Voyage scolaire dans la Tchécoslovaquie communiste

Prague, 1980, photo: Alan Denney / CC BY-NC-SA 2.0

Depuis la fin des années 1960 jusqu’au début de la décennie 1990, une classe de terminale scientifique du lycée de Montgeron, dans l’Essonne, a régulièrement eu la chance de pouvoir découvrir la Tchécoslovaquie. Des voyages scolaires derrière le rideau de fer qu’organisait Aleth Briat, une professeure d’histoire-géographie toujours active dans l’Association des Professeurs d'Histoire et de Géographie. Pour Radio Prague, l’enseignante aujourd’hui à la retraite a évoqué quelques souvenirs de ces formidables leçons d’histoire pour les élèves.

Aleth Briat,  photo: LinkedIn d'Aleth Briat
« Ce qui les marquait le plus, c’était la frontière. C’est cet espace qui séparait vraiment deux Europe. C’est là qu’ils sentaient qu’ils passaient de l’autre côté du mur en quelque sorte. »

Un choc ressenti dès le premier voyage, en 1969, un an après l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du pacte de Varsovie et la répression du printemps de Prague. A la frontière, les adolescents français descendent du bus. Ils sont contrôlés par des gardes-frontières épaulés de chiens de garde. Lors de cette première traversée du rideau de fer, les soldats tchécoslovaques interdisent à trois élèves de remonter dans le car. Il faudra une heure d’un dialogue peu commode, puisque les uns ne parlent pas français, les autres ne parlent pas tchèques, et que les deux parties ne peuvent se référer à un tierce dialecte, pour que l’affaire s’arrange et que le véhicule puisse reprendre sa route vers Prague. Pour les gardes-frontières, les cartes d’identité de ces trois malheureux élèves étaient trop anciennes et les photos, d’après eux, ne ressemblaient plus tellement à leurs propriétaires…

Aller en Tchécoslovaquie et voir cette Europe séparée

Le lycée de Montgeron,  photo: Site officiel du lycée de Montgeron
C’est Aleth Briat, entrée dans l’Education nationale en 1956, qui est à l’origine de ces voyages scolaires. Dans les années 1960, elle enseigne l’histoire-géographie au lycée de Montgeron dans la région parisienne. Il s’agit d’un établissement dit « pilote », plus tard « expérimental », qui encourage les professeurs à développer des projets originaux pour favoriser l’enseignement. Ce sont par exemple les voyages scolaires. Pour les terminales scientifiques, ce sera donc la Tchécoslovaquie communiste :

« La Tchécoslovaquie, parce que j’avais déjà été à Prague et puis cela me semblait être une leçon d’histoire puisqu’on avait ‘le monde après la Seconde Guerre mondiale’ en terminale. Donc cela me semblait être une leçon d’histoire tout à fait importante que des élèves voient comment cette Europe était séparée. »

Au début cependant, les réactions à ce projet sont plutôt mitigées chez les supérieures hiérarchiques d’Aleh Briat…

« Le proviseur, quand je lui ai proposé, il m’a dit : ‘qu’est-ce que vous allez faire de l’autre côté, là-bas ?’ Je lui ai dit : ‘vous savez, ce n’est pas un zoo !’ »

Ce n’est pas un zoo, mais c’est tout de même un pays du bloc de l’Est, alors mal connu en France :

« Il y avait deux visions. Il y avait la vision du parti communiste et on avait quelques collègues comme ça qui trouvaient que c’était le paradis ou presque, et puis pour d’autres au contraire, c’était la vision de l’enfer. Donc il s’agissait de rétablir un peu la vérité. »

Une semaine bien chargée à Prague, entre visites et rencontres

Aleth Briat s’adresse à l’association France-Tchécoslovaquie qui lui facilite les démarches pour le logement à l’hôtel et pour le transport en « bus couchette ». Les classes qui prennent place à bord de cet engin sont composées en général d’une trentaine d’élèves. Le voyage, organisé généralement en octobre, est gratuit pour ceux qui en ont besoin. Ce n’est pas le cas pour les professeurs, qui sont quatre à ou cinq à encadrer tout ce beau monde. Car l’objectif de l’aventure est avant tout pédagogique :

La ville de Mozart,  photo: Archives de Radio Prague
« J’emmenais le prof de philo bien sûr. On allait voir Kafka et autres. J’emmenais le prof de physique : Tycho Brahe et compagnie. Donc tout était préparé. Et puis il y avait l’histoire-géo bien sûr. Les élèves avaient préparé des exposés, que ce soit des exposés d’art, de musique aussi ; il y avait un prof de maths qui était très musicien. Evidemment on allait dans la ville de Mozart. Donc les élèves savaient où ils allaient, en tout cas du point de vue civilisation. Ils ne savaient pas évidemment comment cela allait se passer ni ce qu’ils allaient trouver de l’autre côté, à l’Est. »

