Cinéma : le biopic sur Emil Zátopek dans la course aux Oscars
Le biopic Zátopek, consacré au coureur de légende tchécoslovaque, représentera le cinéma tchèque aux prochains Oscars, a annoncé récemment l’Académie tchèque du film et de la télévision. L’occasion toute trouvée de donner la parole au réalisateur et aux acteurs de ce film attendu depuis longtemps par le public tchèque qui lui a décerné un prix au dernier festival de Karlovy Vary.
« J’ai beaucoup aimé le film, même s’il y avait parfois des moments un peu longs. Ce film et le personnage de Zátopek m’ont permis de découvrir une nouvelle facette de la République tchèque, de son sport et de son histoire, notamment celle qui se rapporte à la Guerre froide. J’ai vu le film en version originale sous-titrée en anglais, donc j’ai tout compris. J’ai aussi aimé la manière dont le film montre la relation de Zátopek avec sa femme. »
Etudiante française à Prague, Charlotte Amrouni n’a pas manqué d’aller voir au cinéma Kino Pilotů le biopic Zátopek, ce film dont tout le monde, ou presque, a parlé en République tchèque cet automne. En préparation depuis 2013, le film retraçant la carrière du légendaire coureur à pied devait sortir en salles en 2020, mais à cause de la pandémie, sa sortie a été repoussée à fin août 2021.
Emil Zátopek (1922-2000) a déjà inspiré de nombreux livres, dont « Courir » de Jean Echenoz ou la bande-dessinée tchèque « Zátopek » traduite en français, ainsi que des documentaires, mais ce film que le réalisateur David Ondříček, 52 ans, rêvait de tourner depuis son enfance, est sans doute le premier biopic qui lui est consacré.
Le scénario tourne autour d’une conversation entre Emil Zátopek et l’athlète australien Ron Clarke, interprété par James Frecheville.
Légende, lui, aussi, des courses de fond, avec dix-sept records du monde à son actif dans les années 60, mais curieusement pas une seule médaille d’or olympique, Ron Clarke, disparu en 2015, a rendu visite à son idole Emil Zátopek à Prague en 1968.
« Tu le mérites », avait dit Zátopek à Ron Clarke en lui offrant en cadeau l’une de ses trois médailles d'or des Jeux olympiques de 1952.
Le film est construit avec des flashbacks, qui racontent la vie du coureur tchécoslovaque, depuis ses débuts sportifs jusqu’à ses grands exploits aux Jeux olympiques de Londres de 1948, où il a remporté l’or aux 10 km, et surtout quatre ans plus tard aux JO d’Helsinki où Zátopek a gagné trois médailles d’or en l’espace d’une semaine, aux 5 et 10 km, ainsi qu’au marathon.
Fils du célèbre caméraman Miroslav Ondříček qui a signé de nombreux films avec Miloš Forman, David Ondříček a déjà réalisé un documentaire sur Zátopek. Son film de fiction a l’ambition de reconstituer au plus près la carrière du phénoménal coureur et l’ambiance de l’époque, y compris celle sur les stades. Ainsi, le stade de Lužánky, à Brno, où ont été tournées les victoires olympiques de Zátopek, a dû être spécialement aménagé pour ressembler aux stades de Londres et d’Helsinki. Le film a par exemple nécessité 750 costumes et l’intervention de centaines de figurants, ainsi que de nombreux athlètes professionnels, dont le coureur marocain Saji Abdelkabir qui incarne le rival et ami de Zátopek, Alain Mimoun.
