V+W, les emblèmes du Théâtre libéré
Jan Werich, Jiří Voskovec et Jaroslav Ježek : tels sont les noms des trois figures emblématiques du Théâtre libéré – Osvobozené divadlo. Ce théâtre pragois a été fondé en 1926 comme section théâtrale du groupement avant-gardiste tchécoslovaque Devětsil, créé lui en 1920. Fortement influencé par le dadaïsme, le futurisme et le constructivisme, le Théâtre libéré a constitué un épicentre culturel de l’avant-garde tchécoslovaque de l’entre-deux-guerres. Le 6 février dernier a été célébré le 110e anniversaire du comédien et dramaturge Jan Werich, l’occasion pour nous de revenir sur une période artistique très fructueuse de la première moitié du XXe siècle.
Le Théâtre libéré, un théâtre engagé
Jan Werich et Jiří Voskovec se sont rencontrés à Prague dans les années 1920. Jiří Voskovec, qui avait étudié notamment au lycée Carnot de Dijon entre 1921 et 1924, était un passionné de cirque dont il suivait les spectacles régulièrement à Paris, comme ceux du théâtre du Vieux-Colombier dans le sixième arrondissement. Jan Werich, lui, avait suivi ses études dans un lycée du centre de Prague, où il avait par la suite fait la connaissance de Jiří Voskovec. En 1926, Jan Werich et Jiří Voskovec s’entendent pour former un duo inséparable, qui donnera alors naissance au Théâtre libéré. La première pièce de Jan Werich et Jiří Voskovec est intitulée ‘Vest pocket revue’, une allusion à une petite revue que l’on puisse ranger dans la poche d’une veste. C’est dans cette atmosphère, mélange d’humour, de satire et d’improvisation, que se tiennent leurs spectacles. Leurs représentations sur l’avant-scène, appelées en tchèque ‘forbína’, deviennent elles aussi légendaires. Face à la montée du nazisme dans le pays, ils changent le nom du théâtre entre 1935 et 1937, qui devient alors le Théâtre enchaîné – Spoutané divadlo. Malgré tout, Le Théâtre libéré reprend son activité en 1937, mais pour un an seulement. Leurs représentations très antinazies, comme Svět za mřížemi – Le monde derrière les barreaux, Pěst na oko ou Kat a blázen – Le bourreau et le fou, entraînent la fermeture officielle du théâtre le 10 novembre 1938. Critiques sur scène de la situation politique et sociale dans l’Europe de la fin des années 1930, dont les sujets figurent au répertoire, Jan Werich et Jiří Voskovec, ainsi que leur compositeur d’honneur Jaroslav Ježek, qui les avait rejoints, au Théâtre libéré, sont contraints d’émigrer aux Etats-Unis en 1939.Le Théâtre libéré, pierre angulaire de la culture tchèque
Un des comédiens du Théâtre libéré, František Filipovský, avait notamment laissé entendre : « Lors des premières années au Théâtre libéré, nous nous disions que si le plafond s’était effondré, cela aurait tué toute la culture tchèque. Car la salle était remplie très régulièrement de personnes qui appartenaient à l’élite de la culture tchèque. Il n’y avait pas que des acteurs, mais aussi des écrivains, des peintres, des sculpteurs, des critiques, des musiciens, des compositeurs - comme si chaque première avait été organisée par un des syndicats de la culture tchèque. »Jan Werich, Jiří Voskovec et Jaroslav Ježek passent ensemble leur période d’exil aux États-Unis. De l’autre côté de l’Atlantique, ils se rendent célèbres notamment grâce à leurs émissions antinazies, qu’ils retransmettent vers l’Europe en langue tchèque via le service de diffusion internationale La Voix de l’Amérique.
Avec la fin de la Deuxième Guerre mondiale, Jan Werich et Jiří Voskovec reviennent dans leur pays natal, où ils ouvrent pour une courte durée le théâtre V+W. Mais dans un contexte politique certes différent mais tout aussi difficile avec l’arrivée au pouvoir des communistes, faire de la satire politique n’est désormais plus possible en Tchécoslovaquie. En 1948, Jiří Voskovec émigre d’abord en France puis pour de bon aux États-Unis. Jan Werich, lui, reste au pays, où il intégrera différents théâtres. Afin de combler l’absence de Jiří Voskovec, il fondera le théâtre de Voskovec et Werich, dans lequel son nouveau partenaire de jeu deviendra Miroslav Horníček. Jan Werich est mort le 31 octobre 1980 sur l’île de Kampa à Prague.