Zlin et l'usine Bata: patrimoine caché ?
Elle s'appelait Gottwaldov sous le communisme. Elle aurait pourtant plus méritée le surnom de "petite New-York morave". La ville de Zlin a vu s'épanouir la montée du célèbre industriel de la chaussure Tomas Bata, dont les enseignes ornent aujourd'hui les façades des capitales européennes. Zlin doit sans doute à Bata d'appartenir, au même titre que Prague ou Telc;, au patrimoine historique de la République tchèque. Cette ville à l'architecture fonctionnaliste fut bâtie autour du projet économique et social de l'industriel. La modernité de Zlin illustre bien la puissance économique de la 1ère république tchécoslovaque, dont nous avons fêté les 85 ans le 28 octobre dernier. Depuis le printemps dernier, la visite du bâtiment 21 et du fameux bureau-ascenseur de l'industriel n'est plus accessible au public. La raison ? Rénovation... suivie de l'installation des services financiers et administratifs de la région.
A l'origine de ce miracle économique, un homme: Tomas Bata, et une formule: " Le client est roi ". Bata n'a pas seulement fondé un immense empire industriel. Maire de Zlin à partir de 1923, il a aussi recréé une ville sur les principes du modernisme technique et du progrès social.
En 1876, Tomas Bata naît à Zlin, petite ville au sud-est de la Moravie. Il n'a que 18 ans quand il décide de fonder, avec son frère, une usine de chaussures ! La fabrique Bata devient, dans l'entre-deux-guerres, une multinationale de 1er rang, grâce à une production de masse, à l'usage de la publicité et à la création à travers le monde d'un réseau de vente remarquablement organisé. Durant la 1ère guerre mondiale, l'usine fournit des milliers de paires de chaussures à l'armée austro-hongroise. En 1937, Zlin est devenue, sous l'impulsion de Tomas Bata, une ville industrielle ultra-moderne.Symbole éloquent du "miracle" zlinois: le bâtiment 21, où étaient installés le bureau de Bata et la principale unité de fabrication. Depuis le printemps 2003, il est fermé au public. L'édifice a en effet besoin de rénovations. Cependant, personne n'en profitera puisque le bâtiment 21 abritera ensuite les services administratifs et financiers de la région.
Jusqu'à l'année dernière, on pouvait y admirer, au rez-de-chaussée, la superbe collection du musée de la chaussure. Rassemblant des souliers d'époque et de toutes époques, l'exposition a été transférée dans le bâtiment 1, à côté de l'ancienne entrée du complexe industriel.
En août 2002, nous avons eu l'occasion de visiter le bâtiment 21. Nous figurions ainsi parmi les derniers privilégiés à pouvoir arpenter ce lieu historique. Avenue Tomas Bata, un grand immeuble de brique rouge, comme la plupart des édifices zlinois. Mais celui-ci domine la ville par sa taille. Passé la collection de chaussures, commençait la visite de l'usine proprement dite. Prologue: le bureau-ascenseur de Tomas Bata. Par gain de temps, l'industriel avait fait construire sa pièce de travail dans la cage d'ascenseur de l'usine. Il pouvait ainsi circuler à travers les étages de son entreprise sans quitter son bureau. Une montée plutôt impressionnante le long des 17 étages de l'usine... Dans le bureau: un petit lavabo... Pas de temps à perdre car le temps, c'est l'argent !
Arrivé au sommet de l'usine, le visiteur pouvait contempler l'ensemble de la ville de Zlin, modelée autour du projet de Bata. Une vue panoramique permettait de se rendre compte des aménagements réalisés par l'industriel. Bata admirait New-York et la dénomination des usines obéit à la logique de la ville américaine : il y a la 20ème, la 15ème... Dans le bâtiment central, les fenêtres ne s'ouvraient pas car tout était climatisé ! Ce genre de prototype était plutôt rare dans l'Europe des années 20.
Mais du haut des usines Bata, c'est aussi la ville fonctionnaliste que l'on pouvait contempler. Bata avait attiré à Zlin les grands noms de l'architecture fonctionnaliste tchèque (Kotera, Lorenc...). La ville avait fasciné Le Corbusier. La vue permettait nettement de comprendre la particularité de Zlin, ville industrielle enserrée au milieu d'un ensemble de forêts.
La cité ouvrière n'a en fait rien à voir avec un taudis industriel et insalubre. Pas de paternalisme chez Bata mais un constant souci d'améliorer la vie quotidienne de ses employés. Au 1er plan se dressent les maisons des ouvriers, en briques rouges. Chaque maison possédait eau, gaz et électricité. Tomas Bata fut l'un des 1er industriels à faire participer son personnel aux bénéfices en imaginant l'autonomie comptable des ateliers. La 1ère république tchécoslovaque possédait l'une des législations sociales les plus avancées d'Europe et l'histoire de Zlin l'illustre bien. Au second plan, se dressent le cinéma et l'hôtel construits par Bata. Tout au loin et déjà dans la verdure: les maisons des gestionnaires. Visionnaire, Bata avait prévu l'apprentissage des langues étrangères à leur programme et il n'était pas rare d'entendre parler français ou anglais au déjeuner.
Tomas Bata meurt en 1932 dans un accident d'avion. Avec l'arrivée des communistes en 1948, la famille Bata s'exile et s'installe au Canada. Toronto compte d'ailleurs lui aussi un musée de la Chaussure dédié à l'industriel. Plus qu'un empire industriel, Tomas Bata aura légué, avec la nouvelle Zlin, un véritable modèle économique et social. Avec la fermeture du bâtiment 21 à la visite, c'est une part du patrimoine historique de la République tchèque qui passe à la trappe. L'Office du tourisme de Zlin, par ailleurs très compétent, n'est d'ailleurs pas très bavard sur le sujet. Ironie du sort, Zlin compte se porter candidate à l'inscription à l'UNESCO.