Vaclav Havel : « l'originalité versus la banalité »

Vaclav Havel, photo: Ondrej Nemec, LN, 19.10.07

Le projet de l'architecte Jan Kaplicky, qui est sorti vainqueur d'un appel d'offres pour la nouvelle Bibliothèque nationale et qui a été affublé de la dénomination familière de «pieuvre », ne cesse de défrayer la chronique et de provoquer les émotions. Au moment où son installation, prévue initialement sur l'esplanade de Letna, demeure très incertaine compte tenu de la position négative à son égard du conseil municipal, où le clivage entre les camps de ses partisans et de ses opposants semble s'approfondir, le quotidien Lidove noviny publie à ce sujet un texte de Vaclav Havel, ex-président et dramaturge.

« J'étais heureux que Prague, une ville qui ne possède que très peu de jolis bâtiments modernes, puisse enfin se targuer d'un édifice fortement intéressant... Pourtant, la médiocrité et la banalité l'emportent une nouvelle fois », écrit Vaclav Havel dans son texte au titre on ne peut plus éloquent « L'originalité versus la banalité ». Il cite plusieurs bâtiments, « banals » d'après lui, genre verre et béton, édifiés au cours des dernières années dans le centre-ville - qui d'ailleurs n'ont provoqué pratiquement aucune vague de désapprobation - exprimant la crainte que la situation ne se répète avec Letna. En ce qui concerne ce quartier situé non loin de l'enceinte du Château de Prague et doté d'assez grands espaces verts, Vaclav Havel déplore le fait que, de nouveau, « des règles de jeu pour cette localité n'aient pas été définies ». Ainsi, on peut s'attendre à l'édification de « monstruosités sauvages, tels qu'un immense aquarium pour requins et, surtout, un gigantesque stade à la place de celui qui s'y trouve actuellement... Tandis qu'à l'étranger, on a l'habitude d'édifier les stades en dehors de la ville, on voit que Prague s'apprête à en avoir un, près du Château. La bibliothèque, en revanche, est mal vue ».

Vaclav Havel situe le problème dans un plus large contexte, critiquant plus ouvertement que jamais les transformations urbaines et leur impact sur le paysage tchèque. « Prague et d'autres villes prolifèrent comme un cancer, avec ses supermarchés, hypermarchés, bâtiments administratifs, parkings gigantesques, entrepôts, chantiers et bâtiments indéfinissables qui les entourent et qui liquident le paysage. »

Selon l'ex-président de la République, « Letna sert d'exemple de la manière dont les choses se passent lorsque la main invisible du marché dirige tout ». Et de constater « qu'il ne s'agit là que d'une faible partie des phénomènes typiques pour notre époque et, tout spécialement, pour l'édification du capitalisme à la tchèque ».