Dans la crypte des parachutistes tchécoslovaques de l’opération Anthropoid
Dimanche, 81 ans se seront écoulés depuis la mort des parachutistes tchécoslovaques, responsables de l’attentat contre le Reichsprotektor, Reinhard Heydrich, à l’issue d’une traque d’une vingtaine de jours. Après avoir été cachés chez différentes familles un peu partout à Prague, c’est finalement dans l’église saint-Cyrille-et-Méthode, non loin de la place Charles, qu’ils trouvent refuge. Aujourd’hui, un mémorial rappelle leur histoire et leurs dernières heures. L’historien militaire Zdeněk Špitálník nous l’a fait visiter.
« Nous nous trouvons ici dans la crypte de l’église Saints-Cyrille-et-Méthode. C’est une crypte de taille relativement importante autrefois destinée à l’inhumation des dépouilles des prêtres. Cela n’a d’ailleurs pas duré longtemps car l’église a été désacralisée peu de temps après son édification. Cette crypte a servi de refuge à sept parachutistes tchécoslovaques venus d’Angleterre, un abri relativement sûr jusqu’à ce qu’ils se retrouvent encerclés par les nazis le 18 juin 1942. »
Ce 18 juin 1942, ils étaient sept. Sept hommes retranchés dans la crypte de l’église saint-Cyrille-et-Méthode au centre-ville de Prague. Sept hommes contre 750 soldats SS sous le commandement de Karl Fischer von Treuenfeld. Autant dire que l’issue de cet affrontement inégal ne faisait guère de doute. Et pourtant, il faudra une bataille rangée de sept heures avant que les assaillants allemands ne puissent finalement pénétrer dans l’église assiégée depuis l’aube. Tout cela pour trouver tous les résistants tchécoslovaques déjà morts.
Avant cela, les nazis ont usé de tous les moyens pour les en faire sortir, jusqu’à même tenter de les noyer via une ouverture donnant sur la rue que l’on peut encore voir aujourd’hui. En vain. En cela, l’opération des nazis est un échec comme l’explique Zdeněk Špitálník :
« Comme la crypte a été en partie réaménagée dans les années 1990, avec notamment l’ajout de cette entrée par laquelle nous sommes arrivés, l’ouverture qui donne sur la rue était pratiquement le seul lien des parachutistes avec le monde extérieur. C’est aussi par ce moyen que les nazis ont essayé d’attirer les parachutistes au-dehors le 18 juin, en leur promettant l’impunité. Pour la Gestapo, il était essentiel de les prendre vivants. Cela aurait été un succès immense et ils ont tout fait pour les convaincre de se rendre. Surtout que trois parachutistes qui combattaient dans la partie supérieure de l’église étaient déjà morts, soit parce qu’ils s’étaient suicidés, soit des suites de blessures graves. »
Lorsque les résistants tchécoslovaques, dont le Slovaque Jozef Gabčík et le Tchèque Jan Kubiš, chargés d’assassiner Reinhard Heydrich, acceptent la tâche que leur confie le SOE britannique à l’automne 1941, ils savent que c’est probablement là une mission suicide dont ils n’ont que peu de chances de sortir vivants. Non seulement Heydrich est-il un des SS les plus hauts placés dans la hiérarchie nazie, mais il est considéré comme le dauphin d’Adolf Hitler en personne.
Il est donc d’autant plus émouvant de découvrir au Musée de l’armée à Prague, dans la partie dédiée à l’Opération Anthropoid, des images d’archives filmées où apparaissent les deux jeunes soldats trentenaires pendant un entraînement aux côtés d’autres militaires tchécoslovaques engagés dans la Royal Air Force.
Parachutés en décembre 1941, Jan Kubiš et Jozef Gabčík, ainsi que d’autres soldats chargés d’autres missions, retrouvent le pays qu’ils ont quitté quelques années plus tôt. Un pays occupé, où très vite ils doivent se rendre à l’évidence : ils vont avoir besoin de l’aide d’autres personnes pour pouvoir évoluer dans cet environnement qui a radicalement changé depuis leur départ pour la France en 1939, puis pour l’Angleterre :
« A l’origine, il était prévu que les parachutistes doivent se débrouiller sans aide majeure sur place. Ils étaient censés pouvoir tout gérer de manière indépendante. Evidemment, pour l’opération, ils étaient munis d’adresses de gens auxquels ils pouvaient faire appel. Très vite, ils ont réalisé qu’il n’était pas possible de fonctionner de la sorte. En Grande-Bretagne, ils avaient certes suivi une formation pour savoir comment les choses marchaient sous le régime d’occupation, mais il n’était pas possible de couvrir tous les changements opérés en trois ans. Certains parachutistes ont trouvé porte close à certaines adresses : il faut imaginer que les habitants du Protectorat entendaient constamment des informations concernant les gens exécutés pour avoir abrité quelqu’un, ils pouvaient penser qu’il s’agissait d’une provocation de la Gestapo. Néanmoins au printemps 1942, les parachutistes ont bien vu que sans aide intérieure, ils n’arriveraient à rien. Un peu par hasard, ils ont réussi à faire la liaison avec l’organisation du Sokol clandestin qui leur a fourni un réseau sécurisé de collègues dévoués. »
Sur une grande stèle en marbre noir s’élevant devant l’église orthodoxe, on peut aujourd’hui lire les noms de plus de 290 personnes qui ont payé de leur vie leur engagement à aider les parachutistes, soit directement soit indirectement. Les noms de nombreuses femmes y figurent également, ces petites mains qui ont apporté leur contribution en trouvant des endroits où se cacher, en fournissant des vêtements, du matériel et des vivres aux résistants. Parfois, ce sont des familles entières qui ont été assassinées ou envoyées à la mort dans les camps par les autorités d’occupation comme le montrent les longues listes de patronymes similaires gravés les uns en-dessous des autres.
