215 ans depuis la première de Don Giovanni, au théâtre pragois Nostic
Il y a tout juste 215 ans, le 29 octobre 1787, le théâtre pragois Nostic vit à l'heure d'un événement culturel européen: Wolfgang Amadeus Mozart y dirige, en personne, la première mondiale de son opéra, Don Giovanni. Voici un peu d'histoire de ce théâtre et des séjours pragois de Mozart. Inutile de souligner que des extraits de musique sont tirés de ce fameux opéra.
"Mes Pragois me comprennent" - voilà la phrase devenue légendaire, prononcée par Mozart après le succès, à Prague, des Noces de Figaro, en janvier 1787... "Ici, on ne parle que de Figaro, aucun opéra n'attire le public autant que Figaro, c'est sans doute un grand honneur pour moi..."écrit Mozart qui séjourne alors à Prague. Grâce au triomphe de Figaro, il reçoit la commande de composer Don Giovanni auquel Prague réservera un accueil tout aussi chaleureux. La première de cette oeuvre, le 29 octobre 1787, a lieu dans l'une des plus importantes salles d'Europe centrale du 18ème siècle, le théâtre Nostic. Il va de soi que lorsqu'en 1984, le réalisateur tchéco-américain, Milos Forman, tourne son film Amadeus primé de huit Oscars et de César, il ne peut le faire nulle part ailleurs que dans les décors de ce théâtre.
Le théâtre s'élève au centre historique de Prague, place du Marché aux fruits, à côté du Carolinum - bâtiment original de l'Université Charles. En 1781, l'empereur autrichien éclairé, Joseph II, pose sa première pierre. En deux ans, l'architecte Antonin Haffenecker termine sa construction. L'inscription que porte la façade dit que le théâtre est consacré à la Patrie et aux Muses. Au moment de son inauguration, il porte le nom de son premier propriétaire, le comte Nostic, burgrave de Bohême. Par la suite il s'appellera théâtre National, théâtre Allemand, théâtre Tyl et théâtre des Etats, ce qui est son nom actuel. Au fil du temps, l'édifice subit plusieurs remaniements: on lui ajoute un étage, en 1859, et la salle reçoit, en 1881, une structure métallique et une décoration néo-Renaissance. En 1983, le théâtre est fermé à cause des travaux de restauration générale, avec une brève interruption, en 1987, année du bicentenaire de la présentation de Don Giovanni. En 1992, le théâtre est rouvert en toute beauté accentuant son style initial, celui du classicisme somptueux. A cette occasion, il retrouve son nom d'autrefois, le théâtre des Etats.
En dépit de son appellation théâtre national Nostic, le répertoire est, dès le début, nettement allemand. La première représentation tchèque y est donnée en 1785: un drame historique de Vaclav Tham, de la génération d'artistes de l'Eveil national tchèque. Le 20 janvier 1787, le théâtre donne la reprise des Noces de Figaro, sous la baguette de Mozart. Un opéra auquel le public de Vienne a réservé un accueil glacial, mais qui est vivement applaudi par les Pragois. Encouragé par ce succès, Mozart achève Don Giovanni, pour en donner, le 29 octobre 1787, la première dans ce théâtre et dans la ville de Prague qui l'ont si chaleureusement accueilli. Plus, Mozart se charge personnellement de l'étude et de la réalisation de l'oeuvre.
Encore un bâtiment à Prague est lié à jamais aux séjours de Mozart. C'est la villa Bertramka, une riche demeure dans l'actuel quartier de Smichov, appartenant à Josefina Duskova, cantatrice célèbre, et son époux, Frantisek Dusek, pianiste, pédagogue et compositeur réputé. Les Dusek font la connaissance de Mozart lors des tournées à Vienne et à Salzbourg. Avec quelques autres admirateurs, dont le comte Thun, ils organisent une invitation de Mozart à Prague. Ce dernier y arrive pour la première fois en janvier 1787. Le 19, il dirige un concert de ses oeuvres et le lendemain, une représentation des Noces de Figaro, au théâtre Nostic. L'enthousiasme du public inspire à Mozart cette phrase devenue légendaire: "Mes Pragois me comprennent". Il fait cette déclaration devant Bondini, directeur du théâtre, qui lui commande alors un opéra spécialement pour Prague, moyennant des honoraires habituels de l'époque, de cent ducats et le logement gratuit pour lui et son librettiste. Travaillant sur Don Giovanni, Mozart, accompagné de son épouse Constance, retourne à Prague, au début d'octobre 1787. Il loge d'abord "Aux trois petits lions d'or", maison appartenant également aux Dusek, puis à la Bertramka. C'est là que Mozart compose, selon certaines sources, dans la nuit précédant la première mondiale de Don Giovanni, l'ouverture de cet opéra.
Le dernier séjour officiel de Mozart se déroule pendant l'été 1791, quand le compositeur reçoit la commande d'un nouvel opéra pour le couronnement de Léopold II roi de Bohême. La Clémence de Titus est composée à la villa Bertramka en 18 jours. Fatigué et malade, le musicien repart pour Vienne. L'accueil que le public réserve à son nouvel opéra est mitigé. Son amertume est légèrement atténuée par le succès de la Flûte enchantée alors qu'il travaille conjointement à son Requiem. Mozart meurt le 5 décembre 1791 et les Tchèques sont pratiquement les seuls à honorer sa mémoire. La villa Bertramka est aujourd'hui un musée mozartien. La salle la plus admirée - le salon avec le clavecin dont Mozart a joué lors de son séjour.
Revenons encore au théâtre où Mozart a dirigé la première de Don Giovanni, le 29 octobre 1787. Après la mort du comte Nostic, son héritier l'offre aux Etats tchèques qui l'achètent, en 1799, et lui donnent leur nom. Les représentations tchèques ne figurent pas à l'époque au répertoire. Un tournant se produit dans les années vingt du 19ème siècle. Le 2 février 1826, le premier opéra tchèque de nouvelle époque, d'un contenu patriotique: "Dratenik" de Frantisek Skroup y est donné. Un événement de portée historique qui reste attaché à ce théâtre: la première, le 21 décembre 1834, de l'opéra populaire Fidlovacka de Josef Kajetan Tyl. Un air, dans lequel le violoniste aveugle chante: "Où est ma patrie", est adopté par la population tchèque pour devenir plus tard son hymne national. Pendant plus d'un siècle, de 1783 jusqu'à 1891, date de l'ouverture du Théâtre national, le théâtre des Etats reste la première scène de Prague.