45 ans de jumelage entre Rennes et Brno
Le 26 janvier dernier, le sénateur d’Ille-et-Vilaine Edmond Hervé a reçu dans la capitale morave le prix de la ville de Brno dans le domaine de la coopération internationale pour sa contribution au développement du jumelage entre Rennes et Brno. Edmond Hervé a dirigé la mairie de Rennes pendant près de trente ans.
« Bien évidemment, j’étais très fier de recevoir ce prix international et d’être honoré. C’était également un moyen m’était donné de remercier toutes les personnes de Brno et de Rennes qui avaient participé de manière très active à toutes ces relations qui se sont écoulées depuis le jumelage qui date de 1965. »
Vous n’êtes pas à l’origine de ce jumelage puisqu’il date d’avant votre premier mandat à la mairie de Rennes. Pouvez-vous néanmoins nous raconter comment il a été créé au milieu des années 1960 ?
« Le point de départ de ce jumelage est ancien, puisque mon prédécesseur, Henri Fréville, appartenait à cette génération qui avait vécu les accords de Munich et la seconde guerre mondiale. Et les Français qui étaient sensibilisés à la vie internationale, avaient une attitude très critique à l’égard de ces accords de Munich. Avec eux, quoiqu’appartenant à une génération plus jeune, nous estimions que la France n’avait pas tenu son rang, et qu’il était nécessaire de montrer la réalité de l’amitié entre des villes telles que celle de Rennes et des villes des pays de l’Europe de l’Est, notamment de la Tchécoslovaquie, et plus particulièrement de Brno. D’autre part, nous étions très attachés à la démocratie, et nous étions convaincus que des relations devaient se faire pour que la démocratie puisse un jour s’exprimer, et pour qu’au cours de ces années 1960, 1970 et 1980, on puisse par nos échanges et nos relations, montrer ce qu’est l’idéal démocratique, notamment au niveau d’une ville. »
Le jumelage a été créé en 1965, à une période où le régime était en train de se relâcher mais quand vous-même avez obtenu votre premier mandat à la mairie de Rennes, en 1977, c’était une période, à la fin des années 1970 et dans les années 1980, où la Tchécoslovaquie s’était beaucoup renfermée sur elle-même. Comment se déroulaient ces relations avec la ville de Brno ?
« Nous avons eu des relations très suivies. Et ce qui est très intéressant, c’est de constater que les échanges que nous avons eus ont été des échanges continus, même s’il y a eu des périodes plus difficiles. C’étaient des échanges avec des sportifs, avec des associations liées à l’université, des personnes qui s’intéressaient à l’économie, aux entreprises, à la vie politique. Et ce qui fait la particularité de ces échanges, c’est qu’ils ont concerné du côté rennais, des gens très différents les uns des autres et appartenant à une même culture. Je pense que ce sont des milliers de Rennais qui, par ce jumelage, ont eu des contacts avec la ville de Brno. Alors personnellement, je connaissais bien évidemment la philosophie politique qui inspirait les représentants de cette ville. Et je peux vous raconter une anecdote. La seconde fois où je suis allé à Brno, j’avais tenu à rencontrer des dissidents. Bien évidemment, je n’avais pas fait part de ce souhait aux autorités communistes de Brno, pour des raisons que vous imaginez. Après des circulations multiples, parce qu’il ne fallait pas créer de difficultés à la personne qui allait me recevoir, je me suis retrouvé dans l’appartement d’une jeune femme et j’ai eu en mains un samizdat. Et là, j’ai vu très physiquement ce que c’était que l’idéal de l’expression libre dans un pays qui tournait le dos à la démocratie. Et j’ai aussi vu quel était l’espoir qui pouvait exister, un espoir que je partageais et que je portais. »
Y-a-t-il eu beaucoup de visites de Rennais à Brno dans les années 1970 et 1980 ?
« Il y a eu des visites qui ont été très continues. D’autre part, il y a eu des visites de gens de Brno à Rennes. Je vais par exemple me souvenir d’un cas. Nous avions à Rennes des troupes théâtrales et notamment des troupes de marionnettes. La République tchèque est très versée dans cet art. Et une troupe de marionnettistes rennais qui est allée à Brno, et la responsable de cette troupe avait appris le tchèque pour pouvoir mieux communiquer encore avec les gens qu’elle rencontrait. Dans ces relations, qui étaient plus ou moins espacées, j’avais tenu à ce qu’il n’y ait pas que des notables qui construisent ce jumelage. Il fallait que ce soit un jumelage très populaire, parce qu’une diplomatie, dans une démocratie, n’a de sens que si elle est comprise par une population. Et les jumelages sont des choses importantes. Je considère par exemple que l’Europe, l’Union européenne, n’aurait pas existé si dès la fin des années 1940, le début des années 1950, il n’y avait pas eu précisément ces orientations, ces relations. »
Le jumelage entre Brno et Rennes a-t-il un lien avec le fait que l’université de Rennes soit une des rares universités en France à enseigner le tchèque ?
« Rennes a un pôle de langues dans l’université de Rennes II très important. Et je rappelle que lorsque Milan Kundera s’est exilé, il a d’abord enseigné à l’université de Rennes II, qui est l’université littéraire. Tout cela conforte effectivement les relations. Je vous parlais de l’histoire tchèque. Quand je suis allé pour la première fois à l’université Masaryk, à Brno, vous vous imaginez bien ce que j’ai ressenti. »Vous évoquez Milan Kundera. Le jour où vous avez été récompensé à Brno, la mairie de Brno a annoncé qu’elle allait remettre son prix de citoyen d’honneur à Kundera. Comment avez-vous réagi ?
« J’étais très heureux que la ville de Brno attribue ce titre de citoyen d’honneur à Milan Kundera. Et c’est là que l’on voit aussi le rôle international de la littérature, le rôle des arts dépassant les frontières. Hier, je relisais le discours d’Albert Camus prononcé à Stockholm lorsqu’il a reçu le prix Nobel. L’art et la littérature sont faits précisément pour tisser des relations au bénéfice de la liberté et des hommes de liberté. »