Václav Němeček : « A Toulouse, j’ai appris le français grâce au vin »
Toulouse, Saint-Etienne et Lens sont les trois villes françaises dans lesquelles la République tchèque disputera ses matchs de groupe lors de l’Euro de football qui s’ouvrira le 10 juin prochain. Trois villes par lesquelles deux anciens joueurs internationaux et un entraîneur tchèques sont passés durant leur carrière. Qu’il s’agisse de Václav Němeček à Toulouse de 1992 à 1995, d’Ivan Hašek sur le banc des Verts à Saint-Etienne en 2006-2007 ou de Vladimír Šmicer à Lens de 1996 à 1999, tous ont pour point commun d’avoir laissé un excellent souvenir auprès du public français de leur passage. A l’approche du début de la compétition, nous avons retrouvé à Prague ces trois excellents francophones, tous grands amateurs des plaisirs de la table depuis leur passage en France et surtout grandes figures du football tchèque dans les années 1980, 1990 et 2000.
« J’ai passé trois excellentes années à Toulouse dont j’ai gardé beaucoup d’amis. D’ailleurs, si je compte y aller en juin pour voir le match des Tchèques contre l’Espagne, c’est aussi pour passer quelques bons moments avec ces amis. Aujourd’hui, je travaille un peu dans le vin. J’importe du vin en République tchèque et vend du vin de Moravie, par exemple pour les loges et les VIP bien évidemment du Sparta Prague (rires). »
Quels sont les vins français que vous importez ?
« Un peu de tout et de toutes les régions. Il y a du bordeaux, du côtes-du-rhône, un peu de chablis… Personnellement, et cela a commencé quand je jouais à Toulouse, j’apprécie beaucoup les vins de Bordeaux, même si, aujourd’hui, je m’oriente plutôt vers les vins blancs, parce que c’est ce qui se boit le plus chez nous. Mais quand je descends à Toulouse, je bois plus de rouge que de blanc. »
« Cela convient bien aux Tchèques d’être sous-estimés »
Il y a vingt ans de cela, la République tchèque s’apprêtait à disputer l’Euro en Angleterre, un tournoi dont vous êtes allés jusqu’en finale, même si, personnellement, vous n’avez pas joué celle-ci. Peut-on faire, selon vous, un parallèle entre cette équipe tchèque de 1996 et celle de 2006 qui se prépare pour l’Euro en France ?
« Un peu, oui. Comme l’équipe de cette année, nous étions nous aussi les grands outsiders. Les Tchèques ne peuvent que surprendre, ce qui doit leur permettre de jouer sans pression. L’objectif sera de prendre quelques points pour essayer de sortir du groupe (les Tchèques affronteront l’Espagne, la Croatie, puis la Turquie). Si on passe le premier tour, ce sera déjà un très bon résultat. Tout ce qui adviendra éventuellement après, ce ne sera que du bonus. »
Sur le papier, la République tchèque apparaît quand même l’équipe la plus faible. L’Espagne, même si elle a un peu baissé ces dernières années, et la Croatie, avec des joueurs comme Luka Modric, Ivan Rakitic et d’autres encore dans les grands clubs européens, semblent être au-dessus…
« C’est vrai. L’Espagne, ce n’est même pas la peine d’en parler. Certes, leur niveau n’est plus tout à fait celui des années précédentes, mais cela reste très fort. A mon avis (il se marre), ce n’est pas sur ce match qu’il faut espérer prendre des points. La Croatie aussi a une belle équipe. Une très bonne équipe même… Et attention aux Turcs. Ils ne sont pas mal non plus. Nous les avons affrontés en qualifications et les deux matchs ont été très difficiles. Et je pense qu’ils étaient meilleurs que nous dans les deux matchs (les Tchèques ont gagné le premier à Istanbul (2-1) et perdu le second à Prague (0-2), ndlr). Par contre, je mise sur la mentalité des Croates et des Turcs. Si le match ne commence pas idéalement pour eux, cela peut jouer un rôle dans leurs têtes. A nous donc de faire de bonnes entames pour espérer faire des résultats. »Peut-on dire que le statut de « petit » du groupe sur lequel personne ne compte convient bien aux Tchèques ?
