Vladimír Remek, un Tchécoslovaque en orbite
Après l’Union soviétique et les Etats-Unis, la Tchécoslovaquie est le troisième pays à avoir envoyé un représentant dans l’espace : Vladimír Remek. L’Agence spatiale européenne le considère même comme le premier spationaute européen. Vladimír Remek, aujourd’hui âgé de 64 ans et poursuivant une carrière politique au sein du parti communiste, a participé à la mission Soyouz 28 et a décollé pour l’espace le 2 mars 1978, il y a tout juste 35 ans.
Trois jours après la date de décollage initialement prévue, la Télévision tchèque pouvait ainsi fièrement annoncer que Vladimír Remek et le Russe Alekseï Goubarev s’étaient embarqués le 2 mars 1978 vers les étoiles à bord du lanceur Soyouz. Celui-ci donne son nom à la mission soviétique, Soyouz 28, à laquelle ils participaient et qui devait les voir rejoindre la station spatiale soviétique Saliout 6. Ingénieur et historien de la conquête de l’espace, Jacques Villain évoque le programme spatial russe des années 1970, alors que les Américains avaient tout juste remporté la course à la Lune :
« Il y a eu en fait sept Saliout : Saliout 1 à Saliout 7. Ensuite à partir de 1986, Saliout 7 a été remplacé par la station Mir. C’est vrai que la plupart des programmes d’envoi de cosmonautes non soviétiques à bord de fusées Soyouz se sont faits sur les Saliout en particulier. Et il y a même eu des Français puisque Jean-Louis Chrétien, lancé par un Soyouz, a passé quelques jours à bord de Saliout 7. Ces stations Saliout étaient des modules d’une vingtaine de tonnes qui étaient lancés par une fusée qui s’appelle Proton. Il s’agit d’une grosse fusée, plus grosse que les Soyouz. En fait ces modules étaient des bidons cylindriques de vingt tonnes dans lequel, bien sûr, on trouvait des générateurs d’électricité, d’oxygène, etc. On commençait à s’y livrer à quelques expériences scientifiques mais je dois dire qu’à l’époque les Soviétiques étaient plus motivés par des objectifs médiatiques et de politiques internationales quand ils invitaient des cosmonautes étrangers. »L’objectif médiatique est évident. La retransmission en direct à la Télévision tchécoslovaque depuis un module de la station spatiale soviétique Saliout 6 était suivie par des millions de gens. Vladimír Remek, 87e homme dans l’espace, a tenu à les rassurer puisque, selon ses mots, il ne lui manquait qu’une bonne bière. Il est resté dans l’espace 7 jours, 22 heures et 17 minutes et devait officiellement y mener certaines recherches scientifiques. Vladimír Remek s’exprime à environ 250 kilomètres de la Terre, sans oublier de mentionner que sans les Soviétiques, rien n’eut été possible :
« Chers concitoyens, camarades, pour la première fois dans l’histoire, un citoyen de la République socialiste tchécoslovaque peut s’adresser à vous du cosmos. Je suis actuellement dans l’espace en tant que cosmonaute tchécoslovaque mais je sais que je vole dans un vaisseau soviétique. Depuis le cosmos, tout apparaît extraordinaire. Particulièrement notre planète qui n’a pas l’air si grande, mais je sais qu’au cœur de ce visage ridée, il y a un petit pays entouré de montagnes : notre Tchécoslovaquie. »Les raisons qui ont poussé les Soviétiques à choisir un Tchécoslovaque pour cette première mission du programme Intercosmos font l’objet de nombreuses hypothèses. Certains affirment que les Russes auraient en quelque sorte voulu se faire pardonner pour l’invasion d’août 1968. En 1978, la Tchécoslovaquie reste occupée par les forces du Pacte de Varsovie et les communistes orthodoxes de retour au pouvoir ont normalisé tous les étages de la société. Vladimír Remek pouvait alors apparaître comme un pantin au service de Moscou pour masquer la réalité de l’occupation. Lui-même affirme qu’il était à l’époque conscient des enjeux géopolitiques de cette coopération.
