Zdeněk Nejedlý, historien devenu icône de la culture communiste
La vie et l’oeuvre de Zdeněk Nejedlý ont profondément marqué la vie de son pays. Cet historien, musicologue et homme politique qui a vécu entre 1878 et 1962, est une des personnalités les plus controversées de l’histoire tchèque du XXe siècle. Aujourd’hui, cet érudit et chercheur doué est perçu comme une personnalité ayant joué dans l’histoire tchèque un rôle essentiellement négatif et nous lui devons donc une étude objective qui jetterait une nouvelle lumière sur les aspects contradictoires de sa personnalité. Un demi-siècle après sa mort, un autre historien, Jiří Křesťan a relévé le défi et publié une importante monographie intitulée « Zdeněk Nejedlý, homme politique et chercheur solitaire ».
« Je pense que l’historien devrait tâcher de plonger dans les temps révolus et les personnages du passé. Il ne réussira jamais à ressusciter le monde disparu et à ressentir ce que les gens ont senti dans le passé, mais il devrait essayer de le faire. Je pense que c’est une méthode historique que nous devons cultiver. L’historien ne devrait pas être juge mais un observateur qui se met aux côtés des personnages historiques et tâche de revivre ce qu’ils ont vécu. C’est ainsi que l’historien devient plus humble et plus juste dans ses jugements. »
Pour aborder le personnage de Zdeněk Nejedlý, homme ayant profondément marqué la vie et la culture tchèque et qui n’est pas encore oublié, Jiří Křesťan a été obligé de se débarrasser de beaucoup d’idées préconçues. Il constate que la personnalité de Zdeněk Nejedlý a été bien complexe et pleine de contradictions comme si cet homme avait deux coeurs différents :« Il avait un don inné pour l’histoire et c’était un historien plein d’enthousiasme. A 12 ans, il a écrit pour se désennuyer l’Histoire du hussitisme en plusieurs tomes. C’était un homme qui avait des opinions intéressantes sur la musique bien que nous ne serions pas prêts aujourd’hui à les partager. Il a écrit une monographie du président philosophe Tomáš Garrigue Masaryk. D’autre part, c’est un homme qui s’est laissé séduire par un mouvement politique qui l’encensait et lui offrait les applaudissements de la foule. En même temps il était un chef de famille qui faisait souffrir sa femme et avait aussi des amitiés féminines qui lui apportaient satisfaction et admiration. Comme si plusieurs personnes cohabitaient donc dans un seul homme. »
Zdeněk Nejedlý est né en 1878 dans la ville de Litomyšl, un des foyers importants de la culture tchèque. La ville, qui est la patrie du compositeur Bedřich Smetana, marque profondément la maturation intellectuelle du futur professeur. Pendant toute sa vie, Zdeněk Nejedlý vouera un véritable culte à la musique de Smetana et à l’œuvre du romancier Alois Jirásek qui a passé une importante partie de sa vie à Litomyšl en tant que professeur au lycée de cette ville. Bedřich Smetana et Alois Jirásek, lequel glorifie dans ses romans le mouvement hussite du XVe siècle, deviennent pour Zdeněk Nejedlý les piliers idéologiques de la culture tchèque. Pendant toute sa vie il propagera les œuvres de ces deux artistes devenus pour lui des modèles incomparables, des figures fondamentales de la culture nationale tchèque et critères de la qualité de l’ensemble de la création artistique. Cela l’amènera plus tard à des prises de position parfois extrêmes et trop partiales dans le débat sur les valeurs fondamentales de la culture tchèque, débat dans lequel il joue un rôle important.Jeune homme, Zdeněk Nejedlý manifeste un intérêt profond pour l’histoire et la musique qui se traduit bientôt par une série d’ouvrages sur le mouvement hussite qu’il considère, de même qu’Alois Jirásek, comme la période majeure de l’histoire du peuple tchèque. Il consacrera une grande partie de sa vie à trois monographies consacrées d’abord à Bedřich Smetana (1924-1933), puis au premier président tchécoslovaque Tomáš Garrigue Masaryk (1930- 1937) et finalement au leader de la révolution russe Vladimir Ilitch Lénine (1937-1938). Ces travaux très documentés et détaillés souffrent d’une trop grande ampleur de conception. L’auteur accumule dans ses monographies une telle quantité d’informations qu’elles en deviennent démesurées. Il n’arrive pas à saisir leurs sujets dans leur intégralité et ces trois monographies resteront inachevées. Esprit instable de plus en plus tenté par ses ambitions politiques, Zdeněk Nejedlý n’est pas capable de se consacrer à une seule tâche et de la mener à son terme.
