A Nehvizdy, des parachutistes ont sauté en souvenir de l’opération Anthropoid
Pour beaucoup en Tchéquie, c’est le plus grand acte de résistance de toute la Seconde Guerre mondiale. Il y a tout juste 75 ans, dans la nuit du 28 au 29 décembre 1941, le bombardier britannique Handley Page Halifax larguait deux parachutistes tchécoslovaques, Jan Kubiš et Jozef Gabčík, en pleine campagne tchèque, près de la commune de Nehvizdy, non loin de Prague. Dans le cadre de l’opération militaire Anthropoid, ils étaient chargés d’une mission quasi impossible, une mission suicide : assassiner le plus haut dignitaire nazi du Protectorat de Bohême-Moravie Reinhard Heydrich. Une mission accomplie cinq mois plus tard… L’histoire de ces deux parachutistes continue à marquer les Tchèques, en particulier les habitants de Nehvizdy. Chaque année, la petite ville leur rend hommage par une cérémonie du souvenir.
Décorés de la Croix de guerre pour s’être battus en France, le Slovaque Jozef Gabčík et le Tchèque Jan Kubiš sont donc désignés par le gouvernement tchèque en exil à Londres, les autorités britanniques et la résistance tchèque pour accomplir cet acte symbolique fort qu’est l’assassinat du chef de la Gestapo et l’organisateur principal de l’extermination des Juifs d’Europe.
Au total, trois équipes de soldats, chargées d’organiser l’attentat, sont larguées, dans la nuit du 28 au 29 décembre 1941, sur le territoire du Protectorat. Dušan Klavík est membre de la Compagnie Nazdar. Réunissant aujourd’hui une vingtaine d’amateurs d’histoire, la compagnie ressuscite, en quelque sorte, le premier bataillon de légionnaires tchèques créé en France en 1914. Vêtu d’un uniforme d’époque, Dušan Klavík explique, sur les lieux mêmes où les parachutistes ont été largués :« Les parachutistes portaient, sous leur combinaison, des vêtements civils : un pantalon, une veste, des chaussures de ville, et même un chapeau. Ces vêtements ont été récupérés chez les immigrés tchèques en Grande-Bretagne, ou alors c’étaient des vêtements anglais recousus, desquels on avait ôté les étiquettes. Après le saut, les parachutistes devaient cacher leur combinaison et leur parachute, ils avaient pour cela sur eux une petite pelle. Ces premiers parachutistes ont joué un rôle très important. Le gouvernement tchèque à Londres ne savait pas exactement quelle était la situation de la résistance tchèque, il ne savait pas qui avait été arrêté par la Gestapo et qui continuait à collaborer. Les soldats parachutés en Bohême-Moravie, par exemple ceux du groupe Silver A, pouvait donc fournir les informations nécessaires aux autorités tchèques en exil, via des stations radiophoniques. »75 ans après le début de l’opération Anthropoid, une dizaine de soldats, munis de répliques des parachutes qui équipaient Kubiš et Gabčík, ont atterri à proximité du terrain de football de Nehvizdy. Dušan Klavík :
« Les parachutes modernes sont rectangulaires, mais surtout, ils sont dirigeables. Les parachutes utilisés pendant la guerre avait une forme ronde, ils étaient verts. La grande différence est que le parachutiste ne pouvait pas maîtriser le vol. Il était porté par le vent sans savoir où il allait se poser. »Nous savons aujourd’hui que pendant la guerre, les navigateurs s’orientaient surtout d’après les étoiles. Fin décembre 1941, la navigation étais encore plus compliquée à cause de la neige qui recouvrait tout le territoire tchèque. Une erreur de navigation est alors survenue : sans le savoir, Jozef Gabčík et Jan Kubiš ont été parachutés à une vingtaine de kilomètres à l’est de Prague, alors qu’ils auraient dû atterrir près de Plzeň, dans l’ouest du pays.
Nehvizdy est aujourd’hui une bourgade d’environ 2600 habitants. Parmi eux, on peut encore trouver les témoins des événements de décembre 1941 qui demeurent entourés de mystère. Miloš Ryčl avait quinze ans à l’époque. Nous nous trouvons en sa compagnie près d’un second monument érigé à Nehvizdy à la mémoire des deux parachutistes. Il y a dix ans, il a été installé au milieu des champs, à proximité de l’autoroute qui relie Prague et Hradec Králové, là où Gabčík et Kubiš ont probablement atterri.« Lorsque Kubiš et Gabčík ont été parachutés, ils ne savaient pas où ils se trouvaient. Il paraît qu’ils se sont adressés au curé František Samek. Il leur aurait indiqué où se trouvait la gare la plus proche, celle de Mstětice. Avant de prendre le train pour se rendre à Rokycany, en Bohême de l’Ouest, ils se seraient cachés pendant un certain temps dans une grotte dans les rochers qui n’existe plus aujourd’hui. Ils auraient aussi caché leur matériel dans la cabane d’un jardinier, M. Sedláček. Mais il faut savoir que ce ne sont que des hypothèses. Personne ne connait la vérité. Personnellement, je connaissais bien le curé Samek. Jamais, même après la guerre, il ne m’a confié avoir rencontré les parachutistes. Jamais… »Bohuslav Bubník est un autre habitant de Nehvizdy, dont la famille a été impliquée dans la résistance :
« Mon père a rencontré les parachutistes à deux reprises, chez des amis, sans connaître leur identité et l’objectif de leur mission. On lui disait : ‘Ne cherche pas à savoir, c’est mieux ainsi’. Il leur apportait de la nourriture, il les aidait à contacter des gens. Mon père et un homme encore ont été peut-être les seules personnes ayant aidé les parachutistes à avoir échappé à la mort, après avoir subi des interrogatoires et un emprisonnement à Pankrác. »
Comme par miracle, la petite ville de Nehvizdy n’a pas connu le même sort que les villages de Lidice et de Ležáky, complètement anéantis par les nazis dans le cadre des persécutions sanglantes qui ont suivi l’attentat contre Reinhard Heidrich, accompli à Prague, le 27 mai 1942. Presque 300 collaborateurs et proches de Jozef Gabčík et Jan Kubiš, dont plusieurs habitants des villages voisins de Nehvizdy, ont été assassinés entre 1942 et 1944 dans le camp de concentration de Mauthausen. Le sort des sept parachutistes tchécoslovaques ayant participé à l'opération Anthropoid est suffisamment connu : trahis par l'un des leurs, ils ont été découverts par les nazis cachés dans la crypte de l’église orthodoxe Saints-Cyrille-et-Méthode, au centre de Prague, et assassinés.Leur courage et le drame qu’ils ont vécu continue à interpeller, à inquiéter, à fasciner. A l’heure de la sortie sur les écrans du long-métrage « Anthropoid », réalisé par le Britannique Sean Ellis, plusieurs ONG tchèques ont demandé des funérailles dignes pour les parachutistes tchécoslovaques, dont les dépouilles se trouvent toujours dans un charnier à Prague-Ďáblice où ils avaient été enterrés par leurs assassins.