22 ans de réclusion pour Ivan Safronov, journaliste russe accusé de trahison au profit de Prague
Le journaliste russe Ivan Safronov a été condamné lundi à Moscou à 22 ans de prison. Selon le tribunal, il a commis une trahison au profit des services secrets tchèques.
Ivan Safronov a nié toute culpabilité depuis le début. Il souligne qu'il ne faisait que du journalisme et n'avait pas accès à des secrets d'État.
Outre la peine de 22 ans que Safronov doit purger dans une colonie pénitentiaire à régime strict, le tribunal a infligé une amende de 500 000 roubles (environ 204 000 couronnes) à celui qui était également ancien conseiller de l'agence spatiale russe Roskosmos et correspondant de Kommersant et Vedomosti.
C'est la peine la plus sévère pour ce crime qui ait été imposée en Russie ces dernières années. Au tribunal, Safronov était soutenu par plusieurs dizaines de ses partisans, dont sa sœur, qui scandaient « liberté ». « Je vous aime », a répondu Safronov, qui veut faire appel de la condamnation, selon l'agence TASS.
Le président russe Vladimir Poutine a déjà qualifié Safronov de traître. Les poursuites ont été lancées par l'agence de contre-espionnage russe FSB, qui a affirmé que Safronov avait coopéré avec l'agence de renseignement civile tchèque ÚZSI.
Comme certains médias russes l'ont rapporté il y a quelque temps en se référant à leurs sources anonymes, le ressortissant tchèque qui devait le recruter pour ce travail en Russie en 2012 était son collègue et ami Martin Laryš, à l'époque correspondant du quotidien tchèque Lidovy noviny à Moscou.
« C'est une stupidité totale », avait déclaré Martin Laryš à la section russe de la BBC en réponse à l'arrestation de Safronov et à son rôle présumé en juillet dernier. « Je ne comprends toujours pas pourquoi il a été arrêté », avait-il ajouté.
Voici ce que déclarait à propos de cette arrestation sur notre antenne Pavel Havlíček, analyste à l’Association pour les questions internationales (AMO), en juillet 2020 – c’était à une autre époque, avant que le monde ne bascule dans cette nouvelle ère post-24 février 2022 -, au moment où les relations diplomatiques entre Prague et Moscou se détérioraient de jour en jour :
« Il est important de comprendre que nous n’avons pas assez d’informations. Quand des services secrets sont impliqués d’une manière ou d’une autre, on le sait, le public n’a pas accès à toutes les informations. On ne peut donc pas exclure cette possibilité à l’heure qu’il est. Mais je n’arrive pas à imaginer qu’après avoir suivi si longtemps cet homme, on apprenne soudain qu’il a transmis des informations aux services de renseignement tchèques, qui les auraient eux-mêmes transmis aux Américains. Je pense que c’est un prétexte pour faire pression sur les journalistes russes et sur M. Safronov lui-même. Tout cela me semble extrêmement politisé. Nous avons vu la réaction de la société et de la communauté journalistique russes qui le soutiennent clairement. Dans la société russe, c’est clairement compris comme une forme de pression. Mais à savoir s’il a collaboré ou non avec les services tchèques, vraiment on ne peut rien affirmer de tel à l’heure actuelle. »
Les représentants des services secrets tchèques ont toujours nié tout contact avec Ivan Safronov.
Safronov a été arrêté alors qu'il travaillait comme conseiller de Dmitri Rogozine, alors directeur de l'agence spatiale russe Roskosmos. Les médias russes indépendants ont émis l'hypothèse qu'il pourrait s'agir - entre autres - d'une lutte de pouvoir opaque d'une partie des forces de sécurité locales avec Rogozine dans le but d'affaiblir sa position et de le remplacer par quelqu'un d'autre au fil du temps. D. Rogozine a été démis de ses fonctions en juillet de cette année.
Depuis son arrestation, Safronov est en isolement cellulaire dans la prison de Lefortovo à Moscou. Il n'était pas autorisé à parler à sa mère, les avocats avaient un accès limité à lui une fois de temps en temps. « Le but de mon séjour en détention provisoire n'a qu'un seul objectif - la pression psychologique dans le but de me briser et de me forcer à avouer », avait précédemment déclaré Safronov à son ancien journal Kommersant, depuis la prison par l'intermédiaire de son avocat.
La lourde peine de Safronov, plus élevée que les tribunaux russes ne prononcent généralement pour meurtre, est considérée comme un coup dur pour les médias russes au milieu de la répression intensifiée du Kremlin contre la liberté d'expression depuis l'invasion de l'Ukraine en février, selon l’agence Reuters.
L’association Reporters sans frontières dénonce « une sentence inique et vengeresse, basée sur une accusation sans fondement ».
Pour le ministre tchèque des Affaires étrangères, Jan Lipavský, cette peine de 22 ans du tribunal de Moscou est « choquante ». « L'affirmation sur la coopération de Safronov avec les services de renseignement tchèques est à peu près aussi crédible que l'affirmation selon laquelle la Russie libère l'Ukraine, a-t-il déclaré à l’agence ČTK. « Poutine a tellement peur du journalisme indépendant qu'il est capable d'organiser un procès qui se termine par une condamnation pour trahison », a ajouté le chef de la diplomatie tchèque.