Jacques Villain, en revenant sur le programme Intercosmos, insiste sur la dimension médiatique du choix soviétique et le replace dans le contexte de guerre froide et de course à l’espace à laquelle se livraient alors Américains et Soviétiques :« Ce programme Intercosmos avait essentiellement pour objectif de favoriser la coopération entre l’Union soviétique et les pays dans sa sphère d’influence avant tout. Il y a eu aussi dans le cadre du programme Intercosmos des lancements de satellites scientifiques et notamment avec la France. Je ne suis pas sûr que les Soviétiques aient essentiellement voulu « se faire pardonner » pour l’invasion de la Tchécoslovaquie en août 1968. Pour moi, l’objectif soviétique était surtout médiatique. Il s’agissait de montrer que, contrairement aux Américains, qui n’avaient pas de programme de coopération de vol habité avec d’autres pays, l’Union soviétique, elle, et sa grande philosophie communiste, invitait tout le monde dans l’espace, à commencer par ses pays satellites. »
Selon Jan Kolář, qui dirige le Bureau spatial tchèque, il est toutefois également probable que les Tchécoslovaques aient été les plus préparés et les plus impliqués dans le projet Intercosmos. Cet avis est partagé par Milan Halousek de la Société astronomique tchèque qui cite certains progrès technologiques dus à des chercheurs tchécoslovaques - l’oxygénation des tissus, la reproduction des algues ou encore la fonte des métaux en état d’apesanteur – et dont on trouve encore des applications aujourd’hui.
Au cosmodrome de Baïkonour, situé dans l’actuel Kazakhstan, deux équipes de spationautes comprenant chacune un Tchécoslovaque avaient été sélectionnées et seule l’une d’entre elles a pu effectuer le voyage dans l’espace. Milan Halousek évoque cette compétition dont l’issu fait également l’objet de nombreuses théories :« Il y a beaucoup de spéculations sur la façon dont a été choisi l’équipage finale et il y en aura sans doute toujours. Je pense en général que la partie tchécoslovaque n’est pas intervenue dans ce choix et que la décision était en fait vraiment du ressort de la commission soviétique qui devait déterminer quel équipage était le mieux préparé, bien que tous étaient peu ou prou préparés de la même façon. Peut-être que l’équipage comprenant Vladimír Remek disposait d’un petit avantage du fait qu’il pouvait représenter les deux parties de la Tchécoslovaquie, car son père était Slovaque et sa mère Tchèque. »
Vladimír Remek évoque une réelle compétition pour savoir qui de son équipe ou de celle de son compatriote, Oldřich Pelčák, sera désignée pour le vol spatial. Au fil des années, il s’est fait de plus en plus lucide sur sa bonne aventure :
« Durant ces trois décennies, j’étais bien sûr certain que j’avais été choisi parce j’étais incroyablement bon. Mais avec le recul, j’ai réalisé quelle chance exceptionnelle m’avait été offerte. Le premier vol d’un cosmonaute a été celui de Youri Gagarine en 1961 et le nôtre, avec Alekseï Goubarev, a eu lieu dix-sept ans plus tard. Depuis, il y a un seul vol de représentant de l’ancienne Tchécoslovaquie, le Slovaque Ivan Bella en 1999 et personne d’autre. Je ne pouvais pas m’imaginer que cela prendrait autant de temps et qu’il y aurait une telle pause. J’étais au bon moment au bon endroit avec la préparation adéquate, mais il aurait suffi d’une bricole pour que tout soit différent. »Né à České Budějovice en 1948, année du Coup de Prague qui voit les communistes s’emparer du pouvoir, Vladimír Remek suit les traces de son père, pilote de chasse, en allant étudier à l’Académie de l’armée de l’air Youri Gagarine de Moscou, une école au nom prédestiné. L’aventure continue désormais sur le terrain politique pour Vladimír Remek et ce sous les couleurs du parti communiste, peut-être par attachement à un régime auquel il doit sa célébrité. Elu eurodéputé en 2004, quand la République tchèque rejoint l’Union européenne, il est aujourd’hui pressenti pour devenir ambassadeur à Moscou. Sa vie aura ainsi été consacrée à rapprocher Tchèques et Russes, et ce contre vents solaires et marées lunaires.