Le réalisateur David Ondříček estime toutefois que son film va au-delà des exploits exceptionnels d’Emil Zátopek :
« Ce n’est pas un film sur le sport. Ce qui m’intriguait, c’était de savoir ce qui se cachait derrière les exploits exceptionnels de Zátopek. Pourquoi en fait il courait. On dit que chaque coureur fuit quelque chose. Cela est d’autant plus vrai pour les coureurs de fond. Zatopek disait lui-même : ‘si tu veux gagner, cours le sprint, si tu veux vivre une aventure, cours le marathon’. J’ai vu des films sur des ultra-marathoniens qui avaient vécu des choses très difficiles : la mort tragique d’un proche, la dépendance aux drogues ou à l’alcool. Zátopek, lui, est né dans une famille très pauvre. Il vivait dans une toute petite pièce avec ses six frères, sa sœur et ses parents. C’était un milieu modeste et simple et Zátopek lui-même était quelqu’un qui n’était pas compliqué. Mais en même temps, il était très doué, il parlait huit langues étrangères ! »
« Lorsqu’Emil Zátopek est devenu apprenti dans l’usine de Baťa à Zlín et surtout lorsqu’il a participé, malgré lui, à sa première course, c’est un nouveau monde qui s’est ouvert à lui. Après cela, il n’a cessé de courir. Je pense que plus tard, il courait pour échapper à la gravité de l’époque, à ses défaillances personnelles, à certaines pressions qu’il a subies de la part de sa famille et de ses amis. »
Des mollets qui plaisent à Dana Zátopková
Le film raconte aussi la vie de Zátopek hors des pistes, son histoire d’amour avec sa femme Dana Zátopková, championne olympique du javelot également en 1952. Le public et la critique ont apprécié les prestations de Václav Neužil et de Martha Issová qui incarnent le couple à l’écran. Václav Neužil s’est littéralement transformé en Zátopek, cet homme souriant et sympathique à l’accent morave chantant. Mais surtout, la préparation au rôle d’Emil Zátopek a exigé un entraînement rude que l’acteur a évoqué au micro de Guillaume Narguet :
« C’est vrai, il fallait que mes mollets plaisent à Dana Zátopková. Vous savez, elle était convaincue que seul un athlète pourrait interpréter le rôle d’Emil, qu’un acteur ne serait jamais suffisamment convaincant. Sauf qu’il n’y a pas que des scènes de course à pied dans le film. Il a donc fallu lui expliquer que ce n’était pas possible, qu’il fallait un vrai acteur. Elle a accepté en posant une condition : elle voulait que l’acteur ait des mollets comme ceux d’Emil. Cela m’a demandé énormément de travail ! Des kilomètres et des kilomètres d’entraînement… J’ai perdu 8 kilos pour ressembler à un vrai coureur à pied. J’ai toujours fait du sport dans ma vie, mais jamais de course à pied. Je n’aimais pas ça. Mais une fois, Martha Issová, qui joue le rôle de Dana, lui a montré sur son téléphone une photo de mes mollets et Dana lui a répondu que ça pouvait aller. »
Pour sa part, l’actrice Martha Issová s’est préparée tout aussi soigneusement pour son rôle de championne de javelot, soutenue par un entraîneur professionnel, la double championne olympique Barbora Špotáková, mais surtout par Dana Zátopková en personne. On écoute Martha Issová :
« J’ai rencontré Dana Zátopková pour la première fois quand elle avait 93 ans. Depuis, nous nous rencontrions régulièrement jusqu’à sa mort en 2020, lorsqu’elle avait 97 ans. Les conversations que nous avons eues ont été vraiment exceptionnelles et enrichissantes pour moi. Elle se souvenait de tous les détails des compétitions auxquelles ils ont participé avec Emil, de tous les détails sur leur vie de couple. Elle était jeune d’esprit et c’est ça aussi que j’ai beaucoup admiré chez elle. En plus, il était important pour moi d’écouter son témoignage sur la période communiste évoquée dans le film. »
En effet, le film ouvre également le chapitre sensible de l’engagement politique d’Emil Zátopek sous le régime communiste, un engagement qui reste problématique pour de nombreux historiens tchèques. Le réalisateur David Ondříček dit à ce propos :
« Zátopek reste pour moi un personnage entouré de mystère. Dans les interviews, il apparaît comme un homme jovial et éloquent, mais en interrogeant ses collègues et amis, j’ai découvert une personnalité beaucoup plus complexe et contradictoire. (…) Il était typique pour lui de se lancer dans certaines choses sans trop réfléchir, de le regretter ensuite, de faire un acte de courage, puis de le dénoncer… Mais il ne faut jamais oublier qu’il était à l’apogée de sa carrière entre les années 1948-1953, donc dans un période sombre et difficile, y compris pour lui qui était communiste. (…) Dans le film, je montre ce qui s’est passé, mais je ne veux pas porter de jugement sur lui. C’est au spectateur de se faire une opinion. »
Nous saurons début février prochain si le biopic Zátopek figurera parmi les films nommés pour l’Oscar du meilleur film étranger. La cérémonie de remise des prix est prévue le 27 mars 2022 à Los Angeles.