Zátopek et la France : une histoire passionnelle

Emil Zátopek et Alain Mimoun, 1952, photo: Suomen Urheilumuseo, public domain

La légende d’Emil Zátopek perdure encore, plusieurs décennies après ses exploits. Un film sur une partie de sa vie devait sortir cet été mais le public devra attendre l’année prochaine pour le voir, à cause de la pandémie. Dans le même temps, le mythe de la « locomotive tchèque » est régulièrement écorné à Prague par des historiens, qui pointent la compromission et la collaboration active de l’athlète avec le régime communiste. En France, la « déclinaison culturelle » du mythe Zátopek est également prolifique, avec des livres et des BD sur sa vie et ses exploits encore sortis ces dernières années.

En 1968, Emil Zátopek avait répondu aux questions de la télévision française en uniforme militaire. C’était juste après l’invasion de la Tchécoslovaquie et avant les JO mexicains :

« Je suis maintenant dans les rues. C’est très intéressant, ça me plait. La situation en Tchécoslovaquie, ce sont les jeunes, les vieux, les travailleurs, les savants, les étudiants, toute la nation unie pour dire que nous avons le droit de vivre nos désirs et espoirs dans notre pays souverain. »

« Je travaille au ministère de la Défense et à la cantine un lieutenant-colonel m’a demandé comment s’est passé mon séjour à Moscou. Je lui ai dit que c’était lamentable, qu’ils ne comprenaient pas et étaient contre notre démocratie et le progrès de notre pays. Toutes les nations ont le même désir de liberté, même les Russes. Cette année est l’année des droits humains et également l’année des JO. C’est la meilleure opportunité de démontrer cet espoir de liberté et de souveraineté. C’est aussi une triste situation, conséquence des armes russes. »

Yohann Fortune,  photo: IFEPSA-UCO/You Tube

La capacité d’Emil Zátopek à parler français en interview expliquerait en partie sa popularité dans l’Hexagone, mais il y a évidemment d’autres raisons, dont la rivalité et la grande amitié avec Alain Mimoun. Yohann Fortune est maître de conférences en histoire du sport à l’université de Rennes 2 :

Yohann Fortune : « Le facteur Mimoun joue, forcément. Cela dit, sans faire offense au grand palmarès d’Alain Mimoun, il y aurait eu un Zátopek sans Mimoun, alors qu’il n’y aurait peut-être pas eu un Mimoun sans Zátopek. »

« Il y a aussi le fait que Zátopek ait participé et aussi gagné à plusieurs reprises le cross de l’Humanité, dont celui de 1954. Cela fait de lui une vedette au moment d’un cross qui reste très populaire à l’époque. Il va attirer les foules et cela va renforcer sa popularité dans le pays. »

Un cross de l’Humanité auquel ne pouvaient participer les coureurs français sous peine de sanctions de la part de leur fédération…

« La fédération refusait que tous les athlètes licenciés participent à toute opération sportive organisée par un parti politique. Les Français ne pouvaient courir, je me souviens d’avoir vu une vidéo dans laquelle Mimoun donne le départ de la course sans pouvoir courir avec Zátopek, qu’il suit pendant la course. »

Emil Zátopek en 1968,  photo: Marie Čcheidzeová,  CC BY-SA 4.0

Il y a eu aussi l’affaire des visas, qui a jeté un froid dans les relations entre Zátopek et la France… Le Figaro publiait en 1962 ce qui devait être la traduction d’un extrait d’interview accordé par Emil Zátopek au journal tchécoslovaque Svobodné slovo : « Paris m’a déçu. Le Paris de la littérature de pacotille, le Paris des revues et brochures pornographiques, le Paris dominé jusqu’au bout des veines par l’affairisme et l’esprit mercantile »…

Yohann Fortune : « Oui, les athlètes tchécoslovaques ont été recalés à un moment donné à la frontière alors qu’ils devaient participer à un événement en France. La Fédération française d’athlétisme était assez influente et n’avait pas dans ses rangs des gens qui partageaient les idéaux communistes. Cela s’est résolu, il a fini par participer, mais c’est vrai que ça a été un épisode assez douloureux. Dans la presse de droite française, on lui prête en effet des propos qui sont assez virulents à l’égard de Paris et des Parisiens. Encore une fois, il s’agit peut-être davantage d’une manipulation idéologique que d’une réalité. Je pense qu’il n’était pas content, mais de là à dire ce qu’on lui a fait dire c’est peut-être exagéré. »

Vous pourrez écouter l’intégral de cet entretien réalisé avec Yohann Fortune dans une prochaine émission.