Vingt ans de diplomatie culturelle tchèque

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La diplomatie culturelle tchèque depuis 1990, la création des centres tchèques à l’étranger et les relations franco-tchèques dans le domaine de la culture, telles sont les sujets abordés par la spécialiste des relations culturelles franco-tchèques Eliška Tomalová, maître de conférences à l’Institut des relations internationales de la Faculté des sciences sociales de l’Université Charles. Au micro de Paul Bauer, elle revient sur vingt années de coopération culturelle de la République tchèque avec ses partenaires diplomatiques, notamment dans le cadre des relations bilatérales entre la France et la République tchèque.

Eliška Tomalová
Eliška Tomalová, vous êtes maître de conférences à l’Institut des relations internationales de la Faculté des sciences sociales de l’Université Charles. Une première question, comment était organisée avant 1990 la diplomatie culturelle de la République tchèque ?

« La diplomatie culturelle tchèque fonctionnait à l’aide d’un réseau de centres culturels et d’information qui étaient situés dans la plupart des pays du bloc communiste. Cette orientation géographique est une grande différence par rapport à la situation actuelle. Et bien sûr on peut douter de l’objectivité de l’information que ces centres propageaient. Après 1989, ces centres ont été fermés et à leur place ont été créés les centres tchèques (Česká centra). Petit à petit, le réseau des centres a évolué. Désormais les centres tchèques sont situés dans plus d’une vingtaine de pays à l’étranger. »

Parmi ces centres, quels sont ceux qui ont été créés dans les premières années ?

Český Dům v Moskvě
« Dans les premières années, les centres ont été créés dans les capitales européennes. Il y avait des centres qui avaient déjà une longue tradition avant 1989. Nous pouvons rappeler le cas spécifique de Moscou, le « Český Dům v Moskvě » et vous avez le Centre de Paris qui fonctionne depuis longtemps. La politique des centres tchèques et du ministère des Affaires étrangères en cette matière est de créer des centres tchèques dans les grandes métropoles du monde entier. C’est le début de l’existence moderne des centres tchèques : être présent dans les centres culturels mondiaux. »

Est-ce qu’on s’appuie pour la création de ces centres sur une tradition historique plus ancienne que la période communiste ? Je pense à la période de l’entre-deux-guerres et à la Première République tchécoslovaque qui était pourvue d’une diplomatie culturelle avec les autres pays de l’Europe. Est-ce qu’il existait des centres culturels à cette époque-là, et est-ce que ces centres ont constitué une sorte de modèle pour reconstruire la diplomatie culturelle après 1990 ?

« On ne peut pas parler d’un modèle d’inspiration par rapport au modèle qui existait dans l’entre-deux-guerres, parce que ce sont surtout les ambassades qui s’occupaient des relations culturelles entre les pays au niveau bilatéral. Les exceptions venaient surtout des initiatives privées. On peut par contre parler d’une continuité administrative avec le système qui était en place, même sous le régime communiste. Il y a bien sûr une volonté de rupture idéologique et thématique en 1989, mais on pouvait reprendre des exemples positifs du point de vue organisationnel. Du point de vue des sujets, des thèmes, savoir quelle culture il fallait propager, c’est une autre question. »

Après 1990, c’est le boom des nouveaux centres, quels sont à ce moment la stratégie et le modèle de relations culturelles que la République tchèque pense avoir avec ses partenaires diplomatiques ?

