A la recherche de la poésie de Noël

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Vous écoutez une émission spéciale Noël de Radio Prague. Merci de ne pas oublier Radio Prague même dans cette période où les mots famille, amour, bonne volonté, paix deviennent plus fréquents dans notre vocabulaire. On se plaint parfois que les traditions et le charme mystérieux de Noël disparaissent peu à peu et que les fêtes de fin d'année se transforment en fêtes de consommation et de commerce. Il reste cependant quelques îlots où l'atmosphère poétique de Noël reste intacte. On la retrouve, par exemple, dans certaines productions musicales mais aussi dans les crèches de Noël qui sont exposées vers la fin de l'année dans la majorité des églises tchèques, dans des musées et dans d'autres endroits. Les chants et les crèches de Noël seront donc le sujet de cette émission qui vous sera présentée par Vaclav Richter.

A la recherche de l'atmosphère de Noël, je me suis rendu au Musée municipal de Prague, un bâtiment néo-renaissance situé dans un quartier très animé de la capitale. Heureusement, les murs de cette institution vénérable ont su préserver le calme, la paix et l'atmosphère de fête contre le vacarme de l'extérieur. J'ai donc pris tout mon temps pour savourer l'exposition qui retrace la tradition des crèches populaires depuis le XIXe siècle et je m'y suis entretenu avec le commissaire de l'exposition Frantisek Valena, mais aussi avec quelques écoliers que j'y ai rencontrés. J'ai appris que l'art de fabriquer les crèches n'est pas qu'un art du passé et qu'il continue à attirer de nouveaux adeptes. Tout d'abord, nous avons quand même évoqué un peu l'histoire. Frantisek Valena, plasticien, scénographe, marionnettiste et lui-même fabricant et collectionneur de crèches, m'a dit :

Frantisek Valena
"La tradition des crèches dans chaque région était due à un artiste individuel, un artiste de talent remarquable qui s'imposait dans toute la commune. C'était une espèce de fanatique qui savait emballer les autres. Souvent, c'étaient des artisans, des drapiers par exemple. Dans la ville de Trest, c'était les sculpteurs de bois fabriquant des boîtiers d'horloge, des ornements en bois pour les pendules de Schwarzwald et pour les meubles, qui se sont lancés dans ce genre de création. La crèche est une représentation de la célèbre histoire tirée du Nouveau Testament, une espèce de mise en scène de la Nativité du Seigneur. Il y avait deux catégories de crèches, celle de Noël et celle de la fête des Rois Mages. A Noël, les figurines représentaient des bergers et leurs troupeaux réunis autour de la Vierge et saint Joseph qui se penchaient sur l'enfant Jésus gisant sur la paille. Le jour de la fête des Rois Mages on changeait de figurines, les bergers cédaient la place aux Rois Mages et à leur somptueux cortège. L'artiste a accroché au-dessus de la crèche l'étoile qui avait amené les Rois à Bethléem et a aussi changé la figurine de la Vierge. Celle-ci tenait l'enfant sur ses genoux car le petit Jésus a déjà un peu grandi. "

Les artistes du peuple ne représentaient dans leurs oeuvres que les épisodes du Nouveau Testament. Il y avait pourtant une exception. Frantisek Valena rappelle que dans certaines crèches, on trouve aussi un motif tiré de l'Ancien testament, plus précisément du Livre de Moïse qui mena le peuple juif à la Terre promise. On y lit que le patriarche a envoyé au devant de son peuple une espèce d'avant-garde qui devait explorer le terrain et chercher une terre fertile. C'est donc à la recherche d'un nouveau pays pour le peuple juif que ces explorateurs ont trouvé une terre extrêmement fertile et pour le démontrer à Moïse, ils lui ont apporté une grande grappe de raisins.

"C'est un très beau motif, a dit Frantisek Valena, qui a été accepté et exploité par les artistes de nombreuses régions, à Usti nad Orlici, à Kraliky, à Trest. Dans leurs crèches on trouve deux chanteurs de Noël portant sur les épaules, accrochée à un bâton, une énorme grappe de raisins."


Le charme des crèches que nous ont laissées les artisans du peuple opère sur les visiteurs de toutes les générations. Les écoliers visitant l'exposition, eux aussi, ont été séduits par la grâce naïve de ces images de la Nativité.

"J'ai aimé le plus la crèche de Pribram des années vingt à trente du siècle dernier, m'a dit un garçon qui notait soigneusement toutes ses impressions dans un petit carnet. Les figurines sont très joliment sculptées. Je l'admire parce que je ne serais probablement pas capable de le faire moi-même. J'aime surtout les figurines de l'enfant, de la Vierge Marie et aussi celles des petits moutons, des bergers et des étrangers venus rendre hommage à l'Enfant Jésus. J'aimerais bien avoir une crèche aussi grande à la maison, mais nous ne saurions pas où la mettre, parce qu'il n'y pas assez de place chez nous."

