« L’affaire Safronov montre que la Tchéquie est systématiquement dans le viseur de Moscou »
Arrêté le 7 juillet par les services secrets russes pour « haute trahison », l’ancien journaliste de Kommersant Ivan Safronov encourt jusqu’à vingt ans de prison. Aujourd’hui conseiller presse du directeur de l’agence spatiale Roskosmos, il a auparavant écrit de nombreux articles qui ont pu déplaire aux autorités russes. Dans son communiqué succinct, le FSB affirme qu’Ivan Safronov aurait « collecté et transmis des secrets d’Etat sur la coopération militaire et technique, la défense et la sécurité de la Russie » à « un service de renseignement d’un des pays de l’OTAN ». Or ce pays de l’OTAN dont il est question n’est nul autre que la République tchèque qui se retrouve une fois de plus au cœur d’une affaire complexe renforçant les tensions avec Moscou. Alors que les autorités tchèques sont restées silencieuses sur le sujet, mercredi, le porte-parole du Kremlin, Dimitri Peskov, a constaté que les relations tchéco-russes s’étaient « embourbées » ces derniers temps. Pour évoquer cette affaire, Radio Prague Int. a interrogé Pavel Havlíček, analyste à l’Association pour les questions internationales (AMO). Il nous donne des pistes pour comprendre les charges qui pèsent sur Ivan Safronov.
« Je pense que cette accusation sert à deux choses différentes. D’abord à une escalade des tensions, c’est-à-dire une façon de provoquer un conflit qui peut servir les intérêts de la Russie. Ce sont des choses que la République tchèque ne peut influencer, il peut s’agir d’un malentendu, d’un concours de circonstances, mais je ne pense pas que ce soit cela. Si l’on regarde les relations bilatérales entre la Russie et la Tchéquie, qui sont aujourd’hui particulièrement mauvaises, cet incident cadre avec le contexte actuel. Ce qui est plus important, c’est que cet incident envoie un signal clair à l’opinion publique russe, aux journalistes russes et aux représentants de l’opposition russe. Nous voyons qu’après le récent référendum du 1er juillet, les services secrets russes, le FSB, envoient des signaux clairs aux acteurs indépendants de la société russe. La situation a changé, les règles du jeu également. Ce qui auparavant n’était envisageable que dans certains cas, comme le fait de s’appuyer sur la législation antiterroriste pour engager des poursuites contre certains journalistes, devient aujourd’hui la norme en Russie. C’est vraiment très inquiétant. »
Que pensez-vous de la véracité de cette accusation qui pèse sur Safronov ? A-t-il pu transmettre des informations aux services de renseignement tchèques ? Ou est-ce un simple prétexte ?
« Il est important de comprendre que nous n’avons pas assez d’informations. Quand des services secrets sont impliqués d’une manière ou d’une autre, on le sait, le public n’a pas accès à toutes les informations. On ne peut donc pas exclure cette possibilité à l’heure qu’il est. Mais je n’arrive pas à imaginer qu’après avoir suivi si longtemps cet homme, on apprenne soudain qu’il a transmis des informations aux services de renseignement tchèques, qui les auraient eux-mêmes transmis aux Américains. Je pense que c’est un prétexte pour faire pression sur les journalistes russes et sur M. Safronov lui-même. Tout cela me semble extrêmement politisé. Nous avons vu la réaction de la société et de la communauté journalistique russes qui le soutiennent clairement. Dans la société russe, c’est clairement compris comme une forme de pression. Mais à savoir s’il a collaboré ou non avec les services tchèques, vraiment on ne peut rien affirmer de tel à l’heure actuelle. »
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’actuellement les relations tchéco-russes sont plus que tendues. Il suffit de se rappeler des dernières affaires autour de la statue d’Ivan Koniev, du monument aux soldats de l’armée de Vlassov, de cette rumeur d’une tentative d’empoisonnement visant des hommes politiques tchèques qui s’est avérée un mauvais canular et qui a conduit à l’expulsion de deux diplomates russes, considérés en réalité comme des agents russes. D’où vient selon vous cette escalade des tensions entre Prague et Moscou ?
« Pour moi, il faut remonter en réalité à 2009 quand la République tchèque négociait l’installation de ce fameux radar américain sur son sol. A l’époque, nous avons été témoins de toute une série de tentatives de la Fédération de Russie pour infléchir ce projet. C’est précisément à cette époque-là et même plus tard, pendant la présidence tchèque du Conseil de l’UE où nous avons dû assumer le rôle de négociateurs dans le conflit gazier entre la Russie et l’Ukraine, qu’on a pu prendre la mesure du fait que la Russie n’a pas de bonnes intentions vis-à-vis de la Tchéquie. Bien entendu, après 2014 et l’annexion de la Crimée, les relations tchéco-russes se sont envenimées et ça continue jusqu’à aujourd’hui, sans que l’on sache vraiment si on a atteint le fond. Ce dernier incident avec Safronov montre que ces derniers temps, la Russie choisit systématiquement la Tchéquie et la considère comme le maillon le plus faible de l’alliance occidentale et de la communauté transatlantique. Nous sommes constamment dans le viseur des services secrets russes, de leur diplomatie. C’est une tendance de longue date qui, selon moi, remonte à 2008-2009, mais qui, est devenue catastrophique pour les relations bilatérales ces six dernières années. »