Les lycéens ne sont donc pas là pour chômer. L’essentiel du programme de visites se déroule dans la capitale tchécoslovaque. Aleth Briat fait aussi en sorte qu’ils puissent aller à l’opéra, souvent pour la première fois de leur vie, dans la ville où Mozart a présenté pour la première fois son Don Giovanni…

« Je ne m’éloignais pas trop de Prague. En général, on partait le lundi et on revenait le dimanche suivant. C’était donc une petite semaine mais bien remplie. D’une part avec Prague et les principaux sites, qui pouvaient pour eux être très importants, que ce soit le château avec les défenestrations. On pouvait passer de la guerre de Trente Ans à Masaryk. Il y avait des tas de choses, c’était des leçons sur un temps long. Et puis le ghetto, qui était un autre moment très important de la visite, ou bien le couvent de Strahov. C’était une Prague noire dans les premières visites, une Prague relativement triste, mais en fait très romantique. Et puis on était seuls, on n’était pas embarrassés par les touristes. »

Dans la semaine, une sortie hors de Prague est tout de même au programme : on se rend à Lidice, ce village massacré par les Allemands après l’assassinat par des résistants tchécoslovaques de Reinhard Heydrich en 1942, ou bien dans l’un des nombreux châteaux médiévaux qui parsèment la Bohême. Sur le chemin du retour, on passe parfois par Karlovy Vary, une ville thermale qui permet à Aleth Briat d’aborder d’autres aspects de l’histoire centre-européenne.

Mais le voyage à Prague, c’est aussi la rencontre avec les Pragois. Pour les élèves français, fraterniser avec leurs camarades tchécoslovaques ne posent visiblement aucun problème :

« Les élèves tchèques étaient absolument ravis. Je ne sais pas dans quelle langue ils arrivaient à parler mais avoir un contact avec des élèves étrangers, particulièrement français : il faut dire que nous étions très bien accueillis. Et puis il y avait quand même des professeurs tchèques qui connaissaient le français. »

Prague
Outre la question linguistique, d’autres problématiques, peut-être plus imprévues, se font jour au pays de la bière reine :

« L’autre difficulté qui est apparu avec les élèves, c’est le fait que, surtout au début à Prague, la bière ne coûtait rien. Pour les élèves, ce n’était rien du tout. Ils n’avaient pas l’habitude de boire d’énormes bocks de bière et on en a retrouvé quelques-uns... c’est tout juste si on les a trouvés d’ailleurs… »

Plus de peur que de mal donc, mais ce type de péripétie contraint les professeurs à obliger les élèves à signer une charte de discipline avant le départ en terres inconnues…

Une véritable leçon d’histoire

Le voyage scolaire représente une belle opportunité de travailler les programmes des différentes matières étudiées par les lycéens. C’est particulièrement le cas en histoire. En Tchécoslovaquie, la visite permet en elle-même de vivre cette histoire en construction, depuis la période de la normalisation, quand une chape de plomb s’abat sur la société tchécoslovaque, jusqu’à la chute du régime communiste et l’ouverture du pays. En 1989, année de la révolution de Velours, les terminales de Mme. Briat ont par exemple assisté à l’exode de milliers de citoyens est-allemands vers Prague, qui tentaient de rejoindre l’Ouest après la fermeture de la frontière austro-hongroise :

« Quelque chose qui a impressionné les élèves, c’est l’année où les Allemands de l’Est envahissaient littéralement Prague. Il y avait des voitures, des Volkswagen, absolument partout et ils allaient dans l’ambassade d’Allemagne. Alors cette promotion-là, cela les avait évidemment beaucoup marqué cette atmosphère d’un pays déstabilisé. »

Le lieu où Jan Palach s'est immolé par le feu,  photo: Kristýna Maková
Quand elle se souvient de la période communiste, Aleth Briat évoque une atmosphère lourde, le phénomène de la corruption ou encore le trafic de devises en pleine rue. Elle parle d’une ville aux façades noires, des fouilles qu’elle et ses élèves subissent parfois de la part de la police tchécoslovaque. Tout change bien sûr après 1989. L’hôtel où les élèves de la classe logent s’éloigne progressivement du centre-ville : il faut laisser la place aux touristes. On peut visiter de nouveaux sites, directement liés à l’histoire communiste, tels que le lieu où Jan Palach s’est immolé par le feu.

Quand Aleth Briat part à la retraite, dans les années 1990, les voyages scolaires vers la Tchécoslovaquie cessent. La région centre-européenne devient sans doute moins exotique qu’elle ne le paraissait auparavant. Quoi qu’il en soit, pour plusieurs promotions d’élèves français, ces voyages auront certainement constitué une expérience absolument unique :

« C’était important d’exploiter tout ce qu’on avait vu là-bas et de le remettre dans notre cursus d’histoire. Sinon, il y avait une espèce de lien qui s’était établi dans cette classe après ce voyage à Prague. L’impression, surtout pour les premiers, qu’ils avaient eu une expérience que personne d’autre n’avait eue. Ils avaient la chance de vivre ça, c’était très net. »


Rediffusion du 22/03/2017