« Vakcína » et autres termes d’ordre sanitaire élus « mot de l’année »

Alors que le passage d’une année à une autre est l’occasion de dresser toutes sortes d’inventaires, introspections et autres bilans, plusieurs pays procèdent à l’élection d’un « mot de l’année ». Pour 2021, sans grande surprise, les termes en tête des classements sont tous – ou presque – relatifs au domaine de la santé.

Koalice, mutace ou tornádo ? Comme chaque fin d’année depuis 2006, le quotidien tchèque Lidové noviny offre une sélection de dix termes et propose à ses lecteurs de choisir celui d’entre eux qui est le plus représentatif de l’année écoulée. Alors qu’en 2015, année de pic de la crise migratoire, ils avaient élu le mot uprchlík (« réfugié »), en 2020, ils avaient plébiscité le terme Covid-19. Cette même année, la rédaction du journal avait quant à elle préféré l’anglicisme lockdown, restant ainsi dans la thématique de la pandémie et des mesures prises en conséquence.

Il en est d’ailleurs de même pour 2021, puisque c’est finalement vakcína (« vaccin ») que les Tchèques ont élu mot de l’année, estimant qu’il était plus caractéristique de l’année écoulée que, par exemple, les termes d’ordre politique (článek 66, « article 66 » de la Constitution tchèque sur le transfert des pouvoirs présidentiels, flákanec, « torgnole » en référence à une altercation à la Chambre des députés ), géopolitique (Vrbětice, nom du village tchèque dans lequel un dépôt de munitions a explosé en 2014, une explosion impliquant la Russie et donc source de tensions entre les deux pays), économique (inflace, « inflation ») ou environnemental (energie, « énergies »). Les autres termes d’ordre médical, antivaxer (« antivax ») ou mutace (« variant ») ont pour leur part fini troisième et neuvième au classement.

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En Allemagne, c’est dès 1977 que la Société pour la langue allemande (Gesellschaft für deutsche Sprache) a commencé à élire un « mot de l’année » (Wort des Jahres). Pour cette 45e édition, là aussi, le mot vainqueur est lié à l’épidémie de Covid-19 : il s’agit de « Wellenbrecher », qui signifie « brise-lames ». Un mot désignant à l’origine une construction visant à protéger un port ou un littoral vulnérable, mais qui, dans un contexte pandémique, a pris un triple sens, d’après la Société pour la langue allemande : en effet, « Wellenbrecher » désigne désormais aussi bien les mesures prises en réaction au Covid-19, la période d’application de ces mesures, mais aussi les personnes qui les appliquent.

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En France, il n’existe apparemment plus d’élection du « mot de l’année » depuis 2018. Cependant, les voisins suisses procèdent bien, eux, à une sélection annuelle – et quadrilingue. Cette année, l’Université des sciences appliquées de Zurich a choisi comme mot romand de l’année le pronom « iel », mot-valise issue de la contraction de « il » et de « elle » et servant à désigner les personnes sans distinction de genre. L’institution suisse justifie son choix par l’extrême rareté de néologismes de mots grammaticaux, ce qui en fait donc « un remarquable phénomène linguistique, indépendamment de la question de sa légitimité ».

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Pas de mot de l’année « covidé » en Suisse romande, donc. Ni pour l’éditeur britannique Collins English Dictionary : en 2021, le terme élu par l’équipe du célèbre dictionnaire est l’acronyme « NFT ». Un concept difficile à saisir, et pour cause : il s’agit d’une forme d’art numérique.

En revanche, dans le monde anglophone, d’autres références en matière de linguistique ont, elles, bien choisi un « mot de l’année » à thématique médicale. Ainsi, le Merriam-Webster américain, qui base sa sélection sur les données de recherche des utilisateurs de son dictionnaire, a nommé le terme « vaccine » mot de l’année 2021, après avoir choisi « pandemic » en 2020. En 2021, en effet, les recherches pour l’entrée de dictionnaire « vaccine » ont connu une augmentation de 601 % par rapport à 2020 (et de + 1048 % par rapport à 2019). L’homologue britannique The Oxford English Dictionary a quant à lui préféré le diminutif de ce mot, à savoir « vax ».

Le concept de « mot de l’année » est bien plus que symbolique, car il reflète non seulement les évolutions de la société dans ses pratiques langagières, mais aussi ses sources de préoccupations, voire de tensions. Ainsi, le rédacteur en chef du dictionnaire Merriam-Webster Peter Sokolowski explique que le mot « vaccine » « a deux histoires parallèles, mais entrelacées : l’une est une histoire médicale et l’autre une histoire politique ou culturelle ». Pour sa part, dans un article publié sur Lidovky.cz, le journaliste Zbyněk Petráček rappelle que depuis son apparition, le Covid-19 a pesé sur la vie de tout un chacun, que ce soit par la maladie elle-même ou par les restrictions liées à celle-ci. « En 2020, le mot vakcína était un vœu pieux » ; il est donc « logique » qu’il soit devenu « mot de l’année » en 2021. Toujours selon Zbyněk Petráček, « tout aussi logiquement, on peut trouver deux sens au choix de ce mot. Il y a tout d’abord le souhait de 2020 que l’ingéniosité humaine permette le développement d’une arme contre le Covid-19 ; mais il y a également, la prise de conscience qu’un vaccin n’apportera pas à lui tout seul la victoire que nous avions imaginée, et qui avait pourtant été promise, il faut bien le dire, par les élites politiques, sociales et scientifiques. »

Photo: Puddin Tain,  Flickr,  CC BY-SA 2.0

Symbole d’espoir et de santé pour certains, question politisée pour d’autres... Quoi qu’il en soit, tous s’accordent à dire que le mot « vaccin » est actuellement partout. Espérons en tout cas que pour 2022, aussi bien en République tchèque qu’en Allemagne, aux Etats-Unis et ailleurs dans le monde, les préoccupations seront tout autre, et que personne ne songera même à proposer comme « mot de l’année » un terme lié, de près ou de loin, au Covid-19. Ou à tout autre virus envahissant.