Dans l’entre-deux-guerres Zdeněk Nejedlý, devenu professeur d’université, s’engage intensivement aussi dans la vie politique. Il devient membre de toute une série d’organismes de gauche et grand propagateur de l’Union soviétique et de sa culture. Il sympathise ouvertement avec les communistes, publie des articles dans leur presse sans devenir cependant membre de leur parti. Ce n’est qu’en 1939 lorsqu’il émigre en URSS pour se sauver devant l’occupant nazi qu’il adhère au Parti communiste de Tchécoslovaquie. Pendant la guerre, Zdeněk Nejedlý perd son fils Vít, un compositeur doué et membre de l’Armée tchécoslovaque, qui meurt de fièvre typhoïde. Il a aussi l’occasion de connaître de près la vie soviétique marquée par la terreur stalinienne qui se retourne pendant un temps aussi contre lui. Malgré cette expérience, il revient après la guerre dans sa patrie libérée en tant que défenseur passionné de l’Union soviétique et un propagateur enthousiaste de l’idéologie communiste.
Il est devenu une espèce de caricature et traînait dans la politique tout en se rendant compte que ce n’était pas bien et qu’il se passait des choses qui n’étaient pas toujours justes. Mais il n’a pas su partir.
Après la prise du pouvoir par les communistes en 1948, le fameux Coup de Prague, Zdeněk Nejedlý devient un des principaux dignitaires du nouveau régime du président Klement Gottwald placé sous la tutelle de Moscou. Couvert d’honneurs, il tolère les aberrations staliniennes et parfois y participe activement. Il devient ministre de l’Education, puis ministre du Travail et finalement, jusqu’à sa mort, ministre sans portefeuille. Il fonde aussi l’Académie des sciences tchécoslovaque et se fait élire en tant que son premier président. Il impose des règles idéologiques dans la vie culturelle et l’enseignement et ouvre la voie à la fermeture des écoles religieuses. En même temps, il vieillit et ses capacités intellectuelles faiblissent sans qu’il juge nécessaire de quitter la scène publique. Jiří Křesťan évoque dans son livre aussi cette partie finale de sa carrière :
« Il est devenu une espèce de caricature et traînait dans la politique tout en se rendant compte que ce n’était pas bien et qu’il se passait des choses qui n’étaient pas toujours justes. Mais il n’a pas su partir. (…) Il s’est engagé d’une façon très malheureuse dans les procès politiques des années 1950 et a perdu complètement l’image de grand chercheur et animateur de la vie culturelle. Les gens ont été pris au dépourvu par son engagement. Il avait peur lui aussi pendant la période des procès politiques. Selon les notes de son gendre, il s’attendait à ce qu’il soit arrêté lui aussi, il croyait que sa correspondance était contrôlée et que ses conversations téléphoniques étaient écoutées par la police secrète. Il avait connu les procès politiques en Union soviétique où il avait vécu pendant la guerre, et il se sentait menacé aussi par les procès des années 1950. »
Dans les années 1950 le nom de Zdeněk Nejedlý est donné a des rues, des places publiques, des théâtres et des organisations diverses, la propagande officielle l’encense comme un génie, mais il n’en devient pas moins la risée des gens du peuple et sujet à de nombreuses anecdotes sarcastiques et méchantes. C’est cette image d’un petit vieux ridicule balbutiant à la radio, homme devenu la caricature de lui-même que Zdeněk Nejedlý léguera à la postérité et fera ainsi oublier ses travaux de chercheur réalisés dans les étapes antérieures de son existence.Les conséquences des activités politiques de ce réformateur communiste de la culture et de l’enseignement se feront sentir et marqueront la vie des Tchèques et Slovaques pratiquement jusqu’à la chute du régime arbitraire en 1989. L’auteur de sa monographie Jiří Křesťan conclue :
« Zdeněk Nejedlý a été, à sa façon, une personnalité hors du commun. Bien qu’il ait adhéré au Parti communiste (il ne l’a fait qu’en 1939), c’était toujours un solitaire et il se trouvait dans une sorte d’opposition. Mais son sort d’intellectuel moderne qui désire changer le monde, créer un monde parfait, obliger les gens à être heureux et qui se sent en même temps incompris et sous-estimé, a été typique du destin des intellectuels à l’époque moderne. »