« Très bien même ! Nous sommes un petit pays et ne sommes ni la France, ni l’Allemagne, ni l’Angleterre ou l’Espagne. Pour nous, il est donc préférable d’être un peu sous-estimés. »
« En 1996, nous avions un fût de bière dans le hall de l’hôtel »
En 1996, étiez-vous persuadés avant le tournoi de pouvoir réaliser le parcours qui a été le vôtre et vous a emmenés jusqu’en finale ? Avec l’Allemagne, l’Italie et la Russie, vous étiez vous aussi dans un groupe particulièrement relevé…
« Evidemment, c’était un groupe très difficile et nous pensions d’ailleurs rentrer à la maison dès la fin du premier tour. Mais, petit à petit, nous avons pris conscience qu’il y avait possibilité d’aller plus loin dans la compétition. Il faut reconnaître que nous avons eu une réussite énorme dans presque tous les matchs. Mais bon, c’est le sport… »
Sauf en finale finalement (les Tchèques ont perdu contre l’Allemagne (1-2) suite à un « but en or » concédé en prolongation)…
« Sauf en finale, voilà ! Mais bien sûr que nous y croyions. Après le premier tour, nous nous sommes dit ‘pourquoi ne pas battre le Portugal ?’, puis ‘pourquoi ne pas battre la France ?’. Bon, la France, ça s’est fait aux penaltys et cela a été mon dernier match en équipe nationale, car je n’ai pas joué la finale. »
Cela reste-t-il le plus beau souvenir de votre carrière ? Et pas seulement en raison de votre parcours, mais aussi pour l’ambiance qui régnait autour d’une équipe tchèque que l’Europe découvrait, car c’était la première compétition internationale à laquelle participait la République tchèque depuis la partition de la Tchécoslovaquie ? Vous étiez critiqués pour votre style de jeu très défensif et votre anti-football, et il faut bien reconnaître que ce n’était pas bien beau à regarder, mais, à côté de ça, vous étiez très décontractés et accessibles. L’hôtel des Tchèques était ouvert aux journalistes, vous faisiez la fête après les matchs…
« Cela a été des moments uniques. Bon, attention, il y avait quand même de la discipline, parce que sans ça, vous ne faites rien du tout. Mais après les matchs… Nous sortions boire une bière, ou plusieurs, et n’étions pas stressés. Le coach nous faisait confiance et je pense que nous la lui avons rendue. Mais c’est vrai qu’avant la demi-finale contre la France, j’ai parlé avec des journalistes français et ils étaient, disons, un peu surpris (cette pensée le fait rire)… Nous avions même un fût de bière dans le hall de l’hôtel qui était en libre-service. »
« Je suis lié à la France depuis le début de ma carrière »
L’équipe de France a marqué votre carrière en équipe nationale : c’est contre les Français que vous avez inscrit votre premier but avec la Tchécoslovaquie lors d’un match de qualification pour l’Euro 1992 à Bratislava en septembre 1991 (défaite 1-2 suite à deux buts de Jean-Pierre Papin) et c’est contre les Bleus en demi-finale de l’Euro 1996 que vous avez porté pour la dernière fois le maillot tchèque.« Je suis lié à la France depuis le début de ma carrière. La première fois de ma vie que je suis sorti de Tchécoslovaquie pour aller à l’Ouest, c’était pour un tournoi -18 ans à Cannes. C’était d’ailleurs un très beau tournoi et nous avions obtenu de bons résultats. J’avais marqué contre les Hollandais et les Portugais et nous avions vraiment fait de bons matchs. Nous sommes allés visiter Monaco, les casinos… Je me rappelle aussi de Michel Platini qui était venu voir le tournoi comme une star. Ce sont d’excellents souvenirs. Et c’est là que mon histoire avec la France a commencé. Après, il y a eu effectivement mon premier but contre la France, même si je l’ai inscrit avec l’aide de Manuel Amoros, qui a dévié la trajectoire du ballon. Et puis cette demi-finale en 1996 contre les Français… »
En 1992, pourquoi avoir choisi de quitter le Sparta Prague pour Toulouse, alors que des clubs plus huppés comme Anderlecht, Kaiserslautern ou Séville s’intéressaient eux aussi à vous ?
« Tout simplement parce que cela traînait avec les autres clubs. Toulouse a été le plus concret et m’a fait une proposition claire. J’avais des discussions assez avancées avec Kaiserslautern, qui était alors champion d’Allemagne, mais cela traînait en longueur et c’est alors que Toulouse s’est manifesté. Et j’ai signé. Un an après, les Allemands m’ont fait savoir qu’ils auraient bien voulu m’acheter, mais que certains dirigeants du Sparta leur avaient réclamé de l’argent supplémentaire pour se le mettre dans les poches. Cela ne convenait pas aux dirigeants de Kaiserslautern et c’est comme ça que j’ai signé à Toulouse. J’étais ravi, j’y ai passé d’excellentes années. Mon seul regret est que nous soyons descendus en deuxième division la deuxième année et qu’il nous ait manqué deux points la suivante, si je me souviens bien, pour remonter. Il a alors fallu que je change de club (Václav Němeček a ensuite joué au Servette Genève de 1995 à 1997, ndlr) pour pouvoir aller à l’Euro la saison suivante. Le sélectionneur m’avait clairement fait comprendre que je n’irais pas en Angleterre si je jouais en deuxième division. »
« Les années à Toulouse m’ont marqué à vie »
Qu’avez-vous apprécié en France en dehors du terrain ?
« La vie hors football a été… (Il marque une petite pause) fantastique. J’ai eu la chance de rencontrer des gens corrects et sympas. Des vrais amis. D’abord parmi mes coéquipiers, mais aussi avec des gens qui n’avaient rien à voir avec le football. Malgré toutes les années passées depuis mon départ de Toulouse, ce sont des gens avec lesquels je suis toujours en contact. Je les appelle toujours avec le même plaisir. Je les reçois à Prague ou nous nous voyons bien évidemment quand je descends là-bas. Ma femme et moi, cela nous a marqués pour toute la vie. »J’ai lu quelque part que vous aviez appris le français en lisant des livres sur le vin.
« C’est vrai. J’ai appris à parler sur le tas en discutant avec les gens alors que je ne parlais pas un mot quand je suis arrivé en France. Et j’ai appris à lire en français grâce au vin. Depuis, je me débrouille, mais ma fille est bien meilleure que moi en français. Elle a passé sa ‘maturita’, ou son bac comme vous dites chez vous, en français (au Lycée Jan Neruda à Prague, ndlr)… »
Et elle s’apprête à passer le concours pour faire sciences-po en France l’année prochaine…
« On espère ! Cela me plairait bien qu’elle poursuive ses études en France. »
Est-ce vous qui lui avez transmis le goût du français ?
« Je pense que oui. Ma femme aussi. Et puis je pense que ma fille a dans les gênes une facilité pour apprendre les langues. »