le vieux centre de Prague, qu’elle souhaite être, à la manière du café Montmartre, un espace de rencontres culturelles.