On trouve des crèches dans beaucoup de familles et souvent elles passent de génération en génération et ce sont elles qui font, chaque année, resurgir l'atmosphère de Noël.

"Nous avons une crèche en papier, m'a dit une petite fille rencontrée à l'exposition, mais elle est déjà un peu déchirée parce que qu'elle est assez vieille. Nous la tenons de notre grand-mère. Elle ressemble beaucoup à une des crèches qu'on peut voir à l'exposition. Rien que des figurines en papier."


La tradition continue et aujourd'hui encore on fabrique des crèches inspirées tantôt de l'art folklorique, tantôt de l'art moderne. A l'entrée de l'exposition on pouvait admirer un fragment de crèche signé Frantisek Valena. Les figurines ressemblant un tout petit peu à celles des films de marionnettes de Jiri Trnka ne manquaient pas d'éléments un peu fantastiques. Frantisek Valena m'a donné une explication :

"Je la fabrique depuis déjà quelques années. Chaque année j'y ajoute quelques figurines et la crèche s'agrandit peu à peu. Je suis scénographe et ma crèche est donc un peu différente des autres. Dans ma crèche il y a mes amis. J'y ai mis, par exemple, un fabriquant de crèches de la ville de Trebon, mon ami, un homme de grande taille et très costaud qui m'a servi de modèle pour la figurine de leveur de poids. J'ai aussi un autre ami qui est très intelligent et qui m'a servi de modèle pour la figurine d'un Turque minuscule qui entraîne à Bethléem une énorme éléphante. Cette éléphante est un tout petit peu mystérieuse, elle porte sur le dos toute une petite ville orientale, et notamment une synagogue, une église chrétienne et une mosquée. Dans ma ville ces religions ne se disputent pas mais vivent ensemble dans la paix."

Comme nous l'avons dit, Frantisek Valena, homme de plusieurs talents, est non seulement plasticien, marionnettiste et scénographe, mais aussi collectionneur passionné qui a réussi à réunir une belle collection de crèches de divers styles et de diverses époques et à sauver certains exemplaires menacés d'oubli et de destruction. Il connaît les crèches de nombreux pays et est capable de les comparer les unes aux autres. Il aime beaucoup, par exemple, les crèches de Provence que les paysans provençaux plaçaient jadis dans la cheminée encore chaude.

"Toutes les crèches que vous voyez ici font partie de ma collection. Quand je vais à l'étranger, la première chose que je cherche sont les crèches. La visite en Provence est toujours pour mois quelque chose de très beau et de très agréable. On y fabrique des figurines en céramique de 8 à 9 centimètres, mais aussi des figurines plus grandes, quelque 30 centimètres de haut, qu'on habille dans des costumes en étoffe. J'en ai déjà une jolie collection. J'ai réussi progressivement à réunir toute une crèche provençale. La dernière fois, quand j'ai participé, ce printemps, aux Journées de l'Europe, j'ai encore ramené une quinzaine de ces figurines qui sont très charmantes."


Les crèches sont donc non seulement des images de la Nativité mais elles reflètent en quelque sorte la vie de ceux qui les fabriquent. Cela est ainsi depuis des siècles. Jadis, les paysans situaient le berceau de l'Enfant Jésus au milieu de leurs villages, de leurs champs et de leurs troupeaux et donnaient aux figurines les traits de leurs voisins. La vie et la réalité quotidienne s'imposent dans ce genre de création également aujourd'hui. On continue à inventer des thèmes secondaires qu'on ajoute au thème principal de la Nativité. Et on invente aussi avec beaucoup de fantaisie de nouvelles techniques et de nouveaux matériaux. Depuis longtemps le bois, le plâtre et le carton ne sont plus les matériaux uniques pour la fabrication des figurines. Il y a des crèches en céramique, en cristal, en feuilles de maïs, en paille, en pâte, et aussi en dentelle...

"Mon grand-père fabrique des petits cadres, m'a dit un petit garçon venu voir l'exposition avec toute sa classe, et maman confectionne de petites images en dentelle aux fuseaux qui représentent la Vierge Marie, de petits animaux, etc. Ca donne finalement une espèce de toute petite crèche en dentelle. Chaque année, maman et son amie qui a étudié à l'Ecole des Beaux-Arts font une petite exposition à l'occasion de la Messe de Noël de Jakub Jan Ryba. Et quand Noël approche, maman fabrique tous les soirs des ornements de toutes sortes..."

Ainsi nous terminons cette émission dans la musique. Il manquerait quelque chose aux fêtes de Noël en Bohême, en Moravie et en Silésie sans la Messe de Noël du compositeur tchèque Jakub Jan Ryba ayant vécu à la lisière des XVIIIe et XIXe siècles. On l'entend dans des églises, dans des salles de concert mais aussi parfois sur des places publiques. Cette composition simple que les gens du peuple peuvent chanter est à la musique ce que les crèches populaires sont aux arts plastiques. Depuis des siècles, cette messe pleine de grâce naïve chante la joie de la nouvelle vie, la nostalgie de l'innocence et l'espoir du salut.