Zdeněk Šmíd, humble serviteur de la littérature

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La littérature a ses vedettes mais aussi ses serviteurs, une catégorie des gens de lettres sur lesquels ne tombent que rarement les reflets de la gloire mais dont le travail n’en est pas moins précieux. Ce sont les traducteurs, ces humbles ouvriers de la littérature qui dans la pénombre et loin des feux de la publicité poursuivent leur oeuvre difficile et souvent mal rémunérée. Il ne faut pas oublier que ce sont eux qui abattent les barrières entre les civilisations et les cultures et que c’est grâce à eux que nous, lecteurs, pouvons connaître les chef-d’oeuvres de la littérature du monde entier. Zdeněk Šmíd était un de ses grands serviteurs de la littérature, homme qui nous ouvrait des fenêtres sur le monde hispano-américain. Il est né dans la ville d’Ostrava en Moravie en 1908, donc il y a juste un siècle, et c’est l’occasion d’évoquer son œuvre et sa vie avec sa fille Zdena Šmídová qui est, elle aussi, traductrice.

Le travail de ton père a-t-il marqué ta jeunesse ?

«Bien sûr, parce que tous les autres pères, tous les autres papas sortaient pour aller au travail tandis que mon père restait à la maison. Je me demandais ce qu’il faisait avec sa machine à écrire. Je ne comprenais pas pourquoi il tapait toutes les nuits jusqu’à cinq heures du matin. Quand j’étais petite, je ne comprenais pas… »

Est-ce qu’il te parlait de son travail, est-ce qu’il te faisait lire ses traductions et ses textes?

« Bien sûr, mais il était toujours dans les nuages. Il serait aujourd’hui un personnage incompréhensible parce qu’il n’arrêtait pas de parler de littérature, de théâtre, d’expositions, de ballets, de concerts. Il ne parlait que d’art. »

Te demandait-il aussi ton avis sur ses traductions quand tu était déjà plus âgée?

x « Quand j’ai commencé à lire à l’âge de six ou sept ans, c’était moi qui lui arrachait des papiers de sa machine à écrire pour lire, par exemple, la nouvelle traduction de Don Quichotte de Cervantès ou des pièces de théâtre. J’ai commencé à lire tout ça, sans que mon père me le demande. »

Zdeněk Šmíd s’est lié d’abord avec les milieux littéraires français. Comment cela se fait qu’il avait des attaches aussi fortes avec la France, qu’il a noué des amitiés avec des écrivains français ?

« Il a étudié le français et l’espagnol à l’Université Charles de Prague à l’époque du critique et historien de littérature František Xaver Šalda et d’autres grandes personnalités de notre vie universitaire et littéraire. Je crois qu’il a reçu, juste après la fin de ses études à Prague, une petite bourse pour l’Université de Bordeaux. Il a achevé sa thèse au bout de trois ans. Alors il est parti à Bordeaux et c’était assez exceptionnel, parce qu’il était peut-être le seul dans sa ville natale d’Ostrava à partir aussi loin pour des études littéraires. On n’en sortait pas beaucoup pour étudier les langues et la littérature à l’époque. »


Zdeněk Šmíd est donc venu en France où il a fait connaissance de certains personnages littéraires et c’étaient les traductions françaises par lesquelles il a commencé sa carrière de traducteur…

«Oui, c’est vrai. Comme il étudiait le français dans le Sud-Ouest de la France, à Bordeaux, il a sûrement commencé par des auteurs régionaux. Je sais qu’il a commencé par traduire Georges Courteline, mais aussi René Char qui débutait, André Chanson qui étaient à l’époque c’était des jeunes écrivains, des jeunes poètes. Il s’est lié d’amitié avec un Yougoslave qui s’appelait Mitic. C’était son collègue et c’est avec lui qu’il a passé deux ans à Bordeaux.»

Ensuite il a quand même changé de cap et a commencé à s’intéresser sérieusement à la littérature espagnole. Pourquoi ?

« Je crois que c’était l’influence du milieu de Bordeaux parce qu’il y avait une chaire hispanisante de très haut niveau. Il y a avait des professeurs qui ont éveillé dans les cœurs des étudiants de l’époque l’amour pour l’Amérique Latine qui était méconnue à l’époque.»

Rappelons encore les auteurs espagnols que ton père a traduits …

« Il faut citer surtout les noms de Miguel de Unamuno et de Ortega y Gasset parce qu’il a commencé par des grands noms. Ensuite c’est Miguel de Cervantès y Saavedra, son ‘Don Quichotte’ bien sûr et ses ‘Nouvelles exemplaires’. Après la Deuxième Guerre Mondiale, c’était Miguel Angel Asturias, Prix Nobel de Littérature, dont il a traduit le roman ‘El Senor Presidente’ (Monsieur le Président). C’est une oeuvre audacieuse qui est parue ici en 1971 malgré le climat de la normalisation, parce que, heureusement,les censeurs l’ont perdu de vue et elle n’a pas été interdite. Le roman parle de révolte contre la junte ce qui était très actuel aussi chez nous à l’époque. Mon père s’intéressait également au théâtre. Il s’est lié d’amitié avec Alejandro Cassona mais c’était une amitié épistolaire parce que Cassona était en exile en Argentine. »


On peut dire que l’oeuvre de toute la vie de Zdeněk Šmíd a été couronnée par la traduction du chef-d’œuvre de Cervantès ‘Don Quichotte’. En quoi cette traduction était nouvelle ? Qu’a-t-elle apporté aux traductions déjà existantes de cette oeuvre ?

«Il faut dire que mon père est tombé amoureux de ce livre de Cervantès. Il y avait des gens qui trouvaient sa traduction magnifique, mais il y avait aussi les élèves de Václav Černý qui étaient consternés parce que quelqu’un s’était permis de retraduire l’ouvrage, dix ou quinze ans seulement après la traduction de Václav Černý. Václav Černý était professeur de littérature comparative, il connaissait toute la littérature mondiale et était expert de tout. Mais en faisant la comparaison entre sa traduction et celle de mon père, il faut constater que c’est un tout autre livre qu’on a entre les mains. Václav Černý était très exact, c’était peut-être sa méthode, mais il ne savait pas traduire certaines expressions idiomatiques et résoudre des énigmes de cette traduction parce qu’il n’avait pas à sa disposition l’édition critique. Par contre mon père a miraculeusement résolu, grâce à cette édition critique, ces problèmes-là, en introduisant dans sa traduction tout son art de poète.»

Ton père a passé pratiquement toute la fin de sa vie dans le massif des Beskydes en Moravie du Nord. Etait-ce une bonne fin de la vie ? Etait-ce une période agréable et heureuse de sa vie ?

« C’était peut-être une période heureuse de sa vie bien qu’il ait été un peu malade. Il souffrait du diabète de second type. Il souhaitait la révolution. Il était persuadé que le socialisme devait finir et que le paradis devait arriver. Il serait très déçu maintenant, parce que pendant la Première République tchécoslovaque, dans l’entre-deux-guerres, on pouvait vivre des articles et des traductions, dans les années cinquante et soixante du XXe siècle, c’était encore possible, mais ce n’est plus possible maintenant. »


Zdeněk Šmíd est mort en avril 1989 donc quelques mois seulement avant la Révolution de velours qu’il appelait de ses vœux. Il aurait accueilli sans doute avec beaucoup d’enthousiasme la chute du communisme et le retour de la démocratie. Il est cependant fort probable aussi que la disparition de Zdeněk Šmíd à la veille des événements qu'il souhaitait de tout son cœur, lui ait épargné quelques déceptions amères.