Mais la vengeance des nazis ne s’est pas arrêtée aux personnes qui avaient aidé les résistants : des milliers d’autres Tchèques ont été arrêtés ou assassinés dans le pays en représailles, dont les habitants de deux villages martyrs, Lidice et Ležáky, entièrement détruits, comme Oradour-sur-Glane deux ans plus tard.
Des tous derniers jours de la vie des sept parachutistes tchécoslovaques dans la crypte, avant la trahison d’un membre d’un autre commando, on ne sait que peu de choses. Seuls quelques objets personnels et des armes, exposés au Mémorial des parachutistes et au Musée de l’armée, témoignent encore de leur acte de résistance.
« C’est quelque chose que nous ne saurons sans doute jamais. Malheureusement il ne nous reste d’eux aucun carnet, aucun témoignage. On ne peut donc que faire fonctionner notre imagination sur la base des objets qui nous sont parvenus et qui ont été retrouvés ici. Il y a aussi beaucoup de photographies. Il est fort probable que les différentes alcôves de la crypte qui avaient servi de lieu de dernier repos aux prêtres décédés aient servi de couches aux parachutistes. On a retrouvé des couvertures, de la vaisselle, etc. On ne sait pas par contre quel était leur système de garde la nuit, entre cet espace de la crypte et celui de l’église en haut. En tout cas, ce devait être particulièrement oppressant de vivre si longtemps dans cet espace relativement restreint. »
L’opération Anthropoid est le seul attentat réussi contre un haut dignitaire nazi organisé par un gouvernement pendant la Deuxième Guerre mondiale, et est considéré comme un des plus hauts faits, sinon le plus haut, de la résistance tchécoslovaque. Pourtant, malgré quelques velléités de monter d’autres opérations de ce type, notamment pour tuer Hitler, aucune autre mission de ce genre ne sera plus menée – entre autres, en raison de la violence inouïe des représailles, les Britanniques n’ayant pas anticipé le fait que les nazis appliqueraient le principe de la responsabilité collective.
Mais ces événements ont marqué les esprits et tant le cinéma que la littérature s’en sont emparés à plusieurs reprises et ce dès 1943, avec Les Bourreaux meurent aussi, de Fritz Lang, Atentát du réalisateur tchèque Jiří Sequens en 1964, le film britannique Sept hommes à l’aube tourné à Prague au milieu des années 1970, ou plus près de nous deux films sur l’opération Anthropoid. Autant d’adaptations qui attirent depuis plusieurs années les touristes étrangers en nombre à la crypte, comme le note Zdeněk Špitálník :
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« Je pense que cela y contribue beaucoup. Le film Anthropoid continue jusqu’à ce jour de faire venir des visiteurs au Mémorial. De même que l’autre film intitulé HHhH qui, même s’il est moins précis, a suscité l’intérêt de nombreux visiteurs qui viennent ici. C’est aussi le cas du livre éponyme de Laurent Binet, HHhH. Tout cela contribue à attirer des gens qui, a priori, n’avaient pas un lien aussi fort avec cette histoire que les touristes britanniques par exemple. »
L’entrée du Mémorial est située sous les hauts escaliers menant à l’église. L’ensemble de l’exposition a été entièrement refait il y a un an, et les locaux rénovés, comme le détaille Zdeněk Špitálník :
« La première partie de l’exposition est consacrée aux événements mêmes et à tout ce qui a trait à l’opération Anthropoid. Lorsque l’histoire prend une autre tournure et que les parachutistes doivent se cacher après le succès de l’opération, le visiteur peut entrer dans l’espace principal et découvrir d’eux-mêmes ce que cela a pu être pour ces résistants de vivre dans cette crypte pendant plus de 15 jours. Bien sûr, les conditions sont différentes de ce que c’était en 1942 : aujourd’hui, c’est éclairé, ce n’est plus aussi humide qu’à l’époque, et en raison des visites fréquentes il n’y fait pas si froid. Mais je pense néanmoins que cela reste une expérience forte pour les visiteurs d’entrer dans cette crypte, le lieu authentique où se sont déroulés les événements dont ils ont entendu parler quelques minutes auparavant dans la partie musée. »
Depuis 2009, un grand monument commémorant l’opération Anthropoid s’élève dans le quartier de Libeň à Prague, représentant trois soldats, le guetteur, Josef Valčík et les deux parachutistes responsables de l’attentat. A proximité du monument, des rues ont été rebaptisées pour rendre hommage à la fois aux soldats, mais aussi aux familles du quartier qui leur ont porté assistance et en ont payé le prix. Le Mémorial situé au centre-ville dans l’église saints-Cyrille-et-Méthode est accessible gratuitement et est ouvert toute l’année de 9h à 17h.
https://www.vhu.cz/en/the-national-memorial-to-the-heroes-of-the-heydrich-terror/