21 août 1969, quand des Tchèques ont tué des Tchèques
Le 21 août 1969, un an jour pour jour après l’invasion de la Tchécoslovaquie et l’écrasement du Printemps de Prague, les chars ont de nouveau défilé dans les rues des grandes villes pour réduire au silence les manifestants. Mais à la différence de 1968, où ce sont les troupes du Pacte de Varsovie qui s’étaient déployées, c’est cette fois l’armée tchécoslovaque qui s’est chargée elle-même de rétablir l’ordre. Cinq citoyens tchécoslovaques ont alors été tués par les soldats de leur propre pays. Ce mercredi, soit cinquante ans après, les Tchèques se souviennent de ces événements qui, depuis, sont souvent restés dans l’ombre de ceux de 1968.
Demandez aujourd’hui à un jeune Tchèque – et peut-être moins jeune - ce qu’évoque pour lui le 21 août 1968, et il est fort probable qu’il vous répondra à peu près correctement qu’il s’agit du jour de l’invasion de la Tchécoslovaquie et d’un chapitre parmi les plus tristes et marquants de l’histoire de son pays. Mais demandez-lui ce que lui inspire la même date un an plus tard, et à moins qu’il ne s’agisse d’un étudiant en histoire contemporaine, vous n’obtiendrez tout aussi probablement qu’un silence et un haussement d’épaules en guise de réponse. Pourtant, aux yeux des opposants au régime et des historiens, le 21 août 1969 a été un jour au moins aussi tragique qu’un an plus tôt. Historien à l’Institut de l’étude des régimes totalitaires, Milan Bárta a confirmé cette vision des choses très récemment encore sur l’antenne de la Radio Tchèque :
« Un an après l’entrée des troupes du Pacte de Varsovie, il était évident qu’il s’agissait d’un affrontement décisif entre d’un côté ceux qui souhaitaient la poursuite des réformes entreprises en 1968, condamnaient l’occupation du pays et la politique de normalisation menée par le régime dirigé par Gustáv Husák, qui avait remplacé Alexander Dubček à la tête du Parti communiste, et de l’autre ceux qui souhaitaient se plier à Moscou et collaborer avec les Soviétiques. »Concrètement, à Prague, mais aussi dans d’autres grandes villes du pays comme Brno ou Liberec, les manifestations qui s’étaient tenues pour le premier anniversaire de l’occupation, avaient été violemment réprimées par la police communiste tchécoslovaque et les funestes Milices populaires, qui n’avaient pas hésité à tirer sur les participants.
Dans un document enregistré par Paměť národa (Mémoire de la nation), un vaste projet en ligne qui rassemble les témoignages de personnes ayant vécu sous les régimes nazi et communiste en Tchécoslovaquie, Karel Polanecký s’était souvenu de sa participation aux manifestations à Prague en 1969 :« Ce 21 août est arrivé et, après le travail, je suis passé chez moi. Ma mère n’était pas là et je suis parti en ville sans laisser de message. Mon idée était de trouver un groupe de manifestants suffisamment fort pour ne pas que la police puisse le disperser et pour que je puisse exprimer mon opinion. »
Mal lui en prit toutefois. Arrêté par la police comme des centaines d’autres personnes, Karel Polanecký sera soumis à un interrogatoire violent, puis emprisonné. Pire encore : c’est le gouvernement tchécoslovaque lui-même, et non pas les forces soviétiques occupantes, qui ordonne aux miliciens de tirer sur les manifestants. Pour beaucoup, cette répression marque l’anéantissement des derniers espoirs de réformes et le véritable début de la politique de normalisation, qui, dans l’esprit, des dirigeants communistes à Prague comme à Moscou, doit permettre un retour au conservatisme d’avant le Printemps de Prague.
Dès le lendemain, le 22 août, une loi dite « de la matraque » est d’ailleurs adoptée par l’Assemblée fédérale. Cet ensemble de mesures, qui restera en vigueur jusqu’à la fin de l’année, permet alors au Corps de sécurité nationale d’avoir les mains libres pour réprimer toute forme d’opposition et museler les aspirants à un socialisme à visage humain.C’est en souvenir de ces tristes événements que l’association Milion chvilek pro demokracii (Un million de moments pour la démocratie), à l’origine des grandes manifestations du printemps dernier contre le gouvernement dirigé par le Premier ministre Andrej Babiš, organise, ce mercredi soir, une marche qui mènera ses participants de la place Venceslas au Château de Prague. A l’occasion de ce 50e anniversaire, cette manifestation doit aussi servir à rappeler les problèmes politiques actuels.