« Tout au début des années 1990, ce n’est pas encore le boom, car ce n’était pas une priorité. Les relations culturelles et la culture, c’est un luxe. Dans la transformation de l’économie tchèque et du système économique tchèque, la culture n’arrivait pas en première place. Mais grâce à l’enthousiasme de ceux qui travaillaient dans le domaine de la diplomatie culturelle, petit à petit, de nouveaux centres ont été créés. Il est difficile de parler d’une stratégie. La première conception de la stratégie de la diplomatie culturelle tchèque c’était en 2005. C’est assez tard. Il faut surtout parler d’enthousiasme, d’une volonté d’être présent dans les grands centres culturels que d’une vraie stratégie. La coopération culturelle sur place était plutôt le résultat d’une stratégie personnelle… »

En 2005, plus de 15 ans après la chute du mur de Berlin et le début de la transition post-socialiste, c’est le moment où on va se définir une diplomatie culturelle pour l’ensemble des centres, comment la définissez-vous ?

« La diplomatie culturelle tchèque fait partie de la présentation externe de la République tchèque, ce qui inclut la composante économique et touristique. C’est peut-être une différence par rapport au modèle français. Dans la politique étrangère française on insiste vraiment sur la dimension culturelle : l’exportation de la culture, le rayonnement culturel, se sont des sujets qui reviennent et dont la France veut être fière dans sa politique extérieure. Dans le cas tchèque, on ne cache pas les intérêts économiques et les intérêts touristiques qui sont derrières. On dit toujours que la présentation est une chose complexe et qu’il y a plusieurs composantes, notamment la diplomatie culturelle. C’est une différence avec le cas tchèque. Ce n’est pas une spécificité seulement tchèque, cela le cas des petits pays qui ont une stratégie plus économique de leurs présentations extérieures. »

Depuis 1990, quelle est l’évolution des relations culturelles franco-tchèques ?

Photo illustrative: Archives de Radio Prague
« Les relations culturelles franco-tchèques ont connu une première phase de redécouverte, après 1989. C’était une phase durant laquelle les partenaires étaient plutôt actifs, et je dirais que les français l’étaient davantage. Depuis, les relations culturelles franco-tchèques font partie des relations culturelles avec les autres pays européens. Il y a aussi une dimension générationnelle. Actuellement les jeunes ne situent pas les relations culturelles dans une perspective bilatérale, la composante européenne est plus importante pour eux ; il y a d’autres relations avec les pays européens, la France, l’Allemagne, la Pologne. La perspective des étudiants est bien différente de la génération antérieure. On peut qualifier les relations germano-tchèques de correctes avec des moments culminants, notamment grâce aux initiatives concrètes qui ont suscité de l’intérêt de manière plus approfondie. Il y a eu la saison tchèque qui avait été organisée en France. Il y a également les présidences française et tchèque de l’Europe en 2009. Ce sont des moments où il y a des initiatives formelles qui ont créé des intérêts plus approfondis. Ce sont des relations correctes… »

Des relations correctes comme vous dites, cela veut dire qu’il n’y a pas un réel enthousiasme dans les relations actuellement. Pour en revenir à l’histoire, quel est le rôle de l’histoire dans les relations culturelles franco-tchèques aujourd’hui, quels sont les personnages, les événements, les éléments de l’histoire qui sont rappelés et qui constituent les liens entre les deux pays ?

« L’histoire est très importante dans les relations culturelles extérieures, cela fait partie de la tradition, si vous regardez le programme des centres culturelles et l’organisation de la diplomatie culturelle tchèque, chaque année, il y a des dates et des personnages clefs qui sont soulignés dans notre stratégie culturelle extérieure. Ce sont les grands anniversaires : 1918, 1968, l’année de la Charte 77. C’est une partie importante de notre image à l’étranger. En même temps l’histoire peut également être un problème dans les relations extérieures, et c’est peut être le dilemme le plus important dans la présentation extérieure : est-ce qu’il faut chercher dans l’histoire ce qui marche bien, c’est-à-dire Antonín Dvořák, Leoš Janáček, les noms comme Václav Havel, qui fait déjà partie de l’histoire, ou encore Kupka etc. ? Ou bien faut-il accentuer sur la modernité et travailler plus en coopération avec les artistes modernes plus contemporains ? C’est un dilemme qui est au cœur de la stratégie culturelle extérieure tchèque. »